• Aucun résultat trouvé

Le contre-transfert : spécificité de la pratique analytique ?

h) L’analyse de l’analyste : l'élaboration de son contre-transfert, par investigation de son fonctionnement psychique, condition de la pratique analytique

Freud l’a, dès 1910, posée comme une règle fondamentale, “ épreuve ” et/ou “ plaisir intellectuel ” (conception développée par Winnicott, 1960) qui déclenche pour toujours le processus auto-analytique, qui s’applique à tout un chacun qui désire devenir psychanalyste.

Si l’analyse peut-être entreprise par quiconque à des fins personnelles thérapeutiques, celle de l’analyste a des buts spécifiques qui méritent d’être rappelés ici. Elle doit permettre, entre autres, la levée d’un certain nombre de refoulements et mécanismes de défense (ou du moins

leur prise de conscience), l’obtention d’un surmoi tolérant, et l’accès à un narcissisme équilibré. Aussi, l’analyste doit, au cours de sa cure, se questionner afin de cerner ce que signifie, pour lui, sur un plan économique, de s’engager dans un tel travail. L’analyse de l’analyste, doit lui permettre l’“ introjection ” d’un fonctionnement analytique et son investissement narcissique (Denis, 1988 p. 1330). Cela dit, il est évident qu’il persiste, chez l’analyste, des points aveugles inconscients insuffisamment analysés ou même non analysables (De Urtubey, Anzieu, Gérard etc.). Par la suite, alors que l’analyste pratique, il doit poursuivre ce travail soit par une auto-analyse (recommandation de Freud, 1912), soit par la supervision ou l’analyse didactique (post-analyse). Celles-ci sont destinées à contribuer à l’analyse de ses propres patients, par l’analyse de son contre-transfert, et, par là même, poursuivre l’investigation de son fonctionnement psychique propre débutée lors de son propre travail analytique.

Nous retiendrons ici un point fondamental : le contre-transfert n’est objectivable qu’à partir d’une référence tierce (Urtubey, 1994 p.1328). Ce tiers peut être, outre les superviseurs, son ancien analyste en ce qu’il peut jouer le rôle d’interlocuteur fantasmé dans tout travail auto-analytique. Il faut ajouter à cela l’écriture qui peut un “ véritable espace analytique ”. En effet, impliquant la mise à l’épreuve de la pertinence de son cheminement réflexif théorico-clinique, elle permet la mise en évidence d’éléments contre-transférentiels. Enfin, cette référence tierce est constituée par les références théoriques, les lectures. P. Aulagnier a souligné de façon pertinente cette fonction tierce des références théoriques en introduisant le concept de

“ théorisation flottante ”.

i) La spécificité du contre-transfert : contre-transfert et contre-attitudes

Qu’est-ce qui dans les réactions de l’analyste différencie celles qui sont contre-transférentielles des autres (contre-attitudes) ? Autrement dit quelle est la spécificité du contre-transfert ?

La question de la différenciation du contre-transfert et des contre-attitudes est difficile. En effet, elle dépend de la définition même du concept de contre-transfert, qui, nous l’avons vu, est loin d’être consensuelle. En effet, lorsque l’on définit le contre-transfert comme étant l’ensemble des réactions inconscientes de l’analyste à son patient au cours du processus analytique (incluant donc les réactions dépendantes mais aussi celles indépendantes du transfert du patient), la définition des contre-attitudes est l’ensemble des réactions préconscientes/conscientes de l’analyste à son patient au cours du processus analytiques. Le

