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Les résolutions se font le plus fréquemment sur les consonances imparfaites de tierce et de sixte (respectivement cinq enchaînements). Viennent en deuxième lieu les résolutions sur la quinte (deux enchaînements) et enfin les résolutions sur l’octave, l’unisson et la quarte (un enchaînement). Sur les quinze successions proposées, les résolutions sur des consonances imparfaites sont nettement privilégiées1 (dix enchaînements) par rapport aux consonances

parfaites (cinq successions). La tendance à privilégier la résolution sur des intervalles de tierce et de sixte renvoie indirectement à une règle contrapuntique remontant au 15e siècle selon laquelle les dissonances doivent se résoudre sur des consonances imparfaites puis sur des consonances parfaites dans cet ordre. Nous y reviendrons en détail aux chapitres 1.1.3.3.

Conformément à la définition de Bernhard, la résolution se fait par mouvement conjoint ascendant et descendant. Cependant, il est intéressant de remarquer le déséquilibre de la direction de résolution privilégiant les mouvements ascendants : sur l’ensemble des quinze résolutions proposées, huit sont ascendantes, alors que sept enchaînements seulement sont descendants. Par ailleurs, d’avantage de résolutions ont lieu à la voix supérieure (dix) qu’à la voix inférieure (cinq).

Seules les quartes diminuées aboutissant sur la tierce et les quintes augmentées se résolvant sur la sixte sont examinées par l’auteur. S’agissant d’intervalles complémentaires, ils sont traités de manière analogue : la dissonance de quarte diminuée constitue une broderie de la tierce à la voix inférieure (3 inf. 2↑). Quant à la quinte augmentée, elle est utilisée dans le contexte d’une broderie à la note supérieure (6 sup. 2↑). L’auteur insiste sur le fait que les dissonances ne se rencontrent pas dans les biciniums, mais uniquement dans l’écriture à plus de deux voix. D’une part, il est probable que ces intervalles soient considérés comme trop instables et trop ambigus en raison de leur caractère enharmonique pour figurer dans une écriture à deux voix seules. D’autre part, on peut avancer l’hypothèse que leur utilisation reflète le passage d’une écriture par intervalles à une écriture par triades. Dans l’exemple proposé (annexe 1 d1 mesure 2) le do# 3 peut être considéré comme un simple ornement mélodique venant interrompre le mouvement de tierces parallèles entre les voix supérieures. Néanmoins, de par sa qualité de septième degré haussé, il acquiert une fonction harmonique. C’est non seulement l’ornement mélodique de l’enchaînement intervallique qui est retenu ici, mais aussi l’intercalation d’une couleur harmonique contrastant avec la finale du mode et préfigurant la fonction de dominante..

1 Conformément à la conception théorique de Bernhard, la quarte a été classée parmi les consonances

Il est surprenant que dans les exemples de l’annexe 1d1, les intervalles de quarte diminuée et de quinte augmentée sont tous attaqués sur des temps forts, raison pour laquelle ils ne correspondent pas à la définition du transitus, mais plutôt à la figure du quasi-transitus qui sera examinée par la suite. Du reste, dans son commentaire, Bernhard restreint la validité de l’exemple et insiste sur la fausse relation résultant de la succession immédiate do3-do#3 aux voix inférieures (annexe 1d1 mesure 1-2) : « En effet, ces exemples (a) ne sont pas des

Transitus de quarte diminuée ni de quarte augmentée. [Par ailleurs], il aurait été préférable

d’élider le # comme le faisaient les anciens par peur de la fausse relation »1. Enfin, un second exemple correspondant aux règles contrapuntiques strictes du stylus antiquus est fourni par la suite (annexe 1d2). Bernhard poursuit un double but en présentant deux exemples différents de l’emploi de ces dissonances : il s’agit d’exposer l’évolution des techniques d’écriture de son époque tout en respectant le plus fidèlement possible les règles contrapuntiques du stylus

antiquus. C’est à ce dessein qu’il fournira en fin du chapitre plusieurs exemples extraits de

l’œuvre de Palestrina2 (annexe 1c).

Contrairement au transitus, la figure du quasi-transitus codifie une dissonance accentuée. Comme le montre l’exemple 2, la note dissonante (ré3) se trouve sur un temps relativement fort alors que la note consonante est placée sur un temps faible.

Les notes de passage qu’il implique ont non seulement pour but d’orner le saut de tierce, comme c’est le cas pour le transitus, mais peuvent également se prolonger jusqu’à la quarte (voir

annexe 2). Plus tard, au début du 18e siècle, Heinichen appliquera le même principe au

transitus en précisant : « Au sens large ou impropre, le Transitus désigne également un

passage libre à la quarte et à la quinte. En effet, il est même possible d’étendre le transitus jusqu’à la sixte, à la septième et à l’octave […] »3. Une différence fondamentale du quasi-

transitus réside dans la résolution majoritairement descendante de la dissonance, différence

que Bernhard soulignera avec insistance dans le Ausführlicher Bericht excluant tout mouvement de résolution ascendante. Comme pour le transitus, les exemples proposés dans le

Tractatus ont été reproduits en annexe (annexe 2) et résumés sous forme d’un tableau :

1 MÜLLER-BLATTAU, Joseph (éd.), op. cit. p. 65. « Zwar sind diese Exempel (a) [nicht] Transitus

Quartae[deficientis] vel Quintae superfluae. (b) Wäre auch beßer das # ausgelassen zu haben, welches auch die Alten offt bey Cadentzen ausgelassen, wegen der bösen Relation ». C’est nous qui traduisons.

