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CHAPITRE II : LE TRAUMATISME : CONTROVERSE DES

2.7. Transmission transgénérationnelle du traumatisme

2.7.4. La transmission transgénérationnelle du traumatisme selon le point de vue

Le point important de la transmission transgénérationnelle du traumatisme n’est pas seulement concentré sur l’effet des conséquences des souvenirs de l’événement traumatique ou du vécu qui l’a accompagné, mais l'essentiel est de pointer sur les réponses au

traumatisme, la réélaboration après l’événement et les défenses transpersonnelles mises en

œuvre par la famille et par ses membres (Nicolo et Strintina, 2007).

Comme nous l'avons évoqué précédemment, nous faisons référence au travail freudien qui considère toujours que ce qui fait le traumatisme chez un sujet ce n’est pas un événement externe, mais ce que cet événement externe produit chez lui-même (sujet) : rencontre avec le fantasme, répétition d’autres situations antérieures vécues comme des événements traumatiques. Cet événement (pas seulement cet événement, mais aussi les autres traumatismes, et les excitations développées antérieurement qui y sont incluses en déclenchant de l'angoisse) provoquent un grand dérangement chez le sujet. Pour répondre à ces conflits, au plan de l’économie énergétique, tant de l’organisme que du psychisme, le sujet mobilise tous les mécanismes des défenses possibles pour protéger le Moi.

Comme le sujet fait partie d'une famille et qu'il y a de l’interaction transpersonnelle, alors on considère ces défenses comme les défenses transpersonnelles qui se transmettent de génération en génération.

Les défenses transpersonnelles sont définies par Nicolo & Strinati (2007) comme un produit collectif, stable dans le temps, organisé par deux ou plusieurs membres de la famille pour surmonter des sentiments intolérables (l’angoisse, les terreurs, les craintes d’anéantissement ou de morcellement de la famille ou d’un de ses membres).

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Le traumatisme empêche la capacité de contenant d’une personne, d’une famille et cette capacité ne peut pas s’exprimer à ce moment-là ; elle est transmise à la génération suivante, c’est-à-dire qu'elle est déplacée dans le temps et dans l’espace (Nicolo & Strinati, 2007).

Ce déplacement est considéré comme un mécanisme de défense qui contribue au transport transgénérationnel. Selon Meltzer (1972 cité par Nicolo & Strinati, 2007), les mécanismes de défense existent en deux sortes, la première renvoie à l’ignorance de la

souffrance psychique et la deuxième est pour se libérer de cette souffrance en la transportant

dans différents objets du monde extérieur (l’autrui).

Ces types des mécanismes défensifs sont expliqués par les différences de forme de l’image psychique comme l'affect, la représentation, le sentiment, le fantasmatique et les comportements qu’on peut repérer dans le cadre de l’entretien clinique. Ils ne se mobilisent pas seulement sous forme de l’identification projective massive, mais plutôt c’est un mécanisme qui est très complexe et qui est la base du transport de la souffrance psychique sur autrui (partenaire ou l’enfant) (ibid). « Le mécanisme de déplacement de la souffrance sur

l’autre se trouve dans la transmission transgénérationnelle à travers laquelle la souffrance non-pensée, imprésentable à cause d’un traumatisme subi est déplacée dans un autre lieu et un autre temps » (Nicolo & Strinati, 2007.p 68).

En répondant à ce mécanisme de déplacement du traumatisme, chacun dans la famille fait comprendre, interpréter, mêler cette complicité et joue son rôle dans la construction de cette modalité pathologique tant en ce qui concerne son origine que sa perpétuation.

Chacun des membres de la famille y réagit de manière différente selon sa structure de personnalité et ses capacités : soit il garde en lui sa souffrance, soit il la projette vers l'autre. Selon Granjon (2010), il existe deux sortes de transmission transgénérationnelle :

- la première sorte constituée de contenus, mais aussi de processus psychiques élaborés ce qu’il appelle la transmission transgénérationelle positive qui renvoie à la représentation, aux affects, aux mécanismes d’identification, de symbolisation, à la défense, à l’élaboration, aux mythes, aux imagos… soit autant de matériaux qui fonderont la construction psychique individuelle et que le sujet s’appropriera par l’identification introjective, et cette démarche s’accompagne par un processus de transformation et de symbolisation, intergénérationelle ;

- la deuxième renvoie à la transmission trangénérationnelle négative qui consiste en la constitution de contenus et de contenants archaïques (le non-dit, le secret, le caché, le

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fantasme, le défaut, le nié, le dénié, le projeté et tout ce que ne peut pas s’inscrire dans le psychique).

