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2 Un nouvel environnement pour le transport ferroviaire ferroviaire

2.1 Évolutions institutionnelles et environnementales

2.1.1 Concurrence intermodale et évolution de la demande de transport

2.1.1.2 Transport de voyageurs

Le transport de voyageurs est constitué des deux sous-ensembles que sont le transport grande ligne et le transport régional et local31. La part modale du mode ferroviaire a décliné dans un contexte où le transport de voyageurs dans l’Union européenne s’est accru entre 1970 et 2000 en passant au total de 4118 à 6839 milliards de passagers-kilomètres (voir graphique 5). Cette augmentation a, dans sa grande majorité, profité à la voiture particulière qui est passée de 1588 à 3789 milliards de passagers-kilomètres en absorbant 80 % de la hausse des transports. Le transport ferroviaire a accru son volume de transport entre 1970 et 2000 de 217 à 303 milliards de passagers-kilomètres soit une progression de 39 %. Bien que le chemin de fer soit en expansion sa part modale décroît.

31 Il n’existe pas à notre connaissance d’information disponible sur les répartitions modales respectives ; les statistiques proposées par l’organisme Eurostat ne tiennent pas compte de cette distinction.

Graphique 5 : Transport de passagers par modes en milliards de passagers-kilomètres (UE-15)

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000

Voitures particulières 1588 2294 3196 3789

Autobus et autocars 271 350 370 413

Tram & metro 39 41 49 53

Chemins de fer 217 253 270 303

Transport aérien (intra-UE) 33 74 157 281

1970 1980 1990 2000

Source : Eurostat, Panorama of transport, Éditions 2003

Selon (Sauvant A., 2002), la demande de transport ferroviaire de voyageurs évolue dans le sens d’une élasticité plus prononcée vis-à-vis du revenu des ménages. Celle-ci était estimée à un niveau voisin de 0,9 en 2002. C’est une augmentation car une étude menée sur la période 1978-1992 trouvait en résultat compris entre 0,4 et 0,532. Cela en fait un bien « normal » davantage soumis à l’évolution de la croissance33. Les évolutions positives de l’activité économique sont ainsi annonciatrices d’un accroissement de la demande mais les périodes de faible croissance ou de recul entraînent une stagnation ou une diminution. Le chemin de fer est donc confronté à une demande davantage erratique. Cela pose des problèmes de gestion pour un mode de transport sujet à de lourdes immobilisations générant des coûts fixes souvent irréversibles. Guillaume Pépy, Directeur Délégué Clientèle de la SNCF s’est exprimé sur les inconvénients que cette volatilité peut poser pour la gestion des entreprises ferroviaires. « Imaginez qu’en cinq ans nous ayons augmenté le chiffre d’affaires Grande Ligne d’un tiers et les coûts dans

32 Les résultats de cette étude sont cités par (Sauvant A., 2002).

33 Selon l’expression d’Alain Sauvant.

les mêmes proportions. Au premier retournement de conjoncture, les coûts restent grossis d’un tiers alors que les recettes baissent, c’est le déficit assuré 34».

L’étude économique de la demande de transport de passagers utilise la notion de coût généralisé qui additionne le coût monétaire et le coût temporel (évalué en monnaie).

Seabright (2003) et Crozet (2004) dressent un panorama des domaines de validité du transport ferroviaire de voyageurs dont nous nous inspirons. En ce qui concerne les transports de longues distances, les principaux concurrents du mode ferroviaire sont la voiture individuelle et le transport aérien. Les caractéristiques de vitesse de ce dernier lui donnent un avantage pour les agents économiques accordant une forte valeur au temps. La voiture individuelle a bénéficié du développement des autoroutes qui lui permettent d’accéder à une vitesse moyenne égale ou supérieure au réseau ferroviaire classique. Ses avantages principaux résident dans sa flexibilité et dans son aptitude à fournir un voyage de porte à porte sans changer de moyen de transport. Elle est le mode de transport privilégié des familles mais aussi des commerciaux. Le développement de la grande vitesse ferroviaire a permis au chemin de fer de développer une offre pertinente auprès des voyageurs ayant une valeur de temps élevée. C’est le cas notamment, entre Lyon et Paris, où le temps de parcours du train est plus de deux fois moindre que celui de la voiture avec un confort supérieur à celui de l’avion. Cette innovation qui a accru la zone de pertinence du mode ferroviaire ne peut néanmoins concerner que des champs géographiques limités (Crozet Y., 2004). Elle permet de créer une offre compétitive entre les grandes villes européennes, mais elle perd progressivement de son pouvoir d’attraction quand le temps total de trajet dépasse trois heures. Les liaisons entre les grandes villes européennes, qui sont davantage distantes comme Paris- Rome, Paris-Madrid ou Paris-Francfort, demeurent l’apanage du mode aérien et ont, selon Crozet (2004) peu d’intérêt pour la grande vitesse ferroviaire.

