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3. ETAT DES LIEUX : LES APPROCHES SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES DES

3.4 ANALYSE D’UN PHENOMENE EN MUTATIONS

3.4.3 Mutations des comportements de mobilités : plus vite et plus loin

Nous avons comparé les constats avancés par des chercheurs, pour la plupart français et suisses, à ceux relatifs à la population wallonne détaillés sous le point 2. Nous prenons soin de souligner les spécificités du cas qui nous concerne en nous appuyant sur les données disponibles.

Dressons un aperçu des principales observations formulées de manière assez unanime.

D’une part, si les mobilités quotidiennes se transforment, leur durée moyenne reste constante. Les déplacements sont plus rapides, s’effectuent sur des distances plus longues, à des heures et selon des parcours plus variés. Ils poursuivent des trajectoires de moins en moins radioconcentriques et plus tangentielles par rapport aux zones les plus denses des villes. Les logiques de déplacements sont contrastées entre les jours de semaine et de week-end. S’esquisse donc sous nos yeux le tableau d’une mobilité fonctionnelle, multipolarisée, des comportements de mobilité variés tentant de concilier des programmes d’activité complexes .

D’autre part, les répartitions modales évoluent. On note une ferme régression des déplacements en 2 roues et à pied. En France, on observe une stagnation des déplace-ments en transports collectifs. En Wallonie, ils régressent nettement. Partout , la voiture continue de se tailler la part du lion et de gagner du terrain : l’accès à la voiture se généralise (plus de 8 ménages wallons sur 10 possèdent au moins une voiture) et s’individualise (en Wallonie, on observe simultanément une augmentation du taux de motorisation, qui croît quelque soit le type de contexte urbain, et un taux d’occupation des voitures faible, de 1,4615).

Ces constats ne doivent pas masquer une réalité complexe et confondre d’emblée individuation des modes de transport et individualisme. L’utilisation de l’automobile se pense aussi sur un mode collectif.

14 Initiales de l’expression « not in my backyard ».

15 cf. tableau 8 du point 2.3.1. du présent rapport.

En ce qui concerne la mobilité vers le travail, souvent citée en exemple, l’utilisation du train est en constante diminution en Wallonie, nettement concurrencée par la voiture, qu’elle soit utilisée en tant que passager ou que conducteur16. Pour ce qui est du transport scolaire, le choix varie notamment en fonction de l’âge des écoliers/étudiants. Pour la Wallonie, on peut en conclure qu’à l’exception de la voiture, qui passe de 48,20% à 60,8% entre 1981 et1991, l’utilisation de tous les modes de transports a régressé ces dernières années.

Mais il semble que ce soit en ce qui concerne les déplacements non-liés au travail ou à la scolarité que les différences de pratiques modales se marquent davantage : « La dépendance des wallons à l’égard de la voiture semble plus forte encore pour des motifs de loisirs, ballades, visites et affaires personnelles » (Hubert, Toint ; 2002 : 272).

Ainsi, alors que s’observe une augmentation de la durée et de la portée des flux pendulaires liés au travail (pour l’ensemble de la Belgique, la distance moyenne du domicile au lieu de travail est passée de 14,6 km en 1981 à 17,6km en 1991, la durée moyenne augmentant également)17, les déplacements vers le travail, rappelons-le, perdent de l’importance en nombre dans la globalité des déplacements quotidiens et correspondent approximativement à 24% de l’ensemble des déplacements au cours d’une journée ouvrable scolaire, suivis par le retour au domicile.

En terme de budget monétaire, les statistiques de 1996-199718 montrent pour les wallons une hausse importante des dépenses liées aux pratiques de mobilité, surtout imputable à l’élévation des dépenses consacrées aux transports souples et donc à mettre en lien avec l’élévation des taux de motorisation des ménages. 80% de dépenses supplémentaires accordé au poste « transport » du budget des ménages entre 1979 et 2000, sont consacrées à l’achat et à l’entretien de la voiture.

Aux constats énumérés précédemment d’évolution des répartitions modales, d’allongement des distances, de diversification des lieux de destination sont associés différents éléments d’explication.

Ainsi en est-il de l’ampleur du mouvement de péri urbanisation cité précédemment. Ce mouvement migratoire de type centrifuge modifie la géographie des déplacements. Pour de nombreux auteurs, cette remarquable évolution des mobilités résidentielles s’explique par la quête d’acquisition d’une maison individuelle, au prix d’un éloignement des infrastructures de transport, choix agissant sur les mobilités quotidiennes et les pratiques modales qui en découlent.

Nous avons vu que le choix du logement est à la croisée d’aspirations et de contraintes (offre, politiques d’aide, …). La diffusion du modèle de la maison individuelle de type pavillonnaire induit un choix de mode de vie qui s’accompagne d’une augmentation de la tension saptio-temporelle du quotidien (Andan, 1999). Kaufmann parle à cet effet de

« californisation » (en référence au mode de vie « californien » ou « rurbain », idéal-type renvoyant au modèle dominant individualiste démocratique qui en fait un mode de vie

Notons que, comme le dit la sociologue Benedikte Zitouni (2001), si certains ménages choisissent d’investir plus d’argent en mobilités compte tenu de leur choix de mode de vie,

« d’autres y sont vraisemblablement contraints par l’émergence des territoires-réseaux ».

Conservons cette hypothèse : l’évolution des modes de vie contemporains, les pratiques et modes de valorisation du territoire qui les caractérisent, les critères qui déterminent les choix de localisation résidentielle peuvent être mis en regard de profils de mobilités quotidiennes.