En synthèse de ces travaux théoriques sur le traumatisme et sur les débats qu'ils suscitent nous arrivons à souligner qu’il existe au Cambodge des travaux sur le concept de

traumatisme mais dans lesquels c’est l’intérêt des l’ONG anglo-saxonnes, surtout

américaines impliquées dans ces travaux qui prévaut. En effet les nombreuses ONG ont joué un rôle de substitut de l'état pour prendre en charge la maladie mentale des Cambodgiens, suite à la volonté politique du Gouvernement Cambodgien qui mesure visiblement que la guerre et le génocide des Khmers Rouges ont des impacts sur la santé physique et mentale des gens du pays, si bien que la mise en place des interventions vis-à-vis des problèmes psychologiques est reconnue pour répondre aux besoins du peuple cambodgien. De ce fait, ces ONG opérationnalisent leurs actions en fonction de leur subvention, des fois avec une durée à court terme et également en fonction de leur conception théorique ; au plan du traitement de la maladie mentale, la question du diagnostic se fait sur le modèle de la classification des signes et des symptômes et les traitements sont faits sous forme de conseils et de programmes cognitivo-comportementaux afin de supprimer les symptômes, comme dans le modèle de prise en charge des psychiatres américains auprès des militaires américains accueillis au retour de la guerre du Vietnam et aussi du Cambodge mais la réinsertion sociale de ces militaires rappelons-le fut un échec, au point de poser un véritable problème de société, et que c’est seulement la nosographie du diagnostic des troubles mentaux elle-même qui a été révisée.

Par contre le travail de l’écoute approfondie de la souffrance singulière du sujet en comptant la dimension historique-culturelle est toujours attendue.

Le mouvement du modèle univoque de la théorique traumatique a imprégné très vite le métier de la psychologie au Cambodge via des raisons diverses : les interventions des enseignants - influencés par ce courant théorique - dans les enseignements de la psychologie de l'Université au Cambodge, le marché du travail des jeunes diplômés de la psychologie auprès de ces ONG, les gratifications pécuniaires conséquentes de ces ONG à tous les niveaux de la société ou dans le cadre de stage des étudiants de la psychologie dans ces établissements... en l’absence de controverse sur les modèles théoriques existant pourtant dans ce domaine.

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Cependant, les gens cambodgiens cherchent des ressources traditionnelles dont le bonze, le Krou Khmer, le médium... pour démêler les difficultés psychiques

En ce qui concerne l’impact du génocide des Khmers Rouges c’est plutôt par la littérature spécialisée étrangère, et avec elle des perspectives théoriques et éthiques diverses, que s’est ouverte la recherche, la population réfugiée du Sud-Est Asiatique ayant amplement questionné les chercheurs des Etats-Unis et d’Europe, mais également désormais ceux de la 2ième génération : c’est ainsi que Kinzie & al (1990) aux Etats-Unis ont cherché à analyser les significations dans la prévalence des désordres post-traumatiques ; Fiel (2011) et son équipe de Palo Alto s’appuient sur la théorie de l’attachement pour comprendre les troubles de la 2ième génération.

Dans une perspective résolument située dans la clinique du sujet, Lescarret & Bertrand (2003) mettent à jour les mécanismes psychologiques, souvent inconscients, qui viennent entraver la scolarisation en France des enfants réfugiés du Sud-Est asiatique ; la Française Waintrater (2003) montre comment, à partir de sa pratique de psychanalyste, le fait de témoigner permet au sujet de sortir de l'impact du génocide (de l’Holocauste, du Rwanda, des Khmers Rouges) et ainsi de réapprendre à vivre ; Dequesne (2005) s’appuie sur la théorie de la résilience pour considérer l’expérience migratoire comme à la fois source de douleur liée à la rupture et également comme tuteur de résilience pour survivre et vivre ; Lebigot (2005) pour sa part propose des voies de prise en charge clinique pour traiter les traumatismes psychiques.

Très peu de chercheurs cambodgiens ont jusqu’ici formalisé une lecture clinique de cette souffrance psychique, il faut attendre le travail initial de Op (2008) centré sur la

souffrance d’une adolescente en grande difficulté suite à la maltraitance25, pour que

commence à se relier le niveau descriptif des symptômes à celui plus complexe de l’élaboration psychique ayant conduit à ces symptômes, ces formations de l’inconscient étant alors considérées comme des paroles bâillonnées (Lacan, 1966).

