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Les appartements accompagnés dans la politique du handicap psychique

Localement, les années 2000 voient de fait un nouveau monde d’expériences, d’institutions et de pratiques revendiquant une approche sociale ou médico-sociale des problèmes de santé mentale se développer sous l’impulsion de nouveaux acteurs, professionnels, chercheurs, administrateurs, entrepreneurs associatifs et parfois élus. Pour ce qui nous intéresse plus spécifiquement, la création d’appartements accompagnés à l’initiative de travailleurs sociaux et dans le giron d’associations œuvrant dans les secteurs

123 social et médico-social, participe de ce mouvement. Si ces expériences sont souvent abordées et pensées comme une alternative globale aux approches issues de la psychiatrie, la plupart d’entre elles supposent en fait des collaborations et des arrangements formels ou informels avec des professionnels de la santé mentale, et souvent avec des équipes de secteur, pour simplement exister. Du point de vue de ces dernières, ces nouveaux dispositifs, services, plus généralement acteurs et financements sociaux et médico-sociaux sont par ailleurs également une ressource pour construire des projets se situant institutionnellement soit pleinement dans le champ médico-social, soit au croisement de celui-ci et des mondes sanitaires, dans des montages parfois complexes. Là encore, certaines expériences d’appartements accompagnés sont de bons exemples de cette dynamique. Ces nouvelles expériences sont enfin surtout une ressource pour les personnes concernées qui n’hésitent pas à les mobiliser dans des arrangements là aussi parfois complexes aux côtés des services psychiatriques auxquels ils s’adressent.

Les nouveaux mondes de la psychiatrie, du social et du médico-social qui émergent de ces transformations se caractérisent ainsi par leur intrication et les dynamiques complexes d’échange, de collaboration, de mutualisation des projets qui lient leurs acteurs. Il serait vain de vouloir proposer une analyse des dispositifs sociaux et médico-sociaux à destination des malades souffrant de troubles psychiatriques sans les situer dans une écologie d’ensemble incluant aussi les acteurs de la psychiatrie. C’est ce qui rend particulièrement difficile la tâche de qui voudrait les cartographier. Les appartements accompagnés sont un cas d’école. Un certain nombre de services peuvent être identifiés à partir des structures associatives qui les portent, mais d’autres expériences nées de collaborations entre professionnels du secteur social et/ou médico-social et équipes psychiatriques nécessitent pour être caractérisées que l’on décrive précisément la nature et l’extension de ces collaborations. D’un autre côté si certaines associations ont une identité affirmée dont découle la philosophie des professionnels, la plupart œuvrent au croisement de plusieurs problématiques et proposent des services sur mesure et parfois peu problématisés aux personnes. En première analyse on peut néanmoins distinguer deux ensembles parmi ces services : le premier est un ensemble de services s’inscrivant dans le champ du handicap psychique que nous décrivons dans cette section ; le second correspond à des structures se positionnant davantage sur le terrain du logement, sur lesquelles nous revenons dans la prochaine section. Si cette distinction comporte une part d’arbitraire elle correspond de fait à deux ensembles de service développant des

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philosophies différentes avec des moyens différents et dans des relations elles aussi différentes avec les équipes de secteur.

Le premier ensemble de services d’appartements accompagnés correspond ainsi à des expériences portées par des associations œuvrant pour la plupart d’entre elles exclusivement dans le champ du handicap psychique et n’impliquant pas de façon formelle des équipes psychiatriques dans leur organisation. Ces services mobilisent le plus souvent des financements MDPH et supposent donc que les personnes obtiennent de celle-ci une reconnaissance de leur handicap et l’orientation correspondante. Si leurs clientèles leur parviennent par des canaux divers, elles correspondent souvent à des profils de personnes ayant de longues histoires psychiatriques derrière elles et ayant déjà bénéficié d’accompagnements médico-sociaux. Ces services sont en petit nombre et ils ont le plus souvent été créés comme des alternatives à l’hébergement en foyer pour proposer des formes de logement plus indépendantes aux personnes. A cet égard, le développement de ces services s’inscrit dans la dynamique de constitution progressive du champ du handicap psychique depuis les années 1970. Sans retracer ici cette histoire dans le détail, il faut en donner quelques éléments pour comprendre leur situation actuelle.

On le sait, loin d’avoir été oubliés dans la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975, les handicaps des personnes souffrant de troubles psychiques y sont directement abordés par plusieurs articles prévoyant la création de dispositifs d’hébergement à leur destination et à l’initiative notamment des familles de l’Unafam (Henckes, 2012). Ces propositions suscitent cependant un intense mouvement de défiance dans la communauté psychiatrique qui refuse qu’échappe à sa juridiction la prise en charge de personnes qu’elle considère avant tout comme ses patients. Dans l’immédiat cette contestation a pour conséquence d’empêcher la publication ou de limiter la portée des décrets d’application des articles de la loi. A moyen terme elle aboutit à rendre impensable la notion de handicap psychique, qui était largement diffusée dans la période précédente, au point qu’il faudra la réinventer pour l’imposer dans la loi de 2005.

