• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE IV : ADOLESCENT ET PROJET DE VIE

4.3. La construction de soi de l’adolescent dans le milieu culturel cambodgien

4.3.1. L’adolescence : du contexte cambodgien traditionnel au contexte actuel

A partir du 20ème siècle le rituel de la pénombre a été de moins en moins pratiqué dans le contexte actuel du Cambodge, mais il est encore pratiqué à la campagne. Il est moins pratiqué parce que : les filles vont à l’école où elles peuvent apprendre non seulement les choses indiquées dans ce rituel mais aussi la connaissance générale et professionnelle de manière organisée (avec des certificats de validation, des diplômes…). Autre raison, grâce à la technologie ou au développement industriel, les femmes peuvent trouver des produits modernes pour les soins de beauté.

Par ailleurs, l’habitude pour le garçon du passage par la vie de bonze pour entrer dans l’âge adulte a changé. Les garçons comme les filles vont à l’école pour apprendre non seulement la connaissance générale mais aussi la connaissance de la morale, des valeurs, de la religion, de la culture et de la profession.

Selon TRANG Gnea, auteur de nombreux ouvrages sur la culture khmère (Trang, 1974), la mentalité ancienne du peuple cambodgien avec l’influence de la culture chinoise disait que « l’homme est toujours plus important que la femme ». Avec cette conception, bien évidemment, pendant la fête du mariage traditionnelle khmère (qui durait 2 jours), il y avait un des rituels dans lequel, au début de la cérémonie la femme devait laver les pieds de l’homme et s'occuper du mari comme une femme de ménage, cela était comme une preuve que l’homme dans ce contexte était plus important que la femme. En conséquence, l'une des causes de la violence conjugale cambodgienne a été située dans cette conception selon laquelle « l’homme [serait) plus important que femme » (ibid.). Mais depuis 2014 ce rituel (laver les pieds de l’homme) a été enlevé pour la cérémonie du mariage par le Ministère de la

110

Culture et des Beaux-Arts suite à l’augmentation de critiques par les Cambodgiens afin de promouvoir les droits de la femme.

Antérieurement, l’inégalité de valeur entre l’homme et la femme était marquée dans la société cambodgienne à savoir que la « tâche de la femme n'était qu’autour de la cuisine, une

femme ne peut pas quitter la cuisine » tandis qu'on donnait l'importance au travail de

l'homme à l’extérieur. Cette pensée signifie que les femmes ne devaient s'occuper que du travail à la maison (garder les enfants, faire le ménage...etc.), que les hommes étaient forts, intelligents et qu’ils pouvaient travailler à l’extérieur pour assurer l’économie familiale. A cause de cette pensée, les femmes n’avaient pas assez de liberté pour aller faire des études éloignées de la maison, on disait que l’apprentissage scolaire des femmes était donné au strict minimum et était dévalorisé. La pensée ancienne relevait que l’éducation de la femme ne servait à rien parce qu'à la fin elle devait travailler à la maison. Cela empêchait l'égalité d'éducation entre l’homme et la femme, en conséquence à l’heure actuelle il y a encore beaucoup plus d'hommes que de femmes qui travaillent dans un cadre professionnel.

Mais depuis une dizaine d’années, la lutte contre cette pensée est organisée à tous les niveaux afin d’intégrer le courant des droits de l’homme. A partir de là, nous remarquons que tant l'homme que la femme ont la même possibilité de s'impliquer et de s'intégrer dans tous les domaines du pays.

Par ailleurs, la pensée cambodgienne dit que « les adultes sont toujours raisonnables

et l’enfant doit absolument leur obéir » (Trang, 1974). Au contraire, on dit « la parole des jeunes n'est pas importante ». A cause de cela dans la société cambodgienne la parole de

l’adolescent n’est pas reconnue par les adultes parce qu'on pense qu’elle n’est pas aussi importante ou que c’est une parole de non-sens.