La demande dans le transport grande ligne de voyageurs est majoritairement non-individualisée. Il peut néanmoins, selon les cas, exister une demande de service qui vient se greffer à la prestation ferroviaire, notamment dans le cas des dessertes de transport grande ligne les plus fréquentées. Cela peut concerner des systèmes de

34 SNCF, Les infos, n°172, Du 28 février au 13 mars 2003.

restauration, de réservation de taxi ou d’hôtels etc. Toutefois, il nous semble que ces éléments de personnalisation ne transforment pas en profondeur la façon de produire du transport ferroviaire. Il s’agit essentiellement d’une adjonction de services à l’existant qui laisse les fondamentaux de la production inchangés.

La configuration de marché est très différente dans le transport ferroviaire régional et local de voyageurs. Il n’existe pas, à notre connaissance, de statistique permettant de connaître la répartition modale au niveau européen mais ce segment est réputé comme étant très largement dominé par la voiture individuelle.

La demande évolue dans le sens où l’Europe voit le développement de processus institutionnels qui font émerger une demande collective au niveau des régions à travers la mise en place de mouvements de décentralisation de la gestion des transports régionaux et locaux35. Ce sont désormais, de façon croissante, les collectivités locales qui sont amenées à définir les schémas de mobilité de leurs territoires et notamment leurs volets ferroviaires. Auparavant, ceux-ci étaient le plus souvent sous les responsabilités des États qui en déléguaient l’organisation et la gestion aux entreprises ferroviaires. Les collectivités locales peuvent ainsi contractualiser avec les opérateurs de transport sur la base de services qu’ils ont eux-mêmes définis mais pour lesquels les entreprises ferroviaires peuvent être forces de proposition. Guihéry et Perez (1999) parlent d’une fédéralisation du transport ferroviaire régional de voyageurs. Cette décentralisation, qui permet le développement de politiques locales de transport souvent intermodales, amène une individualisation de la demande qui est amenée à diverger d’une région à l’autre.

35 Batisse F., 2001 et CERTU, La régionalisation des transports ferroviaires, Rapport d’étude, 2000

Tableau 3 : Décentralisation de la compétence d’organisation du transport ferroviaire régional de voyageurs en Europe36

Année Pays Evénement

1982 France La Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) instaure des conventions dites « à la marge » qui permettaient aux régions d’influer sur le service prévu par la SNCF.

1996 Allemagne Les Länder sont responsables de la planification, du financement et de l'exploitation des transports de proximité. Ceux-ci sont libres de décentraliser davantage en redéléguant la compétence d'autorité organisatrice aux districts ou aux communes

Avant la réforme, l’État fédéral versait une somme globale à la DB qui était censée couvrir les déficits liés au transport régional de voyageurs dans l’ensemble des lander. Cette dotation est désormais répartie entre les länder qui la reverse à la DB. . Les premiers souhaitent régulièrement une augmentation alors que le second souhaite une diminution.

1996 Suède Décentralisation de la responsabilité du transport collectif régional et local à 23 « County Public Transport Authority » (CPTA). Le matériel roulant ferroviaire leur est attribué. Les CPTA ont le choix entre une négociation directe avec l’opérateur historique SJ ou une procédure d’appel d’offres.

1997 Italie transfert aux vingt régions italiennes d’un certain nombre de compétences dont celle de l’organisation des transports ferroviaires régionaux avec un transfert de charges de l’État vers les régions.

Les régions doivent conclure avec les opérateurs de transport ferroviaires des « contrats de service » d’une durée maximum de 9 ans. Ils doivent garantir un rapport d’au moins 35 % entre les recettes du trafic et les charges d’exploitation incluant les charges d’exploitation.

