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1. LA DEMANDE EN MOBILITE DES ACTIVITES

1.4 S TRATEGIES ECONOMIQUES ET TERRITORIALES DES ENTREPRISES EN MATIERE DE MOBILITE

Nous avons vu les critères fréquemment utilisés pour caractériser les profils de mobilité et d’accessibilité afin d’optimaliser l’utilisation des transports en commun. L’objectif de ces prochains paragraphes est d’explorer les stratégies développées par différents types d’établissements afin de mieux cerner les motifs qui les conduisent à choisir un site d’implantation.

Après un rapide survol des politiques de mobilité en lien avec les entreprises adoptées dans différents pays, nous analyserons plus particulièrement les modes d’organisation des entreprises. Ces modes d’organisation dépendent notamment de la nature de l’activité et du type de logique productive. Nous verrons que les choix opérés sont rarement décidés sans l’implication d’autres problématiques (contexte économique et institutionnel, organisation du travail,…). C’est pourquoi il est important de cerner ces différentes logiques avant de développer des mesures incitatives.

La structure du texte s’articulera donc autour de deux aspects majeurs : les contraintes logistiques des entreprises et la gestion des déplacements de leurs employés.

1.4.1 Survol des politiques de mobilité en lien avec les entreprises

Les pays anglo-saxons et d’Europe du Nord ont développé des approches centrées sur les entreprises dans la planification des déplacements urbains. En Grande-Bretagne, la ville de Nottingham a ainsi mis en place une mission de « Green Commuter Plan », plan écologique de transport de voyageurs, qui encourage les grandes entreprises à engager des plans de mobilité, grâce notamment, à l’appui technique d’un « mobility manager »3.

L’état néerlandais, par son Ministère de l’Aménagement, encourage pour sa part la création

« d’agences régionales de mobilité » travaillant en relation avec les employeurs.

En France, la loi sur l’air, considérant les entreprises comme les acteurs essentiels de la planification des déplacements urbains suppose un partenariat entre les collectivités locales et les employeurs implantés sur le territoire. Certaines entreprises mènent des actions qui contribuent à une limitation de la voiture individuelle (création d’un site intranet de covoiturage, navettes à la gare,…) mais pour la plupart d’entre elles, le mode d’accès des salariés au lieu de travail n’est pas une préoccupation majeure.

3 voir l’expérience de Nottingham, Castets B., « comment diminuer le recours à la voiture pour les déplacements entre le domicile et le travail. Etude de l’expérience britannique. Enseignements pour les agglomérations françaises », Nîmes, DDE du Gard, 1998, 70 p.

En l’absence d’obligations légales, comme par exemple, le « Commuter Program » aux Etats-Unis, ou le « Diagnostic mobilité »5 en Belgique, les raisons pouvant motiver les employeurs à s’intéresser à la question de la mobilité touchent davantage aux problémati-ques du recrutement et de la gestion de la main d’œuvre, de l’organisation du travail, de l’image et de la notoriété, de la rentabilité économique, …6.

1.4.2 Modes d’organisation et logique de production

L’évolution des formes de la concurrence sur de nombreux marchés, les changements intervenus dans la demande des consommateurs ou encore les différentes politiques publiques en matière de mobilité sont autant de facteurs incitant aujourd’hui les entreprises à s’inscrire dans de nouvelles stratégies à l’égard de la mobilité. Cependant, les études et recherches manquent pour analyser ces changements ; aucune typologie empirique n’éclaire, en particulier, la diversité des contextes professionnels.

Une enquête réalisée par une équipe de recherche du CREDOC entre 1999 et 20027 auprès d’une dizaine d’établissements a permis cependant de saisir certaines stratégies des firmes et d’identifier ainsi les conditions d’émergence d’une politique de mobilité dans les entreprises.

Nous verrons ainsi les deux principaux modes d’organisation qui ressortent de ces enquêtes et les critères de localisation qui en découlent. Nous identifierons enfin les circonstances pouvant avoir un impact sur les politiques de mobilité des entreprises à l’égard de leur personnel.

