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Quantifier l’expansion des appartements accompagnés au cours des années 1980 et 1990 n’est pas simple. Aucune statistique officielle ne rend compte de façon même partielle du phénomène. Les enquêtes menées par les associations professionnelles, rares, sont le plus souvent limitées et revendiquent la sélection des informations. Quand elles prétendent à l’exhaustivité elles butent manifestement sur la difficulté du recueil et de l’exploitation des données. Dans les années 1980 l’ASEPSI publie ainsi une série d’enquêtes et annuaires qui recensent et décrivent plus ou moins précisément un certain nombre d’expériences mais en laisse manifestement un grand nombre de côté48. En 1980 l’association mentionne par exemple 311 structures intermédiaires parmi lesquelles, dans le champ de la psychiatrie adulte, un certain nombre d’appartements accompagnés, sans cependant donner de chiffre précis49. L’annuaire publié par l’association en 1984 recense 36 expériences d’appartements en psychiatrie adulte, celui de 1990 une trentaine. De façon significative 10 expériences recensées dans l’annuaire de 1984 sont portées par des adhérents de l’Unafam. Ces chiffres paraissent très en retrait sur l’existant. Un document du GERART publié en 1986 mentionne ainsi le chiffre plausible de 300 expériences environ. Les travaux de la DREES

48 L’association réalise une première enquête en 1978, puis une seconde en 1980. Cf. Decraene, Structures

intermédiaires, op. cit. note 24 ; CCI, Les structures intermédiaires. op. cit. note 35. A partir de 1980 l’ASEPSI publie

régulièrement un annuaire jusqu’à la fin des années 1980, la dernière version se trouvant dans le dernier numéro de la revue du mouvement, Transitions, n° 29-30, en 1990. L’enquête de 1980 repose sur un fichier constitué à partir des réponses à l’enquête précédente et des contacts pris dans les réunions de l’association. cf. Decraene, Id.

99 publiés au début des années 2000 indiquent que 56% des secteurs ont alors recours à des appartements associatifs (Coldéfy, 2007).

Au-delà de la dimension quantitative, les appartements accompagnés sont une vitrine de la dynamique d’innovation qui caractérise la psychiatrie de secteur tout au long des années 1980 et 1990. Les appartements figurent ainsi en bonne place dans le Guide des

innovations que publie en 1996 la Mission Nationale d’Appui en Santé Mentale, avec 5

exemples sur un total de 46 expériences rapportées par les auteurs50. Plus largement, les comptes rendus d’expériences publiés dans les revues ou les actes de journées autant que les descriptions succinctes données dans les annuaires, s’ils ne permettent pas toujours de se faire une idée de la nature précise des organisations et des pratiques, sont néanmoins suggestives de la diversité des approches et de l’inventivité qui anime les professionnels. Les uns et les autres reflètent surtout profondément la nature éminemment locale des expériences. Si les réseaux que l’on a décrits permettent de faire circuler des idées et si quelques standards sont progressivement mis en place au niveau local ou national, les appartements accompagnés restent des structures qui émergent d’une dynamique de mobilisation localisée et ne peuvent pas être réduites à un kit qu’il suffirait de monter en appliquant un mode d’emploi standardisé.

Ce constat peut être interprété comme un reflet de la balkanisation des pratiques de secteur diagnostiquée par la plupart des rapports depuis trente ans. Il traduit surtout le rapport spécifique des équipes de secteur à leurs pratiques et institutions. Pour ces dernières l’efficacité et la justesse des expériences doit être rapportée à leurs contextes d’implantation. Si des modèles peuvent circuler d’un secteur à l’autre, les bonnes pratiques doivent être négociées localement et ne peuvent être imposées de l’extérieur en référence à une norme transcendante. Cela implique que les équipes ne puissent se satisfaire du transfert en masse de pratiques et de techniques d’un site à un autre. La création des institutions de secteur est, profondément, un travail d’invention local qui repose sur la mobilisation des collectifs professionnels et des forces vives locales. Ces attitudes sont de toute évidence une conséquence des conditions institutionnelles et matérielles dans lesquelles les acteurs travaillent, qui les obligent, on l’a souligné plus haut, à composer avec des environnements locaux plus ou moins ouverts et favorables à leurs pratiques. Mais elles traduisent également une vision du métier encouragée au plus haut niveau par les textes encadrant le secteur, qui depuis les années 1970 insistent tous sur la nécessité de laisser libre cours à l’innovation et de se méfier de la standardisation. Si ces perspectives

50 Mission nationale d'appui en santé mentale, 1996, Soins psychiatriques: Guide des innovations, Thoiry, Heures de

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permettront, en positif, le développement d’un grand nombre de structures originales dans des conditions pourtant parfois peu favorables, elles auront des conséquences importantes pour la capacité des équipes faire vivre certaines expériences après le départ de leurs initiateurs. Ce point aura une influence déterminante sur le devenir du mouvement des appartements accompagnés.

Au-delà, si cet esprit s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui dans la psychiatrie – et qu’il reste encouragé dans les textes officiels organisant le champ de la santé mentale51 - il se déploie dans un contexte profondément renouvelé par les transformations survenues dans le courant des années 1990 et 2000 tant du côté de la psychiatrie que de celui du secteur social et médico-social et de la société en général.

Le tournant des années 2000 (1). Contraintes et mutations de la