travail avec les patients psychosomatiques, permet, par exemple, de les différencier, au sein même du processus analytique (Deburge, 2006). En effet, dans ces situations, l’analyste peut éprouver des sentiments et est même parfois amené à intervenir au cours des séances du fait de la réalité des symptômes somatiques. Ce sont, là, des réactions de l’analyste aux motifs préconscients/conscients, nommées, donc attitudes à différencier des réactions contre-transférentielles. Remarquons qu’il peut être difficile de les distinguer au sein même du processus analytique. Cela dit, lorsque l’on définit le contre-transfert comme les réactions inconscientes de l’analyste au transfert de son patient, alors, toute autre réaction de l’analyste ne relevant pas de la relation de transfert, est contre-attitude. Les contre-attitudes désignant par là, donc, toutes les réactions (émotionnelles, comportementales et cognitives) de l’analyste indépendantes du transfert du patient. C’est en ce sens que Denis (2006 ) dit que la condition essentielle qui fait la spécificité du contre-transfert par rapport à tout autre type de contre-attitude est la nécessité pour l’analyste de se comporter en “ anti-objet ”, c’est à dire, à ne pas laisser se fixer sur lui une configuration transférentielle stable qui arrêterait le processus analytique ”. En effet, si l’analyste laisse se fixer sur lui une configuration transférentielle stable, il est “ pris ” dans la relation transférentielle, ne peut, donc, plus la repérer et l’analyser pour l’interpréter à son patient. A ce propos, Revault d’Allonnes (1986, p.740) souligne qu’il existe diverses positions possibles de l’analyste par rapport à l’analyse, sur l’échelle suivante: nier, ne pas tenir compte des problèmes transférentiels, être dans le transfert et s’en arranger (qui n’apparaissent pas comme des positions analytiques), travailler avec le transfert, et, travailler sur le transfert. Il ajoute que, travailler sur le transfert, est la position même de la cure, où la butée la plus importante est celle du contre-transfert et de l’analyse du contre-transfert. Est-ce à dire que le contre-transfert n’apparaît seulement que chez le psychanalyste, dans le dispositif de la cure, et chez aucun autre psychothérapeute?

j) La spécificité de la pratique analytique : le contre-transfert ?

Nous ouvrons là une vaste question, et, bien sûr, ne prétendons pas y répondre.

Depuis Ferenczi (1909), nous savons que tous les psychothérapeutes sont subordonnés à des effets de transferts du patient sur leur personne et ce quelque soit leur type de pratique.

Comme nous venons de le voir, le dispositif de la cure, tel que décrit par Freud, est le dispositif de pratique analytique, par excellence, qui permet de travailler “ sur ” ces effets de transfert. Or, il est un fait que nous retrouvons la psychanalyse dans diverses autres dispositifs

psychothérapiques dits psychanalytiques (individuelles - dont les psychanalyses de bébés avec la méthode d’Ester Bick-, relaxation psychanalytique, psychodrame psychanalytique, consultation de psychiatrie transculturelle, thérapie familiale psychanalytique etc.), pourtant loin du dispositif de la cure type. De même, un psychothérapeute - psychanalyste ne travaille pas, la plupart du temps, dans les conditions de la cure type, et est amené à réaménager le cadre de sa pratique (du fait de sa situation institutionnelle, de la clinique du patient et de l’investissement de celui-ci aux soins, de sa situation sociale etc.). Il est en résulte que la durée des séances est raccourcie, hachée, imprévisible, et que le psychothérapeute-psychanalyste n’atteint pas forcément le niveau inconscient de son patient (à l’origine, pourtant, des effets de transfert). Peut-on dans ces situations parler de pratiques psychanalytiques ? Est-il pertinent de différencier psychothérapies psychanalytiques et psychanalyse ?

Afin d’éclairer cette question, il est fondamental de rappeler que la psychanalyse est avant tout une méthode, d'investigation et de traitement (Freud, 1926), mise en acte dans une pratique, dont le transfert et le contre-transfert (Viderman, Barranger, De Uturbey) sont les concepts fondamentaux. Concernant cette pratique, nous l’avons vu, Freud distingue dès ces tous premiers écrits la psychanalyse de toute autre pratique qui use de la suggestion. En effet, la suggestion est une technique psychothérapique qui s’appuie sur les effets de transfert pour suggérer au patient de penser tel chose ou de se comporter de telle manière. Dans ce cas, l’analyste peut se permettre de nier, de ne pas tenir compte, ou de s’arranger des effets de transfert. A l’inverse la psychanalyse travaille, à l’idéal “ sur ”(dispositif de la cure), mais en tout état de cause “ avec ” les effets de transfert en les reconnaissant et les analysant grâce à la prise en compte de son contre-transfert. (Notons d’ailleurs que la position de travailler “ sur ” le transfert- position de la cure - est une “ position asymptotique ; on y tend s’en jamais y parvenir tout à fait ”, Revault d’Allones, 1986, p.740).

Là semble être la spécificité technique fondamentale de la psychanalyse (Roussillon, 2006 ; Moro et Lachal, 2006); en premier lieu, une position tant théorique que technique de l’analyste qui lui permet l’analyse de l’interaction psychothérapique (Denis, 2006). Elle implique donc obligatoirement, la prise en compte et l’élaboration de son contre-transfert.