Nous tenterons de prouver sa validité au travers de l’approche empirique qui succèdera à cette synthèse théorique.

Passons maintenant à un autre type de facteurs d’explication des évolutions actuelles des comportements de mobilité quotidienne. De plusieurs sources différentes, on relève que les budgets-temps accordés au transport restent stables. Mentionnons déjà ici que ceci entre en contradiction avec les interprétations des statistiques disponibles pour la population wallonne qui indiquent une croissance des intervalles de temps consacrés au transport.

La « conjecture de Zahavi » ou « loi de constance des budgets-temps accordés au transport », évoquée par de nombreux auteurs, formule une « règle » qui exprime certaines spécificités de la situation actuelle. Lié aux progrès techniques réalisés dans la vitesse des transports, ce paradigme est le suivant : à budget-temps constant, l’élasticité, la portée spatiale des déplacements tend à croître. On imaginait que l’amélioration des infrastructures et l’amélioration des techniques vitesse réduiraient le temps passé dans les transports. Or il n’en est rien. Les gains de temps sur les mouvements sont réinvestis dans la dilatation de l’espace urbain. On observe une maximisation des distances parcourues sous contrainte de budget-temps et de revenus (différents pour la population motorisée et non motorisée) (Dupuy, 2000).

Cette conjecture illustre l’interdépendance entre les sphères d’activité : ce n’est pas parce que la pendularité maison-travail tend à perdre de son importance en termes de nombre de déplacements qui lui sont consacrés que la mobilité se tasse. Elle est réinjectée dans d’autres sphères selon un phénomène de vases communicants. Le paradigme de Zahavi illustre aussi potentiellement une mobilité résidentielle accrue vers des localisations plus éloignées des lieux de polarité du quotidien. Amélioration des infrastructures, des techniques, et possibilité donnée au plus grand nombre de se déplacer plus vite, plus loin, vers des destinations plus diversifiées n’ont pas dégagé du temps libre pour « faire autre chose ». Les individus habitent par exemple plus loin de leur lieu de travail, donc augmentent les portées de leurs mobilités. « L’étalement résidentiel et la restructuration des bassins d’emploi ont été amplifiés par des politiques privilégiant l’amélioration des réseaux de circulation permettant de rattraper en vitesse ce que l’on perdait en proximité »(M. Berger, T.

Saint-Gérand, 1999 ; in Baccaïni, 2002 :125).

Qu’en est-il pour le cas de la Wallonie ?

On observe, pour le cas wallon, une nette augmentation des distances parcourues. Toutefois le bilan des connaissances présenté précédemment mentionne une augmentation simultanée des budgets-temps accordés aux transports, ce qui invalide la thèse de Zahavi pour le cas Wallon. Il faut nous mettre en garde : l’idée de la stabilité des budgets-temps ne signifie pas qu’ils sont les mêmes pour tous, ni pour chacun au long d’une semaine, ni à travers les catégories socio-démographiques. D’ailleurs, alors qu’on observe une augmentation des distances parcourues, on observe aussi que, pour les wallons, les déplacements courts (de l’ordre de 30 min à 1h) augmentent (Hubert, Toint; 2002). La combinaison des distances et durées permet bel et bien de conclure que les déplacements vers le travail notamment s’effectuent à des vitesses qui ont crû ces 30 dernières années.

La loi de Zahavi consiste en réalité en une tendance générale, observée à un niveau supranational : « La valeur moyenne des budgets temps (consacrés aux déplacements) varie peu depuis plusieurs décennies dans nos pays » (Hubert, Toint ; 2002 :89). Ainsi, si cette conjoncture ne se vérifie pas dans le cas précis de la région wallonne, elle n’en exprime pas moins une évolution qui s’observe à une échelle plus vaste.

Concernant la place prise respectivement par les motifs de déplacement, nous ne saurions trop insister, avec d’autres chercheurs, sur l’importance de ne plus penser la mobilité quotidienne qu’en termes de pendularité travail/maison, mais d’élargir la perspective.

Comme il est dit dans la section consacrée au « bilan des connaissances sur les comporte-ments des ménages wallons en matière de mobilité quotidienne », les déplacecomporte-ments vers les lieux professionnels ou de scolarité sont globalement moins fréquents que ceux liés à des motifs sociaux, culturels ou domestiques. Parmi les autres motifs prépondérants, les achats et l’accompagnement occupent les premières positions.

Que justifie alors l’ampleur accordée à l’étude des déplacements liés au travail dans les recherches sur la mobilité? Plusieurs éléments d’explication sont à prendre en compte.

D’abord, l’importance prise par les mobilités liées au travail dans les analyses statistiques tient probablement, entre autres, aux problèmes de comptages, qui se complexifient dans le cas des déplacements liés à une pluralité de motifs. Cette importance ne traduit pas correctement la réalité, marquée au contraire par une diminution notable du travail comme générateur de mobilités. Cette diminution est à mettre en lien avec plusieurs facteurs : développement, dans nos sociétés, du non-travail ou du chômage, prolongement de la scolarité, vieillissement de la population et allongement de la durée de vie, flexibilité du temps de travail, travail à domicile, télétravail… L’ensemble de ces données nous invite à penser que le système de mobilité quotidienne ne peut être pensé uniquement sur le mode de la mobilité vers le travail. D’autant que les faits énoncés sont et seront de plus en plus des données incontournables de l’analyse sociale : le chômage et le travail précaire sont devenus des composantes « attendues » de toute carrière professionnelle et le vieillissement de la population est une tendance qu’il est improbable de voir s’inverser à court terme…

3.4.4 Evolution de la place des nœuds structurants de la mobilité