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Concernant les catégorisations psychiatriques et outils diagnostiques, nous avons choisi de ne développer que ce qui concerne le DSM-IV. Soulignons, d’ailleurs qu’aujourd’hui, les catégories et critères diagnostiques définit dans le DSM servent fréquemment de base à l’enseignement de la psychiatrie, et, il fait souvent office de “ manuel ” de psychiatrie, y compris dans les pays non occidentaux (ce qui rappelons-le n’était pas son but) (Baubet, 2003). L’ethnocentrisme des nosologies occidentales y a maintes fois été souligné.

A l’occasion de la révision du DSM-III et de la création du DSM-IV, des avancées considérables ont eu lieu dans la prise en compte des éléments culturels, notamment dans les

troubles dissociatifs et la psychiatrie de l’enfant. La référence culturelle date, donc, de 1990 (suite à la conférence sur la culture et le diagnostic psychiatrique sous les auspices du National Institut of Mental Health et de l’APA). Depuis le manuel contient : (1) en introduction, une déclaration sur les aspects culturels (“ cultural statement ”) qui alerte le clinicien sur la prudence nécessaire dans l’utilisation du manuel dans un contexte interculturel (en soulignant l’importance des concepts de culture et d’ethnicité) et l’encourage à prendre en compte le biais de l’ethnocentrisme ; (2) des considérations culturelles dans la plupart des catégories diagnostiques (courts paragraphes concernant la sémiologie du trouble et sa fréquence dans les univers culturels) ; (3) en appendice, un glossaire des syndromes liés à la culture, ainsi qu’un guide pour la formulation culturelle.

x) Concernant le glossaire des culture–bound syndrome

Rappelons quelques éléments de la définition des syndromes liés à la culture retrouvés dans le DSM-IV-TR (APA, 2000) : “ […] des modèles de comportements aberrants et d’expériences de difficultés qui sont récurrents et spécifiques à une région donnée […].

Plusieurs de ces tableaux cliniques sont considérés localement comme des “ maladies ” ou du moins des désordres et la plupart ont des dénominations locales. […] les symptômes particuliers, leur évolution et la réponse sociale qu’elles suscitent sont souvent influencées par des facteurs culturels. […]ils constituent des catégories diagnostiques locales populaires qui associent des significations cohérentes à certains types d’expériences et d’observations répétitives, structurées et exprimant de l’affliction ” (traduit par De Plaen, 2003 p.76).

Les Culture-Bound Syndromes 3, (traduits par « syndromes liés à la culture ») seraient, donc, des entités culturellement spécifiques, “ aberrantes ” au regard d’un clinicien occidental, et qu’il conviendrait d’isoler du reste des comportements humains. On perçoit les limites de

3 Nous ne donnerons ici que quelques exemples de « syndromes liés à la culture ». Le piblotocq serait, très schématiquement, une forme d’hystérie arctique. Le koro est un mot d’origine malaise : il décrit un état d’anxiété aigüe où la personne pense que son pénis rétrécit ou diminue, avec l’idée que l’impuissance et/ou l’infertitilité peuvent en découler ainsi que la mort. Si le Koro a été initialement décrit dans la région malaise-indonésienne, on a retrouvé des tableaux très similaires au Nigéria, de même qu’au Sulawesi et aux Philippines. Il a été décrit autant dans des populations musulmanes que bouddhistes, chrétiennes, animistes (De Plaen, 2003). « En Occident, il a été tenté d’appliquer le concept de Culture bound syndromes a plusieurs entités cliniques. Un des intérêts de ces tentatives est certainement la « dé-exotisation » du phénomène culturel tout comme la prise en compte critiques des anxiétés et conflits éventuellement propres aux sociétés occidentales elles-mêmes. Plusieurs entités ont fait l’objet d’une telle analyse : l’anorexie mentale, l’obésité, le syndrome de fatigue chronique, le

cette conceptualisation de la culture, qui appartient à une démarche de type culturaliste (car, met en valeur l’aspect culturel de l’expression symptomatique). Elle a l’avantage de la reconnaissance de la spécificité culturelle, et, offre un diagnostic différentiel, permettant ainsi d’éviter le risque d’un mauvais diagnostic et d’une mauvaise orientation thérapeutique. Mais elle a aussi l’inconvénient d’isoler sur le plan symptomatique une population dont les comparaisons avec la population générale ne sont alors plus possibles. Elle ne peut alors plus, par définition, aboutir à aucune des recherches que le DSM s’était pourtant fixé comme objectif. En insistant de façon exclusive sur la spécificité des symptômes, elle tourne le dos au postulat d’universalité psychique, et ferme la porte à toute démarche pragmatique interculturelle.

y) Concernant le guide de formulation culturelle :

Ce dernier est une innovation importante du DSM IV (Mezzich, 1995, cité par Baubet, 2003).