Par ailleurs, afin d’achever ce travail concernant le contre-transfert dans son acception psychanalytique classique, précisons qu’il parait impropre de parler de réactions contre-transférentielles dans tous autres contextes que ceux de la situation psychanalytique/psychothérapeutique dans lesquelles on parle, alors, de contre-attitudes. Cela dit, dans la suite de ce travail, nous élargirons la notion de contre-transfert.

Approche clinique et aspects méthodologiques du contre-transfert :

Une approche clinique du contre-transfert est possible et permet de mettre en évidence certaines de ces composantes. Néanmoins, l’analyse de la littérature portant sur le contre-transfert amène à faire le constat, évident, que son étude, le plus souvent théorique et empirique, débouche essentiellement sur des considérations métapsychologiques plutôt que cliniques. Ceci peut s’expliquer par, (outre le fait qu’il peut paraître “ avilissant ” pour les psychothérapeutes d’avoir à reconnaître leurs propres limites humaines et professionnelles -Devereux, 1980, p.76), le fait que la nature même du contre-transfert (inconscient, naissant dans une situation bipersonnelle) lui donne des caractéristiques intrinsèques qui rendent, sur le plan méthodologique, son étude clinique difficile. Néanmoins, peut-on approche imaginer une approche objectivante des réactions contre-transférentielles ?

k) Les composantes cliniques du contre-transfert :

Si on opte pour une approche clinique du transfert, plusieurs composantes du contre-transfert sont, alors, à prendre en considération (Lachal, 2006, p.28) :

- Le type d’ attachement que le thérapeute ressent et décrit de son patient à lui et de lui à son patient ;

- Les réactions émotionnelles spécifiques, intensives, qu’il développe (par exemple la colère, la honte, la culpabilité etc.) ;

- Les actions, résolutions, qu’il va prendre et qui ont une signification émotionnelle à la fois pour le patient et pour le psychothérapeute et qui vont remodeler leur relation ;

- Les réactions consensuelles (Dalenberg, 2000), c’est à dire des réactions qui seraient partagées par la plupart des thérapeutes dans le même type de situation. Ces réactions sont particulièrement importantes parce qu’elles sont les plus à même d’apporter des informations sur le contre-transfert : elles sont informatives.

On voit donc qu’à partir de cette approche du contre-transfert, il devient possible de travailler sur des éléments que l’on peut qualifier à la fois de subjectifs et d’objectivables.

l) Aspects méthodologiques de l’étude clinique du contre-transfert :

 GéGénnéérraalliittééss::

Notons tout de suite que le contre-transfert est plus facile à aborder d’un point de vue méthodologique que le transfert : en effet, les phénomènes de transfert sont la plupart du temps décrits et analysés par le soignant lui-même ce qui introduit un biais évident.

Nous allons tenter d’évoquer les obstacles qui s’opposent, de prime abord, à une approche objectivante des réactions contre-transférentielles.

Un premier obstacle réside dans le fait que les réactions contre-transférentielles sont en parties inconscientes, du moins quant à leurs motifs. Par ailleurs, comme elles se développent de façon dynamique dans le cadre de la thérapie, il n’est possible d’en rendre compte qu’après-coup : cela met en jeu plus la subjectivité que l’objectivité. Enfin, ces réactions sont difficilement standardisables du fait qu’elles dépendent de chaque patient, et, de chaque thérapeute.

Néanmoins, plusieurs arguments peuvent être avancés afin de relativiser ces constations.

Tout d’abord, si, dans le contre-transfert, les motifs sont inconscients, les réactions elles-mêmes souvent conscientes ou préconscientes, peuvent être étudiées en tant que représentations, actes, énactions. Le deuxième argument est que si une part de ces réactions est spécifique de la situation de psychanalyse ou de la psychothérapie psychanalytique, une autre est spécifique des problèmes du patient. Cette part, retrouvée dans la grande partie des situations relationnelles que vit le patient, peut être étudiée dans d’autres contextes que ceux de la situation psychanalytique/psychothérapique. Elle ouvre alors à l’étude plus générale des contre-attitudes qui elles-mêmes éclairent l’étude des réactions contre-transférentielles. Le troisième argument est que le déroulement d’un processus relationnel peut être étudié “ de l’extérieur ”, en tenant compte de la subjectivité. C’est d’ailleurs plus ou moins ce qui se passe dans le travail de supervision.