A partir du débat théorique sur le traumatisme, cela nous permet de souligner qu'il existe plusieurs conceptions du traumatisme autres que le modèle symptomatologique qui définit le traumatisme psychique comme l'état à l'origine du concept de stress, ce modèle est

moins délicate parce qu'il donne l'importance sur l'évènement externe en considérant ce

dernier à l'origine du traumatisme chez le sujet. Par contre d'autres modèles comme le modèle psychanalytique se dégage de l'image actuelle du traumatisme fournie par les classifications

25 et à sa suite d'autres auteurs de mémoires de Master de psychologie clinique : Ret, Th. (2009) ; Choeun, M. (2013) ; Hun, J. (2010) ;

Heng, Chh. (2011) ; Try, D. (2011) ; But, Th. (2011) ; Pil, Ch. (2013) ; Sar, S. (2013) ; Heng, S. (2014) ; Van, Ch. (2014) ; Sem, Ch. (2014) ; Saut, R. (2015)

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psychiatriques, pour s'intéresser à des ruptures, à des moments sensibles dans la structuration du sujet ou dans le développement psychique : ce modèle montre que le traumatisme est indissociable du psychisme humain, autrement dit que le traumatisme psychique interroge l'homme sur sa représentation de la mort : Freud (1895-1939) définit le traumatisme comme

pan-traumatisme dans la théorie sexuelle, la théorie sexuelle étant, dans la pensé freudienne,

le développement psychique dans son ensemble bien au-delà de la seule génitalité ; et enrichissant ces avancées retenons les concepts de Ferenczi (1873-1933), la confusion des

langues ; Balint (1896-1970), le défaut fondamental ; Lacan (1901-1981), la rencontre manquée (avec le réel) ou le trou dans le réel, et Winnicott (1896-1971) la rupture de l'idéalisation de l'objet (les conduites de la mère).

Enfin notre recherche met l'accent important sur l'approche mixte qui tisse l'approche psychanalytique et l'approche phénoménologique (Crocq, 1999 ; Barrois, 1988 ; Lebigot, 2001) et qui décrivent que le traumatisme psychique est la question du sens d'une rencontre

manquée avec le réel de la mort, mais également ce qui en résulte, à savoir le bouleversement

profond de l'être dans ses rapports au monde et avec lui-même (Crocq, 1999). Ce courant, dans la théorie comme dans la clinique, s'est intéressé aux expériences vécues dont le sujet construit le récit, aux rapport entre le réel et la parole pour souligner qu'il y a traumatisme lorsqu’un fait, un élément brutal du réel, entre en opposition avec un dire concret dans l'histoire du sujet (Pedinielli & Mariage, 2015).

Au plan clinique, Crocq (2012) explique le non-sens du traumatique " c'est le réel

brut de la mort et du néant qui n'a pas eu le temps d'être habillé en réalité sensée, faute de représentation mentale de cette mort advenant, pour la bonne raison qu'il n'y a jamais eu de présentation préalable" (ibid. p, 186).

Déjà dans son travail, Janet (1895-1947) proposait d'élaborer le traumatisme psychique ainsi : par le fait de l'intégration du souvenir traumatique (reconstruit) dans l'histoire de la vie, de le ranger dans l'histoire de notre vie que nous construisons sans cesse et qui est un élément essentiel de notre personnalité... comme chapitre de notre propre histoire.

Crocq (2012), inspiré de la théorie freudienne (le travail de parole, le travail du rêve, le travail de deuil) explique que pour sortir du traumatisme psychique, la réélaboration signifiante est essentielle ; c'est ici qu'il faut souligner avec De Léonardis & Lescarret (1986), fonction essentielle de la représentation mentale, dans le domaine de notre étude redonne le

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sens à l'événement traumatique afin de l'intégrer dans l'histoire de vie du sujet (Martineau,

2012), et cette réélaboration va s'effectuer par la parole (Lacan, 1953).

Il importe alors de saisir comment la théorie de la représentation (ibid., 1986), la dynamique du processus psychique de représentation articulée au rôle du langage, peut permettre au sujet de se dégager de l'emprise du traumatisme.

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CHAPITRE III : CONSTRUCTION DU SENS, REPRESENTATION ET