2 Malgré nos recherches, l’origine des exemples n’a pas pu être déterminée dans l’œuvre du compositeur en

raison de leur brièveté.

3 HEINICHEN, Johann David, Der Generalbass in der Composition, Dresden : chez l’auteur, 1728, p. 260. « In

sensu lato & improprio, oder in weitläuffigen Verstande heisset Transitus auch ein freyer Durchgang in die 4te und 5te. Ja man kann den Transitum endlich biß in die 6te, 7me und 8ve extendieren [...] ». C’est nous qui traduisons.

Tableau 4 : Successions intervalliques du quasi-transitus.

Les enchaînements intervalliques confirment la direction privilégiée de la note de passage attaquée se résolvant majoritairement par mouvement conjoint descendant, à l’exception de deux cas. Le premier (7 inf.↑) se résout sur une dissonance de septième (annexe 2b mesure 2), quant au second (8 sup. 2↑), il se résout sur l’octave (annexe 2b mesure 5). Par ailleurs, on constate que le nombre de résolutions du quasi-transitus est deux fois moins élevé que le nombre de résolutions employées pour le transitus.

Sur les sept résolutions proposées, trois se font sur l’octave et l’unisson. Quant aux résolutions restantes, elles ont respectivement lieu une fois sur la quinte, la tierce et la sixte. Enfin, une dissonance est exceptionnellement prolongée sur la septième, contrairement à la règle formulée par l’auteur. À la différence du transitus, la résolution du quasi-transitus se fait de préférence sur des consonances parfaites (quatre enchaînements) et non pas sur des consonances imparfaites (trois résolutions) dans l’écriture à deux voix. En revanche, les résolutions ont davantage lieu à la voix supérieure (cinq enchaînements) qu’à la voix inférieure (trois enchaînements).

En considérant les exemples fournis par Bernhard, on remarque que la note dissonante accentuée se trouve insérée dans un mouvement descendant plus important dont la première note, placée sur un temps relativement fort, est consonante (voir annexe 2a et 2b). L’extension de l’ambitus du quasi-transitus résulte par conséquent

de la volonté d’atténuer la dissonance attaquée en l’incluant dans la chaîne de consonances. Afin de décrire les exceptions pouvant survenir lors de l’utilisation du quasi-transitus de quarte, Bernhard se réfère à nouveau à un exemple de Palestrina (exemple 3). Selon le raisonnement de l’auteur, l’imitation exacte du mouvement mélodico-rythmique du second ténor à la première mesure a été élidé à la deuxième mesure à

la voix supérieure afin d’éviter « une quelconque erreur lors du mouvement descendant de la

quarte […] »1 (do3-sol2). Il s’agit des octaves directes entre la voix de premier soprano et d’alto (la3-sol3 ; la2-sol2) qui surviendraient dans le cas de l’insertion du la3 en tant que note de passage. Le motif à la voix de soprano est considéré comme un quasi-transitus ellipticè. On peut faire les observations suivantes à propos de l’approche de Bernhard. D’une part, elle traduit une volonté manifeste d’expliquer et de légitimer les licences contrapuntiques apparentes par rapport aux concepts théoriques établis. Si, dans le cas présent, la dissonance impliquée par le si3 quitté par mouvement disjoint constitue un écart par rapport à la figure du

quasi-transitus, elle se justifie néanmoins, selon l’auteur, par la volonté d’éviter une faute

d’écriture, les octaves successives entre le premier soprano et l’alto. Par ailleurs, il s’agit de confirmer la validité et le pouvoir descriptif de la théorie des figures pour le stylus antiquus en invoquant à nouveau Palestrina, principal représentant de l’ancien style selon Bernhard2. Ce dernier cherche à concilier les écarts entre son approche et la pratique du 16e siècle, en

présupposant une structure fondamentale théorique dont la pratique peut se distancier pour différentes causes3. La citation suivante témoigne cependant de l’incertitude quant à

l’utilisation du quasi-transitus : « Le futur compositeur avide de connaissances pourra trouver davantage d’exemples chez des auteurs confirmés, il devra juger par lui-même lesquels sont à imiter ou non. Pour cette raison, le quasi-transitus n’est pas utilisé fréquemment, même s’il est régulier et encore moins quand les exemples, dans lesquels les dissonances sont attaquées, s’écartent de la règle »4. C’est bien parce qu’il semble impossible à Bernhard de codifier dans

leur intégralité les écarts de la pratique par rapport aux règles contrapuntiques établies, qu’il laisse le praticien libre juge des exemples à suivre.