• Les modes d’organisation

L’évolution des pratiques organisationnelles en cours fait émerger deux modèles types, deux logiques productives qui co-existent au sein des entreprises : la logique « taylorienne flexibilisée » et la logique « cognitive ».

− La logique « taylorienne flexibilisée »

Le principe de ce type de production est « de concilier efficacité productive et production différenciée. Pour cela, l’entreprise développe sa flexibilité logistique par l’optimisation des flux. L’organisation générale obéit à une logique taylorienne de maîtrise des coûts. Cette organisation est rendue possible par un usage des technologies de l’information et de la communication (suivi des marchés, gestion des flux avec les clients et les fournisseurs,…) » (P. Moati, 2002, p.17).

Les entreprises à logique « taylorienne flexibilisée » continuent d’accorder de l’importance au critère de la minimisation des coûts dans leur choix de localisation, ce qui peut les conduire à des délocalisations. Toutefois, le souci de flexibilité les incite à prendre également en considération la capacité à répondre aux fluctuations de la demande. (P. Moati, 2002, p.27)

− La logique productive « cognitive »

Cette logique est fondée sur la capacité d’apprentissage et la création de facteurs de production spécifiques. Les entreprises cherchent à répondre à des besoins changeants par l’exploitation dynamique de connaissances. « Les entreprises tendent à se définir moins par rapport à des produits ou des équipements de production que relativement à des savoirs et des compétences » (P. Moati, 2002, p.27).

Ces typologies « simplifiées » ont le mérite de faciliter la lecture et la compréhension de la structuration du système productif mais ne doivent pas occulter la multiplicité des situations entre ces deux tendances.

• Les critères de localisation des activités économiques (contraintes logistiques) De manière parallèle à la mise en œuvre de ces pratiques organisationnelles, il est possible de déceler une certaine évolution générale des critères de localisation des entreprises. Ces critères, souvent d’ordre logistique, demeurent néanmoins variables d’une entreprise à l’autre, en fonction, notamment, de la nature de l’activité et selon le type de logique productive.

Les procédures adoptées par les firmes pour sélectionner les sites où elles s’implantent sont clairement hiérarchisées8. Les firmes commencent généralement par définir « une zone cible » de plus en plus définie à l’échelle continentale. Au sein de la zone cible, plusieurs sites sont sélectionnés « en fonction de leur propension à servir les objectifs de compétitivité spécifiques. C’est ensuite qu’entrent en considération des variables telles que la qualité des infrastructures et les caractéristiques du marché du travail (taille du marché, profils de main d’œuvre, niveau de salaire,… ».

− Objectif de flexibilité

Les considérations logistiques peuvent jouer un rôle important dans le choix de localisation de certains types d’activités : unités d’assemblage, entrepôts, plates-formes, production de produits pondéreux ou périssables,….Pour ces activités les critères d’implantation doivent leur permettre de répondre à la contrainte de performance logistique. Les territoires choisis devront alors les aider à améliorer leur flexibilité.

La capacité à atteindre le niveau de qualité de service logistique imposé aujourd’hui par les marchés tend à concentrer les implantations d’activités impliquées dans les flux logistiques, à proximité des grands axes de communication. Cette capacité à répondre à ces contraintes repose également sur l’organisation du processus de production, de l’existence locale de sous-traitants, des facilités mises en place par les autorités pour l’établissement de collaboration entre les entreprise d’un même secteur,….

− Objectif de réactivité et d’innovation

La réactivité des entreprises supposent que les évolutions de leur environnement soient détectées rapidement. Certains territoires peuvent offrir un meilleur accès à l’information que d’autres, ceux qui bénéficient d’un tissu économique à la fois dense et diversifié disposent d’un avantage.

Les entreprises en recherche d’innovation doivent s’implanter sur des territoires où circule la main-d’œuvre qualifiée, où la coopération entre firmes et institutions est favorable (proximité géographique, facilitation de communication,…).

8 voir enquêtes menées auprès des entreprises par l’équipe de recherche du CREDOC (juillet 2002).