 DeDessrerecchheerrcchheessesessseennttiieelllleemmeennttaxaxééeesssusurrlleepspsyycchhoo--ttrraauummaattiissmmee::

Stern (2003) dans son ouvrage Le moment présent en psychothérapie, propose et rend compte d’une approche particulièrement intéressante de microanalyse. Le sujet est amené à expliciter dans l’après-coup, les affects et représentations parvenues à sa conscience seconde

après seconde, dans une situation particulière. C’est un essai d’approche objective de la subjectivité que contient tout récit, ou, toute narration.

C’est concernant le psycho-traumatisme que la recherche en clinique du contre-transfert a été la plus développée. Dalenberg (2000, citée par Lachal 2006), chercheuse clinicienne, propose dans son livre Countertransference and the treatment of trauma, les résultats d’un travail complet sur le réactions contre-transférentielles dans le cadre de psychothérapies de patients traumatisés. La méthodologie de cette chercheuse est basée sur l’utilisation de plusieurs sources de documentation. Outre les classiques recueils de cas, elle étudie également les interviews de patients et ex-patients qui ont accepté de participer à une étude d’évaluation portant sur leur propre psychothérapie. Celles-ci sont informatives quant aux comportements et attitudes des psychothérapeutes à leur égard. Elle utilise également des enregistrements effectués lors d’interrogatoires de victimes de violences et d’abus en se centrant sur les interviewers pour analyser leurs contre-réactions par rapport au matériel traumatique. A côté de ces protocoles cliniques, elle utilise des protocoles expérimentaux, qui consistent à analyser les réactions de sujets (parfois psychothérapeutes) à des situations enregistrées, puis sont projetées.

Nous voulons ici mentionner un autre travail de recherche en cours de réalisation concernant les réactions contre-transférentielles de thérapeutes de patients traumatisés. Tous les chercheurs ont eux-mêmes une activité clinique avec des patients traumatisés (beaucoup sont consultants à MSF France). Le but de cette recherche est d’analyser les processus de transmission du traumatisme d’une mère traumatisée à son bébé. Les hypothèses cliniques sont : premièrement, que les réactions contre-transférentielles aux patients traumatisés sont singulières (un des buts de la recherche étant de déterminer en quoi) ; deuxièmement, que la dyade patient/soignant est comparable à la dyade mère/bébé et peut offrir un modèle et un outil pour étudier ce qui passe entre une mère traumatisée et son bébé. Cette recherche se base sur l’analyse d’interviews des psychothérapeutes. Celle-ci est de forme semi-structurée. Les réponses sont enregistrées en audio pour ensuite être dépouillées et analysées. Les questions sont différenciées en question « principales » et « questions complémentaires » qui peuvent être des « starters » (pour encourager l’interviewé à approfondir ou développer certaines de ses réponses) ou des « shiffers » relance pour modifier un peu la trajectoire du récit lorsque l’interviewé s’enlise sur le même thème). L’interview est en deux parties. Dans la première les conceptions théoriques du thérapeute sur l’entité «traumatisme» sont interrogées (ainsi que les éléments biographiques, back ground professionnel etc.). En effet, selon les options personnelles du clinicien les défenses mobilisées et l’émergence ainsi que les tentatives

d’organiser les formations de l’inconscient correspondant au contre-transfert seront différentes. La deuxième partie concerne de façon plus détaillée les effets sur le soignant de ce qu’exprime la personne traumatisée et les formations inconscientes venant du soignant sous formes diverses (allant du jugement à l’emporte-pièce aux réactions psychosomatiques).

Le patient doit penser à une situation où le patient raconte une expérience traumatique, et la raconter brièvement à l’interviewer. Ensuite lui sont posées des questions qui explorent les différents registres de ses réactions contre-transférentielles au récit du patient. L’interviewer note, pendant l’interview, ce qui lui semble pertinent dans les réactions du soignant (expressions mimiques, toniques), moments de tension ou d’hyperémotivité, de distractibilité etc.. Pour certaines sections de l’interview, l’interviewer auto-évalue ses émotions sur une échelle (discours de l’interviewé facile à suivre ou non, structuré ou désorganisé etc. ). Le protocole d’analyse des données n’est pas encore achevé. Ces derniers éléments sont en cours d’élaboration.

Approche transculturelle du contre-transfert : la notion de