Ce guide conseille au clinicien d’évaluer quatre dimensions (APA, 1994) : (1) L’identité culturelle de l’individu (groupe de référence, langue, facteurs culturels de développement, implication dans la culture d’origine, implication dans la culture d’accueil) ; (2) Le modèle étiologique des troubles (manifestations de travail et catégories locales, sens et sévérité des symptômes en regard des normes culturelles, causes et modèles explicatifs, comportement et projets de recherche de soins) avec une référence à la distinction “ illness/disease ” et à l’approche “ émique/étique ” ; (3) Les facteurs culturels liés à l’environnement psychosocial et au niveau de fonctionnement (facteurs sociaux de stress et de protection, niveau de fonctionnement et handicap) ; (4) Les éléments culturels liés à la relation entre le sujet et le clinicien.

Son utilisation permet, donc, d’ajouter à la démarche diagnostique une démarche complémentaire du trouble telle qu’elle est vécue par le patient avec ses propres références.

Différentes illustrations de l’utilisation de cet outil et de sa pertinence pour la clinique ont été publiés (Yilmaz et Weiss, 2001). Il offre donc des perspectives prometteuses sur le plan de la clinique, de l’enseignement et de la recherche.

trouble dissociatif de l’identité etc. » (De Plaen, 2003, p.86). Nous avons décidé de ne pas développer ce sujet ici, car il pourrait en lui-même faire l’objet d’un travail spécifique.

z) Des avancées réelles, mais insuffisantes

Mais les facteurs culturels ont gardé une place ambiguë dans le DSM et l’ICD, et, les avancées décrites ci-dessus ont été jugées insuffisantes pour beaucoup. La définition du concept de culture n'y est, en effet, pas incluse. De même, il n’est pas mentionné le fait que le DSM et l’ICD, eux-mêmes, sont des créations culturelles. Malgré les avancées précédemment décrites, certains auteurs rappellent que des positions théoriques implicites ethnocentriques sous-tendent le DSM (Minas et Kirmayer, 2000 ; cités par Baubet, 2003).

Kleinman (1996 cité par Baubet 2003) a analysé un certain nombre de ces positions.

Premièrement, les troubles mentaux seraient un phénomène naturel, une chose en soi, dont la présence ou l’absence peut être affirmée à travers l’observation. Deuxièmement l’évolution, et l’histoire naturelle des troubles seraient contenues dans la définition de la catégorie diagnostique. Or, il est avéré que les modalités évolutives des troubles sont au moins en partie influencées par le contexte culturel et social (par exemple le pronostic de la schizophrénie est meilleur dans les pays en voie de développement que dans les pays occidentaux).

Troisièmement, la dichotomie corps/esprit sous-tend encore certaines catégories comme celles des troubles somatoformes ainsi que la distinction forme-contenu implicite dans la description des grandes catégories diagnostiques et de leurs “ variants culturels ”. Enfin, les conceptions de la personnalité comme une entité stable et discrète et non comme une entité continue, sont toutes autant de conceptions qui ne sont pas universellement partagées. Il semblerait que le DSM-IV ne peut souffrir trop de relativisme culturel (Baubet 2007, communication personnelle), qui remettrait en cause les théories implicites qu’il contient (Kirmayer, 1998 cité par Baubet 2003).

Cela étant dit, il ne s’agit pas ici de dire que la psychiatrie n’est adéquate qu’à un univers donné (en l’occurrence le monde occidental) et non transposable (dans un autre contexte culturel). En effet, il s’agit là d’une position relativiste extrême qui, considérant chaque trouble comme n’existant que dans un contexte socioculturel donné, et, de façon absolue, revient à réfuter la validité même de la psychiatrie. Autrement dit si la culture implique la représentation phénoménologique du désordre, ce désordre est celui que l’on se représente et il n’y a plus d’objet scientifique (Lantéri-Laura, communication personnelle, cité par Selod, 1998). Or, on s’accorde à penser selon l’état actuel de la recherche, que les troubles psychiatriques en tant que phénomènes psychopathologiques comprennent des mécanismes étiologiques de nature à la fois neurobiologiques et psychosociaux. La force d’une approche

qui serait à la fois clinique et anthropologique résiderait dans la coexistence d’un abord à la fois scientifique et constructif de sens pour l’individu évoluant dans un univers donné. Et, malgré les critiques adressées à la position trop universaliste de la nosologie psychiatrique actuelle (où persistent des erreurs catégorielles, voir ci-après) imposées par la prééminence d’une culture sur une autre, il reste clair que la reconnaissance et la conception de nombreuses maladies mentales se retrouvent régulièrement dans de nombreuses sociétés.

A propos des misdiagnosis (exemple des troubles