Cette contestation et ses conséquences n’empêchent pas les malades de bénéficier de certaines prestations de la loi sur le handicap, et notamment l’AAH qui s’impose pour un grand nombre d’entre eux comme la principale source de revenus leur permettant de vivre en dehors de l’hospitalisation. Cependant, au moment où se met en place et se développe un monde d’institutions sociales et médico-sociales pour couvrir les besoins d’autres populations – handicapés moteur, retard mental, personnes âgées, grande précarité – l’absence d’un cadre réglementaire explicite est un obstacle à la création de services ou

125 établissements à destination des malades psychiques. Si un certain nombre de projets sont lancés le plus souvent sous l’impulsion des familles et pour certains dans le prolongement d’initiatives remontant aux années 1960, ceux-ci rencontrent de nombreuses difficultés au moment de trouver des financements. Pour leurs promoteurs, il faut convaincre les décideurs et notamment les départements de la pertinence d’une approche non psychiatrique des problèmes des personnes concernées en l’absence de concepts pour nommer et qualifier ces problèmes. A la fin des années 1990, ces efforts ont cependant contribué à la création d’un tissu modeste d’établissements gérés par des associations réunies pour certaines dans la Fédération d’aide à la santé mentale Croix Marines et pour d’autres gravitant autour de l’Unafam. On l’a signalé plus haut, un certain nombre d’expériences d’appartements accompagnés participent déjà à ce mouvement même si on peut penser qu’ils représentent un volume de place minime par rapport aux appartements associatifs de secteur.

La loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » rebat profondément les cartes. Le débat qui entoure la préparation de la loi voit en effet, sous l’impulsion d’une mobilisation réunissant associations de familles et de malades, ainsi que professionnels, la mise sur l’agenda des problèmes spécifiques que soulèvent les handicaps d’origine psychique, qui sont évoqués nommément dans le texte final. Si le handicap psychique obtient ainsi une visibilité nouvelle dans le débat public et parmi les professionnels et les acteurs du social et du médico-social, la loi et ses textes d’application permettent surtout leur meilleure prise en compte par les organismes du handicap, notamment à travers une meilleure reconnaissance dans les outils d’évaluation. Les promoteurs de la catégorie obtiennent par ailleurs la reconnaissance dans la loi d’un dispositif de compensation original à destination des personnes, les groupes d’entraide mutuelle.

Au-delà de ces évolutions réglementaires, la période qui s’ouvre après le vote de la loi de 2005 voit se mettre en place une série de financements à l’initiative des administrations centrales, des fondations et des administrations locales visant à favoriser la structuration d’un milieu. Une partie de ces financements vont à des équipes de recherche qui doivent apporter un éclairage sur une notion jugée mal connue et difficile à objectiver. Localement des appels à projets lancés par des fondations ou par les instances régionales permettent l’ouverture d’un certain nombre de services et d’établissements pour répondre à des besoins d’autant plus prioritaires qu’ils paraissent n’avoir pas été pris en compte dans la période précédente. Pour les professionnels, familles et usagers engagés dans ce

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mouvement, la période est marquée à la fois par le soulagement apporté par la reconnaissance du handicap psychique et par un sentiment d’urgence face au retard qui paraît avoir été accumulé dans l’accompagnement et les prises en charge. Si la place et les données nous manquent pour quantifier ces créations à l’échelle nationale, nos entretiens suggèrent l’ampleur du mouvement. Sur un plan institutionnel celui-ci se traduit par la création d’un certain nombre de nouvelles associations, la croissance de celles créées dans la période précédente et la structuration du milieu autour de la Fédération des Croix- Marines et d’une nouvelle Fédération créée en 2008, Agapsy. Au milieu des années 2010 le secteur du handicap psychique est balisé par un ensemble d’association de tailles moyennes, comprenant pour certaines d’entre elles plusieurs centaine de salariés, pour bon nombre d’entre elles spécialisées dans ces questions.