− Objectif de minimisation des coûts

La logique développée dans ce cas résulte d’un arbitrage entre la minimisation des coûts de transport, des matières premières et des produits finis, et la minimisation du coût des facteurs de production immobiles (le travail). C’est ainsi que, dans les années 60-70, de grandes firmes industrielles (archétype de la firme fordienne) ont implanté des établisse-ments au cœur de vastes bassins d’emplois de main-d’œuvre peu qualifiée. Cette logique n’a pas disparu et continue de caractériser un grand nombre d’activités de main-d’œuvre exposées à une forte concurrence par les prix. Toutefois, l’espace de mise en œuvre s’est très nettement élargi grâce notamment à la baisse des coûts de transport des marchandises, aux opportunités offertes par les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication). Ce phénomène se traduit par « des délocalisations d’activités intensives en main-d’œuvre peu qualifiée dans les pays à bas salaire, les firmes concernées ne conservant sur le territoire national que les aspects de leur activité réclamant une main-d’œuvre qualifiée (les fonctions stratégiques) » (P. Moati, 2002, p.34).

• Mise en place de politiques de mobilité pour les déplacements du personnel

Comme nous l’avons vu dans les paragraphes précédents, l’établissement d’une politique de mobilité est rarement décidé sans l’implication d’autres problématiques (gestion de la main d’œuvre, de l’organisation du travail, de l’image et de la notoriété, de la rentabilité économique,…).

Nous énumérons ici les circonstances favorisant la mise en place de politiques de mobilité qui ont été identifiées lors de l’analyse des enquêtes réalisées auprès des entreprises9. Ces circonstances peuvent être liées :

− à une délocalisation

Une délocalisation courte (d’un cite urbain vers une implantation en première couronne, par exemple) a des implications sur les déplacements domicile-travail des salariés. L’entreprise délocalisée peut dès lors engager une réflexion sur les questions de mobilité afin de pallier les perturbations dans les déplacements de son personnel.

− à des problèmes immobiliers ou fonciers

Certaines entreprises (établissements en croissance) sont soumises à des contraintes de disponibilité foncière ou immobilière et doivent alors rationaliser leur espace. Ces entreprises ne désirent pas nécessairement déménager en raison d’une situation géographique stratégique (coopération avec d’autres entreprises, attractivité du centre ville,…). La rationalisation de l’espace peut concerner l’espace productif (bureaux, ateliers,…) ou les parkings mais n’aura pas alors les mêmes implications en terme de politique de mobilité (aménagement des horaires, télétravail, réduction du stationnement et de l’utilisation de la voiture individuelle,…)10.

− à la captation de la main-d’œuvre

Le besoin de mobilisation de la main d’œuvre est décrit comme étant historiquement le premier facteur ayant motivé la mise en place de politiques de mobilité. Le problème se pose quand l’établissement a des besoins en main-d’œuvre très importants par rapport aux capacités du bassin d’emploi local. Ce genre de situation est typiquement à l’origine de la mise en place de dispositifs de ramassage. Cependant, la diminution de l’emploi industriel, la diffusion des horaires variables, l’augmentation du taux de motorisation des ménages sont autant de facteurs ayant entraînés un recul de ce genre de pratique.

− à l’amélioration de la qualité de vie des salariés

L’objectif d’amélioration des conditions de vie et de travail des salariés passe également par le souci d’alléger la gestion des charges de la sphère privée, qui réduit leur disponibilité à la fois temporelle et intellectuelle11. De meilleures conditions de déplacement peuvent aider à améliorer la productivité des salariés. De fait, la mobilité vers le travail peut constituer une des cibles d’une stratégie d’« d’employée relationship managment » (ERM)12.

− à la mise en place d’une politique environnementale

Dans ce cas-ci, les politiques de mobilité sont conçues comme des leviers de sensibilisation du personnel à la politique environnementale, et participe ainsi au renforcement de la culture d’entreprise13. Cependant, l’engagement de telles politiques ne représente qu’un faible poids dans les stratégies des entreprises.