1.1.2.2 Syncopatio et quasi-syncopatio

Avant d’entreprendre l’examen des figures de syncopatio et de quasi-syncopatio, il convient de rappeler la définition actuelle de la syncope. Celle-ci. désigne « un effet de rupture qui se produit dans le discours musical lorsque la régularité de l’accentuation se trouve brisée par le déplacement de l’accent rythmique attendu. On l’obtient par l’introduction

1 Ibid. « Item Quasi-Transitus wird bißweilen, etwas falsches im heruntergehen der Quartae zu vermeiden

[gebraucht], als folgendes Exempel des Praenestini ausweiset ». C’est nous qui traduisons.

2 Cf. M

ÜLLER-BLATTAU, Joseph (éd.), op. cit. 90.

3Nous reviendrons en détail sur la structure fondamentale au cours de la seconde partie de mémoire au chapitre

2.1.1.1.

4 M

ÜLLER-BLATTAU, Joseph (éd.), op. cit., p. 67. « Mehr dergeleichen Exempla kan der Lehrbegierige aus

probatis authoribus nehmen und zusehen, welche zu imitieren seyn möchten oder nicht. Drum sonst dieser quasi-transitus, wenn er gleich Regelmäßig ist, selten soll gebraucht werden, und zumahl die Exempla so etwas von der Regel abschreiten, fürnehmlich diejenigen, wo die Dissonantzen mit einander anschlagen ». C’est nous qui traduisons.

de valeurs longues et par la prolongation d’un temps faible sur un temps fort »1 (voir exemple 4). Selon Bernhard, la figure de syncopatio se produit « quand une note décalée se situe par rapport à une consonance et à une dissonance »2. La notion de

« rückende Note » que nous avons traduite par note décalée est présente chez de nombreux théoriciens allemands. Elle mérite d’être définie plus en détail. D’une part, elle se réfère au phénomène rythmique de la syncope tel qu’on le retrouve dans

la définition actuelle et qui est déjà décrit, par exemple, chez Crüger : « Ce que les musiciens appellent la syncope, c'est quand soit une seule, soit plusieurs notes s'avancent et sont traînées en longueur contre la mesure […] »3. Ainsi, le terme de rückende Note est utilisé au sens de

verrücken et désigne le décalage par rapport à l’organisation des temps forts et faibles de la

mesure, organisation qui s’annonce dès le 16e siècle et qui sera théorisée à l’époque baroque4.

D’autre part, la notion fait écho à la terminologie employée par Artusi.

Selon les règles contrapuntiques du stylus antiquus, la dissonance de syncope résulte de l’intervention successive de deux notes. L’une reste en place alors que c’est le mouvement de l’autre voix qui implique la dissonance. Artusi qualifie la note immobile de note patiente alors qu’il nomme celle qui bouge, note agente5. Il est intéressant de noter que ce qui correspond au terme employé par Bernhard, n’est pas la note agente, mais la note patiente. La rückende Note ne se réfère pas à la voix créant l’impact de la dissonance, mais à la voix dans laquelle la résolution a lieu. Par conséquent, le terme de rücken est aussi employé au sens de nachrücken et désigne une « note qui se meut par la suite ». Avec beaucoup de précaution, on peut en conclure une mutation de l’importance accordée du point de vue théorique aux différents phénomènes constitutifs de la syncope. Ce n’est plus la préparation et l’impact de la dissonance qui constituent le centre d’intérêt pour les théoriciens allemands du 17e siècle, mais sa résolution.

Bernhard poursuit sa description en abordant la corrélation entre la dimension rythmique et harmonique de la figure. Après avoir précisé que les notes pointées, impliquant un décalage rythmique à l’une des voix, comptaient également parmi les syncopes, il précise que « la note

1 H

ONEGGER , Marc, « Syncope » dans Connaissance de la Musique, Paris : Bordas 1996, p. 1001.

2 M

ÜLLER-BLATTAU, Joseph (éd.), op. cit., p. 67. « Die Syncopation, welche etliche Ligatur nennen, ist, wenn

eine rückende Note gegen eine Consonantz und Dissonantz steheht ». C’est nous qui traduisons.

3 C

RÜGER, Johannes, Synopsis musica, Berlin : Runge,1645. Crüger, chapitre XIV [s.p]. : « Syncopationem

vocant Musici, quando vel une vel plures notulae propter minorem aliquam Figuram praecedentem (sive Notam sive Pausam) contra Tactum incedunt & protrahuntur [...] ». C’est nous qui traduisons.

4 Cf. DAHLHAUS, Carl, « Zur Geschichte der Synkope », dans Die Musikforschung, XVII, 1959 (4), 391. 5 Cf. A

RTUSI, Gioseffo Maria, L’arte del Contraponto, Venetia, 1598, p. 40. Cité chez CEULEMANS, Anne-

Emanuelle, « Les dissonances dans la polyphonie des 15e et 16e siècles : Quelques indications en vue d’une

analyse par ordinateur », dans Musurgia, 1996 III/2, p. 11.