Comme nous l'avons évoqué 90 % de la population cambodgienne suivent le bouddhisme Theravada. En conséquence l’éducation parentale fait référence au concept de Karma (les âmes des morts viennent se placer dans la nouvelle naissance, elles viennent attraper le nouveau-né - chap chiet), et elle s’inscrit dans la mentalité des jeunes actuels. En conséquence également, le jeune doit porter son image d’enfant ayant de la piété filiale et il doit faire du bien à ses parents parce qu’il croit effectivement que s’il fait du bien pour ses parents, il recevra du bien, et son enfant (ou son futur enfant) fera comme lui en prenant son modèle de piété filiale. Au contraire, s’il fait du mal aux parents ou aux autres, il recevra du mal dans la vie présente et aussi pour la prochaine vie (il renaîtra dans l’enfer ou dans la vie

111

d'animaux divers en fonction de son Karma), de plus son enfant (ou son futur enfant) lui fera du mal comme il l'a fait à ses parents.

Dans la culture cambodgienne, le concept de virginité est toujours influent dans la pensée sociale et individuelle sur l’adolescent, mais l'aspect est différent en fonction du sexe de la personne. Selon le discours général, la valeur de la virginité est strictement pour la fille. Dans ce sens, on compare le jeune homme à de l’or et la jeune fille à un tissu blanc. Alors, lorsque l’or est tombé dans la boue, on peut le laver et il devient propre, au contraire, pour le tissu blanc, on ne peut pas le faire redevenir propre comme à l'origine.

C’est la métaphore qui souligne que si l’homme a eu un rapport sexuel avant le mariage, ce n’est pas bien grave, c'est comme l’or. Au contraire, si la jeune fille a perdu la virginité avant le mariage et qu’on le sait, elle est considérée comme une personne qui n’a pas de valeur en tant que femme, elle est comme le tissu blanc qui se retrouve dans la boue. Elle doit être gravement critiquée pour avoir sacrifié sa virginité. Notons que dans la société cambodgienne, la valeur de la virginité est restée importante pour la fille. La norme sociale actuelle continue à interdire strictement aux jeunes cambodgiens d’avoir un rapport sexuel avant le mariage, surtout chez la fille.

Notre pratique clinique affirme que l’un des facteurs provoquant la dépression, l’anxiété et le suicide chez les jeunes filles cambodgiennes est la séparation dans la relation amoureuse alors que la virginité a été sacrifiée : elles auront beaucoup de difficulté à retrouver un amoureux.

4.3.1.1. La pensée négative du peuple cambodgien sur l’adolescent

Selon la littérature scientifique occidentale, l’adolescence est le moment du conflit à la fois interne (conflit contre lui-même) et externe (contre ses proches, ses parents…etc.).

Au Cambodge l’adolescence est le moment le plus contrôlé par les parents ou le plus répressif parce qu’ils pensent que dans ce stade de vie, le jeune est beaucoup plus à risques du fait de ses actes (mise en danger, passage à l'acte, toxicomanie...) par le déclenchement de son fantasme, de son imagination, de son angoisse et sa pulsion sexuelle. En plus, dans ce stade, le jeune n'a pas assez de ressources internes propres pour dépasser ses conflits. Alors les parents le suivent très strictement pour qu’il puisse être dans le bon chemin de la vie, tandis que le jeune a besoin de liberté et que certains jeunes n'acceptent pas la loi parentale (autoritarisme, interdit strict, avec projection possible de l'angoisse parentale sur l'adolescent)

112

cela provoque des conflits parent-adolescent cambodgien (Op, 2008). Dans ce cas-là, il existe deux voies possibles pour l'adolescent en réaction à la loi parentale : soit le jeune suit cette loi ou ce modèle éducatif parental au nom de la piété filiale (កូនកត�ិ���), soit au contraire l’enfant n’accepte pas et dénie cette loi ou les conduites répressives parentales, alors les conflits parent-adolescent apparaissent. En réaction à ces conflits, le jeune cherche des moyens pour se libérer, parfois en quittant la maison et en se débrouillant pour vivre à l’extérieur avec ses amis, il peut s'agir alors d'« enfant hors la loi ou d’enfant en dehors de la

société ». Sans soutien par l’Etat et la famille, au fur et à mesure, ce jeune développe des

problèmes dans la société cambodgienne tels que : la toxicomanie, la prostitution, le vol... Le pré-jugement ou le jugement négatif donnant une image négative de l’adolescent cambodgien existe chez certains Cambodgiens sans tenir compte de l’histoire singulière : par exemple le toxicomane n'est pas considéré comme une victime mais comme une personne hors-la-loi, cette représentation sociale est déterminée et indiscutable. Il y a dans le langage certaines expressions qui signifient l'image négative de l’adolescent :