1998 Pays-Bas Possibilité de décentraliser la responsabilité d’une ligne ferroviaire régionale de l’Etat vers l’autorité organisatrice (que ce soient les 12 provinces ou les 7 régions de la loi cadre, qui correspondent aux grandes agglomérations). De nombreuses lignes de ce réseau sont déficitaires. 33 d’entre elles, toutes non rentables, ont donc été regroupées dans ce qui s’appelle «le secteur des contrats». Pour ces lignes, les autorités organisatrices qui le souhaitent, peuvent soit lancer des appels d’offres, soit signer un contrat de gré à gré avec un autre exploitant que les NS.

Suède Le réseau ferroviaire à vocation régionale a été divisé en 24 sous-réseaux gérés par des autorités organisatrices de transport locales pour le transport de voyageurs

36 L’Espagne n’apparaît pas dans le tableau qui suit car son système ferroviaire a historiquement une structure relativement régionalisée (Batisse F., 2001). La Grande-Bretagne ne figure également pas dans ce tableau étant donné que les mécanismes d’attribution des concessions est géré par le Strategic Rail Authority même si les gestions de certaines franchises ont été décentralisées.

2.1.1.3 Conclusion

Nous pouvons tirer un certain nombre de conclusions à partir des éléments avancés précédemment. La première est que les parts de marché du transport ferroviaire se sont réduites en Europe depuis 1970, date pour laquelle nous possédons des statistiques, à la fois dans les transports de fret et de voyageurs. En valeur absolu, le chemin de fer a régressé ou stagné dans un contexte de croissance des transports. Cela semble donc marquer une inadaptation du chemin de fer et/ou de son mode d’organisation dans un nouvel environnement.

La seconde conclusion, qui est particulièrement importante pour notre étude, est que les prestations demandées aux opérateurs ferroviaires ne sont manifestement plus les mêmes et que cela peut avoir un impact sur la concurrence entre les opérateurs historiques et les nouveaux entrants. Stoffaës C (1998, P.29) notait que « les attentes des usagers ont profondément évolué. On attendait hier des services publics la fourniture d’un service de masse, indifférencié et à bon marché – voire gratuit-.

L’économie de pénurie a disparu depuis longtemps. L’usager est devenu un client. Le consumérisme individuel comme le consumérisme d’entreprise réclament aujourd’hui des prestations qui soient davantage différenciées pour répondre aux besoins individuels des clients, des services à valeur ajoutée et un traitement sur mesure, qui réclament des offres multiples donc concurrentes ».

Les régions prennent possession de leurs transports ferroviaires et demandent aux opérateurs des prestations qui sont marquées territorialement. Les capacités d’adaptation que peuvent avoir de nouvelles structures sont susceptibles de constituer des facteurs-clefs de succès dans ce nouveau cadre. Néanmoins, les opérateurs historiques ont une longue expérience de l’exploitation des réseaux régionaux qui peut s’avérer déterminante. La configuration est donc ambiguë mais semble fournir des éléments de pertinence pour de nouveaux opérateurs.

Le transport de fret a évolué en fonction de la nature des marchandises transportées et des changements de comportements logistiques des chargeurs qui demandent une qualité accrue et une personnalisation de la prestation. Ici encore, les capacités d’adaptation de nouvelles structures semblent constituer un avantage, notamment dans

le cadre de trajet de point à point qui permettent d’éviter la complexité de la constitution d’effets de réseaux. Face à elles, les opérateurs historiques, de par leurs organisations, sont peut-être moins à même de fournir une offre personnalisée mais ils sont probablement davantage capable de gérer des flux massifiés le long des grands corridors. Nous pouvons imaginer un scénario dans lequel les opérateurs historiques se concentreraient sur des grands axes permettant une massification en valorisant ainsi leurs compétences accumulées. En revanche, les nouveaux opérateurs opéreraient sur des trafics de point à point en faisant valoir des capacités d’adaptation.

Les voyageurs dans le transport de grande ligne ont un comportement plus erratique, même si cette demande semble rester pour l’essentiel peu individualisée. Si nous posons que les opérateurs historiques sont davantage adaptés pour effectuer des missions routinières, le transport grande ligne de voyageurs, qui reste encore peu individualisé et sur lequel ils peuvent valoriser leurs compétences techniques peut constituer, pour eux, un terrain d’excellence.

La troisième conclusion est que la question de l’égalité de traitement devant le service