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CHAPITRE IV : ADOLESCENT ET PROJET DE VIE

4.3. La construction de soi de l’adolescent dans le milieu culturel cambodgien

4.3.3. La santé mentale et la crise de l’adolescent cambodgienne

Comme la psychologie est un nouveau champ de métiers, un cursus vient de se mettre en place à l’Université Royale de Phnom Penh : en 1994 pour le niveau de la licence, et en 2009 pour le programme de Master33 2 de la psychologie du counselling et du traitement du traumatisme.

La présence de psychologues dans l’hôpital et à l’école est encore attendue. On trouve ces services dans certaines organisations non-gouvernementales (ONG) qui se sont implantées au pays on l’a vu sous forme de contrats à durée déterminée. Actuellement nous sommes à peu près une centaine de psychologues au Cambodge dont la moitié avons obtenu

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la formation en Master 2 francophone de psychologie du développement de l’enfant et de l’adolescent à Hanoi au Vietnam en coopération avec l’UFR de psychologie de l’université Toulouse Jean-Jaurès, et une autre moitié qui a terminé le master 2 local anglophone de l’Université Royale de Phnom Penh.

Alors nous pouvons dire que les gens cambodgiens ne connaissent et ne reconnaissent pas encore la nécessité de la psychologie pour le traitement de la maladie mentale. En conséquence lorsqu’on a une maladie mentale ou qu’on dit qu'on est « fou ou folle », on doit aller plutôt vers le bonze ou le médium pour le traitement traditionnel, ou chez le psychiatre pour les soins psycho-médicaux.

Les Cambodgiens identifient qu'une personne, surtout un jeune, présente une maladie mentale parce qu’il/elle a un problème de perturbation dans les pensées et que les comportement sont affectés dans leurs interactions avec les autres et avec leur environnement (Bertrand, 1997). On peut aussi traduire la maladie mentale par la difficulté à réagir dans une situation conflictuelle, par la perte d'estime de soi et de confiance. La santé mentale qui fait partie de la définition de l'état de santé est un thème de santé publique primordial même si améliorer le bien-être psychique reste encore secondaire. Pourtant ces problèmes sont bien réels, définis et traitables (pour de nombreux troubles entre 60 et 90% de réussite) et sont en accroissement dans le monde (ibid.).

On peut dire que l’enquête épidémiologique effectuée par le département de psychologie de l’Université Royale de Phnom Penh (URPP) est la première enquête centrée sur la représentation de la population cambodgienne en ce qui concerne les conduites de crise des adolescents. Alors, les résultats portent sur les divers problèmes chez les jeunes cambodgiens tels que les problèmes scolaires, l’agressivité, l’alcoolisme, la toxicomanie, le suicide, etc.

En outre les résultats indiquent que 7,4% sur une population de 2678 parents ont indiqué qu’un à quatre de leurs enfants ont eu des problèmes scolaires et 1,9% d'entre eux se représentent aussi que un à trois autres enfants de voisins vivant dans le même village ont eu des problèmes scolaires. Ceux-ci se traduisent par les taux d’absences, les résultats insuffisants ou les mauvaises notes, les redoublements de classes et les manifestations de troubles du comportement.

Cette enquête montre aussi que 9,9% de la population de recherche se représentent qu’un à six de leurs enfants présentent des conduites agressives, et à l'intérieur de ces 9,9 % 78,4% présentaient ces conduites au cours du mois précédent. Et 9,2% de cette même population se représente qu’il a des membres de la famille ayant des problèmes d'alcoolisme.

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L’enquête montre aussi que 0.5 % de cette population se représente qu’un à cinq membres de la famille est/sont toxicomane(s). 0.8% de la population de cette recherche indique aussi qu’il y a un membre de la famille qui a tenté de se suicider dans le mois précédent.

Suites aux résultats de cette recherche, nous notons qu’il existe la crise de l’adolescent cambodgien comme dans le monde entier bien qu'au Cambodge la maladie mentale soit un sujet tabou. Les gens n’en parlent pas volontairement parce qu’ils considèrent que la maladie mentale provoque la discrimination et la stigmatisation par la société, de l’individu malade et de sa famille.

Synthèse des réflexions autour du développement de l’adolescent cambodgien L’ensemble de cette revue de la littérature sur l’adolescent au Cambodge nous permet de repérer les caractéristiques saisissantes des adolescents cambodgiens ainsi que les problèmes qu’ils rencontrent au temps présent, ce qui donne un aperçu sur la crise d’adolescence au Cambodge.