Au-delà du secteur spécifique du handicap psychique, la loi de 2005 et ses textes d’application constituent un effort de rationalisation du tissu institutionnel du handicap qui s’inscrit dans le prolongement de la loi du 2 janvier 2002 « rénovant l’action sociale et médico-sociale ». Si celle-ci avait apporté un certain nombre de définitions et réformé les procédures de planification et d’autorisation, les textes de 2005 et des années suivantes réorganisent profondément la nomenclature des services et établissements médico-sociaux et sociaux : d’un côté un certain nombre de nouveaux services sont créés pour répondre à des besoins identifiés dans les débats, dont, outre les GEM cités plus haut – qui ne sont pas formellement des services sociaux ou médico-sociaux -, les services d’aide à domicile tels que les SAVS et les SAMSAH ; de l’autre certains services sont renommés et redéfinis, comme les ESAT qui remplacent les centres d’aide par le travail, ou certains foyers. On l’a suggéré dans le chapitre précédent, ce travail n’aboutit certes pas à la création d’une nomenclature compréhensive et synthétique, mais il contribue à une restructuration des pratiques locales. Ces différentes évolutions réglementaires accompagnent par ailleurs une professionnalisation du secteur : codification des approches professionnelles, mises en place des démarches qualité et d’évaluation sous l’impulsion de nouvelles agences, généralisation de la démarche de contractualisation avec les personnes aidées.

Ce mouvement a cependant peu d’impact, en première analyse, sur les appartements accompagnés. Malgré leur succès dans le champ sanitaire, le dispositif n’est pas évoqué dans ces débats et, on l’a dit, ils ne figurent pas dans la nouvelle nomenclature de services et d’établissements issue de la période, qui inclut d’un côté des structures d’hébergement et de l’autre des services d’aide dans le logement, mais aucun dispositif d’accès à un logement individuel accompagné. Sans nécessairement chercher une

127 explication surdéterminant un état de fait en grande partie contingent – après tout pourquoi faudrait-il que la politique du handicap psychique encourage et encadre une forme d’appartement accompagnés ? – on peut néanmoins tenter d’expliquer cette lacune par les limites des approches du problème du logement dans les politiques du handicap.

De façon générale les questions de l’habitat et du logement des personnes handicapées apparaissent en effet peu et mal problématisée par ces dernières. Si la loi de 1975 consacre un chapitre entier à la question du travail, les aides et services concernant le logement sont distribuées dans les sections du texte concernant les prestations sociales auxquelles donne droit la reconnaissance du handicap d’une part et les dispositions visant à « favoriser la vie sociale des personnes handicapées », où elles concernent à la fois l’aménagement des locaux d’habitation et l’accès aux allocations de logement. La situation du logement n’est pas meilleure dans la loi de 2005 qui consacre un chapitre à l’accessibilité de la scolarité, un autre à celle de l’emploi et du travail, mais aborde l’accessibilité du logement par le seul biais de celle du bâti. Dans l’ensemble, le logement est ainsi abordé sous deux angles dans les deux lois et la réglementation qu’elles inspirent : d’un côté organiser l’accueil des personnes dans des structures d’hébergement accessibles financièrement et adaptées à leurs besoins en termes de soins ; de l’autre imposer une série de normes pour garantir l’accessibilité physique des logements et financer les adaptations nécessaires de logements individuels. La première approche se traduit par la mise en place d’un certain nombre de prestations sociales et par ailleurs la création d’une série de référentiels pour les établissements concernés. La seconde par l’édiction de recommandations à destination des architectes. Si la première approche permet effectivement le développement d’un secteur institutionnel riche – même si son adaptation aux besoins reste discutée -, les bilans existant sur l’accessibilité physique de l’habitat comme des espaces publics en soulignent les limites. Dans ces conditions il n’est pas surprenant que soient mal reconnus des dispositifs portant précisément sur l’accès au logement.

Ces limites n’empêchent pas la montée progressive d’une préoccupation dans les structures d’hébergement pour personnes souffrant d’un handicap et plus largement dans le champ du médico-social pour la question de l’habitat ou de l’habiter. Dès les années 1970 des expériences pionnières de foyers proposent à leurs résidents des studios voire de petits appartements qui leur permettent de disposer d’un espace privé qu’elles peuvent investir comme un logement personnel, tout en bénéficiant de services collectifs (Roussel et Sanchez, 2008). Ces premières initiatives sont contemporaines du programme

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d’« humanisation » des établissements de soin lancé par le ministère de la santé. Celui-ci promeut une série de normes visant notamment à moderniser les conditions d’hébergement dans ces établissements, dont la généralisation des chambres individuelles dans les hôpitaux et les hospices, mais il ne va pas cependant au bout de la réflexion sur le point précis de l’habitat. S’il s’agit en effet d’améliorer les conditions d’accueil collectif des personnes institutionnalisées, il n’est pas encore question de penser comme des lieux d’habitat les lieux de vie: la froide neutralité de cette expression, qui se généralise au tournant des années 1980, traduit le chemin à parcourir sur ce point. Les lieux de vie sont moins pensés comme les lieux d’une vie sociale que communautaire quand ce n’est pas biologique lorsque la réflexion des établissements se concentre sur la satisfaction de besoins élémentaires de leurs résidents. Pour partie, cette conception traduit la permanence d’une vision des structures d’hébergement comme des lieux refuge si ce n’est d’asile.

