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CHAPITRE II : LE TRAUMATISME : CONTROVERSE DES

2.2. L’approche culturelle du traumatisme et de la maladie mentale au Cambodge

Rappelons que le terme Baksbat (perte profonde du courage) est utilisé par les Cambodgiens pour exprimer l'état de choc émotionnel, la peur extrême d'une personne lorsqu'elle réactive l'évènement traumatique subi précédemment, par exemple l’accident, la catastrophe, l'acte de violence... et qui apparaît soudainement et de façon imprévue. Le retour de l'événement traumatique de manière inconsciente provoque la peur aiguë chez le sujet, et les Cambodgiens expliquent ce phénomène par la séparation entre le corps et l’âme de ce sujet (l’âme est sortie/ou s'est échappée du corps), c'est ce qu’on appelle l’âme disparue. Si le sujet est dans la situation du corps sans l’âme, cela est considéré comme un état hors personnalité, alors il est incapable de communiquer avec autrui, autrement dit cette personne est dans un état second. Peut-être l’âme reviendra dans le corps, soit dans son était normal qui rendra le sujet normal après son réveil, soit l'âme reviendra avec l’état de peur, d'insolite ou blessée... alors dans ce cas la personne va se réveiller en état de peur, de choc, et ensuite cette personne peut progressivement devenir un malade mental grave. Mais c'est possible aussi que l’âme ne revienne jamais, et que le sujet reste un corps sans l'âme, ce qu’on appelle

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Au Cambodge lorsqu’une personne se trouve confrontée à une menace de mort, elle pense toujours à la mère mais aussi au père ou les deux (mais toujours la mère) en cherchant du secours. A ce moment-là sa mère est présente dans l'imagination de la personne. Pour obtenir ce secours, la victime prend de la terre pour arroser sa tête parce qu’elle pense que la terre est comme la mère qui lui a donné sa naissance. Est-ce que cela pourrait être mis en regard avec la théorie freudienne et les notions de Mère Nature et de Moi Idéal représentatives de la première ébauche du Moi investie libidinalement. Ce type de formation psychique que constitue le Moi Idéal appartient selon Freud au registre de l'imaginaire (Freud, 1914/1953, 1923/1981).

Si quelqu’un porte la maladie de Baksbat, la thérapie traditionnelle cambodgienne est proposée en raison de la croyance en l'action du bonze ou du gourou (Krou Khmer) qui organise les rituels pour chercher l’âme et s’adresser à elle pour qu'elle vienne pénétrer dans le corps. Les Cambodgiens croient que le fait des rituels peut renforcer l’âme blessée pour être solide. On peut se demander si le Krou Khmer n'est pas alors en position de ce que Lacan (1966) appelle le Sujet Supposé Savoir, dans le dispositif clinique.

Rappelons que le mot Baksbat correspond au domaine du traumatisme, mais dans le contexte cambodgien le terme est utilisé pour nommer la maladie mentale d'une personne qui a subi un choc émotionnel extrême.

Pour exprimer les états de mal psychique en général, les Cambodgiens emploient

Chheut Chet (maladie psychique) ou Pibak Chet (difficulté émotionnelle).

Au Cambodge il est d'usage, on l’a vu, de se référer à une classification des maladies mentales en fonction des symptômes (Eisenbruch 1994) : désordres de parole et de comportement, désordres des affects et de la pensée, désordres neurologiques. Il est également d’usage de reconnaître populairement trois sortes de fous (chkout), qui sont des personnes souffrant d'addiction au jeu de cartes, à l'autre sexe et à l'alcool. Mais plus communément le fou chkout est celui qui aura des comportements vraiment bizarres et l'on peut trouver différentes causes mais la représentation et le jugement restent catégoriquement défavorables (ibid.).

Comment la population cambodgienne interprète-t-elle la folie et la souffrance psychique chez un sujet ?

L'étiologie de la folie ou et la maladie psychologique est expliquée par les gens cambodgiens comme suit et selon Bertrand (1995) le repère des classes de troubles (ou maladies) affectant les patients sont de causes diverses :

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- causes cosmiques, horoscope, accords des lettres des noms, orientation de la maison,

ou baisse d'énergie vitale qui peut être à l'origine d'autres classes de problèmes (accidents, séparations, vols etc..), ces éléments permettent de comprendre, par exemple, pourquoi le sujet a été vulnérable ;

- causes surnaturelles et morales, les êtres maléfiques de l'au-delà, toutes sortes de

démons et de génies ainsi que les ancêtres décédés peuvent vouloir faire du mal, rendre fou ou malade, pour des raisons diverses, tels le non-respect de leur territoire ou de rites, ou de règles de conduite sociale.

La transgression de tabous (alimentaire, liés aux offrandes, aux accouchements, aux règles énoncées par le thérapeute…) peut aussi entraîner une punition.

Le non-respect de préceptes bouddhistes et des effets du karma (vies ou actes antérieurs) entraîne des conséquences fâcheuses.

La perte des âmes liée par exemple à un accident (qui lui-même s'inscrit dans une causalité cosmique) peut être rattachée à cette catégorie (le baksbat) ;

- causes psycho-dynamiques ou psychiques, les maladies dites de la voie de l'esprit,

sont dues à la perte d'êtres ou de biens chers, à la séparation, à des brutalités, à des traumatismes, à un amour déçu, au fait de penser ou étudier trop ;

- causes sociales, la misère, la malnutrition, le travail excessif ou l'absence de travail,

un conflit de voisinage ou de partage de terre, la jalousie, occasionnent des troubles divers...

- causes organiques, déséquilibre ou perturbations, vents, température, infections,

mauvaise nourriture, accident, disjonctions des organes ?

Toujours Bertrand (1997) explique que les quatre premiers groupes correspondent à des étiologies exogènes alors que les maladies du corps sont plus endogènes mais l'approche traditionnelle est éminemment holistique et interdépendante si bien que des chaînes de causalités peuvent être élaborées. Un symptôme n'appartient pas systématiquement à une seule classe de causalité. Par exemple, un problème qui apparaît comme purement organique (un dérèglement du système de chaleur) est attribué en fin de cause à une étiologie sorcière (car il s'avérait que le simple traitement médical n'était pas effectif), un traitement complémentaire magique devra être adopté pour faire baisser la puissance du sort (qui provoque cette chaleur).

Il apparaît impossible selon Bertrand (ibid.) de faire cadrer la nosographie occidentale et celle décrite par les tradipraticiens car une classification nous confronte à des emboîtements multiples et des groupements ou catégories qui ne sont pas exclusifs. Une maladie qui se rangerait véritablement dans plusieurs registres (physique ou surnaturel) est

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celle dite transmise à chaque génération dans une lignée (souvent définie de manière indifférenciée patri ou matrilinéaire) qui se traduit par des troubles psychiques graves (chkout

chambour chour) attribués à des dommages du système des fibres nerveuses que peu de

tradipraticiens se targuent de guérir.

C'est en relation avec cette construction culturelle de la maladie que s'établissent les critères des soins, des traitements et de leur recherche. L'organisation de la maladie est une opération de dénomination et donc de communication