Nous avons vu que d’une façon générale l’adolescence est considérée par certains auteurs comme le moment de transition de l’enfance à l'âge adulte durant lequel l'adolescent lui-même doit réaliser une grande mobilisation telle que l’affirmation de sa nouvelle identité et devenir un acteur autonome. Tous les spécialistes s’accordent à souligner l’hétérogénéité de ses bornes : l’entrée est d’ordre biologique (la puberté) et la sortie est d’ordre sociale puisqu’elle se traduit par l’entrée dans le monde des adultes et l’autonomie du sujet comme un être social entier.

Le concept d'adolescence est tout nouveau au Cambodge, mais ce terme existe depuis longtemps comme le définit CHHOUN Nat (Chhoun, 1915). Bien évidemment, la présentation de cette littérature nous permet de dire qu’il existe une adolescence dans le contexte cambodgien et qu’elle peut, tout autant que dans le monde entier, être considérée d’une part comme un phénomène de transition aux plans physique, intellectuel, social et psychologique, et d’autre part, par sa dynamique et les conflits qui la caractérisent, être entendue comme une véritable crise, au sens constructif de ce concept psychologique.

Les difficultés que l’adolescent cambodgien peut rencontrer en effet, ainsi que les supports qu’il peut avoir pour les dépasser, nécessitent comme partout dans le monde entier, une attention particulière et des recherches spécifiques en psychologie. Face au contexte socio-économique dramatique où le sujet se développe en tant qu’humain, l’adolescent est frappé par des multiples situations conflictuelles, notamment entre les générations et au Cambodge cela peut créer une distance entre ces générations, le lien familial devient plus

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fragile que jamais. Ainsi la fonction sociétale et familiale donne une pression sur l’adolescent : pressions liées aux études, au respect de la hiérarchie sociale et familiale, à la domination des nouvelles technologies, à la place des femmes par rapport aux hommes, et surtout à l'intégration de l’histoire récente du génocide des Khmers Rouges qui a touché toute la vie familiale cambodgienne, etc. Aussi, l'adolescent cambodgien rencontre des problèmes de santé mentale dont la dépression, l’anxiété, la tendance au suicide et aux maux sociaux (toxicomanie, prostitution…) qui doivent être considérés comme un problème urgent à régler, d’autant qu’il s'est accumulé ces dernières années.

Cependant, selon notre pratique clinique, nous pouvons dire aussi que les ressources sociales, culturelles, la religion bouddhiste, et surtout la famille sont à considérer comme des facteurs potentiels et originaux de résilience pour les adolescents cambodgiens afin d'élaborer les problèmes qu'ils rencontrent dans leur processus dynamique de développement. De ce fait, l’adolescent en tant qu'acteur et auteur de son développement, vit et doit s’organiser avec ces récits (dits, non-dits, somatisés) en prenant conscience et en les mettant à bonne distance afin de construire et reconstruire sa propre subjectivité singulière, dans ce contexte particulier.

Ces appuis sont importants pour l’adolescent afin de créer ses compétences personnelles et professionnelles et aussi de construire-reconstruire le moi (Bruner, 2006). Cette construction-reconstruction sans fin relève d’un processus à la fois intérieur et extérieur. A l’intérieur il se compose de la mémoire, des sentiments, des croyances, de la subjectivité tandis qu’à l’extérieur il relève des autres, de l’apparente estime qu’ils nous apportent et de la culture dans laquelle nous évoluons.

Rappelons-nous que les résultats de l’enquête au département de psychologie et notre propre expérience en tant que psychologue clinicien nous amènent à souligner qu’il est nécessaire de prendre en charge les jeunes Cambodgiens qui ont des malaises importants, qui traversent une crise grave avec des souffrances psychiques, et que l’adolescence doit être le thème de recherche le plus urgent pour le domaine de la psychologie du développement.

Il est important aussi de comprendre les dynamiques psychiques des adolescents cambodgiens lorsqu'ils traversent une période de crise avec beaucoup de problèmes sociaux renvoyant à des problèmes divers chez eux tels que l’évolution technologique, les conflits intergénérationnels, le nouveau mouvement de politique économique, les toxicomanies, le Sida, la dépression… etc.

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