A cet égard les années 2000 voient se développer et se généraliser une préoccupation nouvelle pour la création de services et d’établissements permettant effectivement aux personnes d’exercer une capacité à habiter l’espace de leur logement. Le développement d’une abondante littérature grise sur le logement et l’habitat des personnes en situation de handicap constitue une série de standards qui imprègnent profondément les pratiques. D’un autre côté, si, on l’a dit, la réglementation accumulée dans le cadre des réformes de la loi sur les institutions sociales et médico-sociales et sur le handicap reste peu diserte sur ce point précis, l’esprit qui inspire ces réformes, qui insistent sur la nécessité de mettre les personnes en situation d’acteurs de leur vie sociale, favorise certainement ces perspectives. La période voit ainsi la multiplication des expériences d’habitats collectifs proposant aux personnes des formes d’hébergement ou de logement dans des structures collectives à la fois mieux insérées dans le tissu social et comprenant davantage d’espaces privés. C’est d’une part le développement des établissements de type maison-relais qui proposent des accueils des personnes dans appartements situés dans des immeubles où sont par ailleurs proposés une série de services collectifs, dont une surveillance minimale : issues du champ des personnes âgées – dont les institutions sont nettement en avance sur celles du champ du handicaps sur ces questions -, les maisons relais se diffusent dans le champ des personnes handicapées, y compris psychiques, à partir des années 2010. D’autre part, des opérations de rénovation conduites dans un certain nombre de foyer permettent d’en adapter les infrastructures pour en faire des lieux d’habitation. L’aboutissement du mouvement est la création d’un plan autonome en faveur de l’habitat inclusif dans la stratégie quinquennale de l’évolution de l’offre sociale et médico-sociale prise en 2016.

129 C’est dans ce mouvement que sont créées après 2000 les expériences d’appartements accompagnés s’inscrivant dans le champ du handicap psychique que nous avons rencontrées sur nos terrains. Pour leurs promoteurs il s’agit soit de créer des alternatives aux types d’hébergement proposés dans les foyers sociaux et médico-sociaux, soit d’organiser des services qui permettent d’accompagner la transition de certaines personnes de ces hébergements vers des logements indépendants. Dans telle association, l’expérimentation part du constat de l’existence d’une demande, chez certaines personnes hébergées dans d’autres structures de l’association, de formes d’habitat communautaires qui préservent leur liberté :

[Le président de l’association] est parti d'un constat en fait assez simple : c'est une personne qui est venue voir mon directeur et qui lui disait « moi j'aime bien ma liberté mais je ne veux pas vivre seul ». Comment trouver un compromis en fonction de ça, du repérage des besoins, que ce soit de professionnels de la psychiatrie ou de professionnels des établissements médico-sociaux, des nombreuses ruptures de parcours qu'on notait dans les parcours résidentiels des personnes qu'on accompagne ? Et bien c'était de trouver en fait un système qui serait hors les murs, aucune institution, sur la base du droit commun, avec un esprit de vie communautaire, on a pas inventé le fil à couper. [Educatrice spécialisée, appartements médico-sociaux, #20]

L’association gère à ce moment-là des places de résidence service et un SAVS, de sorte que les appartements accompagnés apparaissent comme une extension naturelle de ce travail en direction d’un petit volant de personnes qui ont d’autres besoins d’accompagnement. Celles-ci sont sous-locataires du service qui met à leur disposition un accompagnement financé par la Prestation de Compensation du Handicap, laquelle leur est attribuée par la MDPH dans le cadre d’un accord avec l’association. Dans ce cas, les promoteurs du service ont conscience d’inscrire leur travail dans les pas des expériences d’appartements associatifs de secteur, dont ils estiment revitaliser le modèle qu’ils perçoivent comme déclinant. Une expérience de foyer éclaté, installé dans des appartements loué à un office d’HLM s’inscrit dans la même perspective.

Par contraste une autre expérience de notre échantillon s’adresse aux personnes sortant d’un foyer résidentiel géré par l’association gestionnaire du service. L’ouverture des appartements découle dans ce cas d’une prise de conscience de la nécessité de créer un sas avant l’entrée, idéalement, dans un logement indépendant. Le séjour est limité à quelques mois qui doivent permettre à la personne et à l’équipe d’accompagnement de tester sa capacité à habiter.

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Plus encore que les appartements associatifs à visée thérapeutique des secteurs, ces services mettent en œuvre un esprit d’expérimentation qui doit permettre d’explorer d’autres standards de prise en charge dans le cadre de la politique du handicap. Au total ces