- Khmeng Cheam Rev (les jeunes ayant le sang chaud) - Khmeng Tong neung (les jeunes délinquants)32

- Khmeng pel (les jeunes hors-la-loi).

Ces expressions sont accordées aux jeunes quittant la famille en raison de conflits familiaux : les jeunes habitant dans les rues, les jeunes défavorisés, les jeunes toxicomanes, prostitués, etc. Le jugement négatif sur l’adolescent se base sur son apparence (cheveux longs pour les garçons, habillés de manière bizarre...) et aussi sur ses paroles et ses conduites estimées mauvaises.

4.3.1.2. La pensée positive sur l’adolescent

Grâce au développement des Technologies de l’Information et de la Communication telles que internet, facebook…etc, l’adolescent a l’occasion de présenter ses propres voies, ses propres intérêts et ses propres besoins via ces médias. Les jeunes se mobilisent en créant un groupe, une association pour faciliter la communication entre eux. En raison de sa mobilisation, l’adolescent est devenu un objet d’intérêt croissant dans la politique, le marché commercial, le programme national d’éducation et dans le projet des organisations non- gouvernementales (ONG).

113

Dans la culture cambodgienne, on compare le jeune au bambou en disant « la pousse

de bambou va remplacer les vieux bambous dans l’avenir proche ». Dans ce sens, on

considère que le jeune est une ressource capitale qui va prendre son tour et remplacer les personnes plus âgées, et en tant que dirigeants du pays vers le développement. Alors, tant l’Etat que les ONG s’occupent des jeunes afin qu’ils soient de bons bambous avec le torse droit et solide et qu’ils remplacent les vieux bambous.

De ce fait, des modifications des programmes d’études depuis le niveau de la connaissance fondamentale (connaissance générale) jusqu'au niveau supérieur sont effectuées pour s'adapter aux changements socio-économiques (l’intégration dans la communauté ASEAN par exemple) et pour répondre aux besoins des jeunes. Le Ministère de l'Education de la Jeunesse et des Sports en coopération avec ses partenaires (ONG) a ajouté la question de la santé sexuelle et des maladies transmissibles (Sida, etc) dans le programme d’étude pour que le jeune apprenne la prévention et aussi l’intervention. De plus la question de la toxicomanie est aussi intégrée dans le programme éducatif national pour que l’adolescent puisse la comprendre.

Depuis une dizaine d’années, la méthode l’apprentissage centrée sur les élèves (l’éducation sans punir, l’écoute) est mise en place au Cambodge et remplace la modèle

centrée sur l’enseignant, cela dans le but d'encourager les jeunes à penser, à réfléchir et à

exprimer leurs propres capacités. Cela permet à l’enseignant également de mieux comprendre le problème psycho-social d’élève.

Récemment, grâce à la coopération universitaire et professionnelle Toulouse-Phnom Penh-Hanoi et parce que cette coopération a produit une trentaine de psychologues cliniciens cambodgiens, nous pensons mettre en place la psychologie scolaire dans les écoles, à tous les niveaux de la scolarité pour prendre en charge les élèves qui ont des problèmes psychiques mais aussi pour répondre à la question de l’orientation professionnelle. Cette trentaine de psychologues cliniciens travaille pour la plupart dans des ONG pour des programmes de soutien psychothérapeutique et certains travaillent dans des établissements de l’enseignement supérieur en tant qu’enseignants de la psychologie. De plus l'Etat cambodgien, en coopération avec ses partenaires, met en œuvre le centre d’accueil des jeunes toxicomanes et ce programme est en route pour s’élargir.