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Adaptations du cadre des interventions

psychothérapeutiques en situation interculturelle en dehors d’un dispositif spécifique : une

réduction des effets de contre-transfert culturel

26 Verbe au futur, car pour le moment cette élaboration reste en France très, sans doute trop

« centralisée » : un seul lieu de formation hospitalo-universitaire en psychiatrie transculturelle existe en France, il s’agit du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent du Pr. Moro de l’hôpital Avicenne).

Ces aménagements peuvent s’avérer nécessaires en situation interculturelle, car, si en situation intraculturelle les implicites (théoriques et techniques) du cadre thérapeutique sont généralement partagés entre patient et thérapeute, en situation interculturelle il n’en va pas de même. Le thérapeute doit alors pouvoir instaurer un cadre qui permette au patient l’expression de sa souffrance éventuellement « culturellement préformée » (Nathan, 1986).

Cependant « ce cadre doit rester cohérent avec sa propre personne et au mode d’approche » que le clinicien maîtrise (Ibid.). En effet, le thérapeute ne doit pas « perdre son identité culturelle et professionnelle […] sous peine de perdre son âme et son efficacité » (Moro, 2004 p.114). Nous l’avons vu, le fait que le thérapeute ait des assises identitaires solides, ici tant idiosyncrasiques que professionnelles, est une condition requise à une reconnaissance de l’altérité et une compréhension de la différence de son patient.

Ces aménagements du cadre qui concernent les thérapies individuelles sont tous appliqués (avec des modalités différentes) dans le dispositif de groupe transculturel.

L’aménagement du cadre des interventions psychothérapiques en situation interculturelle parce qu’il réduise la distance existante entre patient et thérapeute peut présenter un triple intérêt : améliorer la qualité de l’évaluation (parfois la modification du cadre permet même de modifier radicalement un diagnostic), améliorer l’alliance thérapeutique avec le patient (Do, 2000), et donc, augmenter les chances de réussite du traitement.

q) Les adaptations concernant le thérapeute lui-même (méthodologiques et théoriques) :

 DeDessououttiillssmémétthhooddoollooggiiqquueesssosouuvveennttnénécceessssaaiirreess::cocommpplléémmeennttaarriissmmeeeettdédécceennttrraaggee Nous l’avons compris, ce diptyque constitue les fondements méthodologiques de la pratique ethnopsychiatrique (avec bien sûr l’analyse du contre-transfert culturel). Si nous en avons développé les aspects théoriques au début de ce travail, nous essayerons ici de montrer leur pertinence clinique en tant qu’ils réduisent les effets de contre-transfert culturel.

Le décentrage culturel et l’utilisation de l’outil complémentariste sont des adaptations du cadre qui peuvent s’avérer importantes voire essentielles. En premier lieu, le décentrage culturel, qui contraint le clinicien à suspendre un diagnostic souvent trop prompt lorsqu’il est

fait à partir de nos catégories occidentales (par exemple, confusion entre du matériel culturel comme l’envoûtement et un délire, non perception d’un affect mélancolique sous un discours centré sur la sorcellerie etc.) et l’utilisation de l’outil complémentariste conduisent à une multiplicité d’hypothèses étiologiques. Rappelons que ce dernier oblige le clinicien à avoir, de manière non simultanée, plusieurs lectures du matériel recueilli. Or, les travaux portant sur l’évaluation des psychothérapies ont montré que la capacité du thérapeute à modifier ses hypothèses diagnostiques est un facteur général d’efficacité quelle que soit la technique psychothérapique utilisée (Lecomte et Castonguay 1987, cité par Moro 2004).

Pour expliciter notre propos, nous évoquerons, par exemple, les théories étiologiques d’envoûtement ou de sorcellerie parfois évoquées par certains patients de culture non occidentale. T.Nathan. souligne que lorsque un patient d’origine africaine dit « : « je suis envoûté par X », le thérapeute occidental a tendance à entendre : « je ne peux supporter les sentiments d’amour-haine que j’éprouve envers X et les lui attribue projectivement ». […] Or, pour ce patient, la proposition « je suis envoûté par X » », peut « immédiatement être comprise comme : « X est en moi, je suis plein de la pensée que j’ai de lui ». Pour ce patient, cette proposition » peut être « un énoncé sur son intériorité » (Nathan, 1986 p. 35). De fait, il ne s’agit pas pour le clinicien occidental d’ « entendre » (on pourrait même dire de croire en) ipso facto l’une ou l’autre de ces propositions, il s’agit, pour lui, de se décentrer de ce que naturellement, spontanément il tend à interpréter de cet énoncé. « La réduction de catégories de la pensée africaine comme celle de la sorcellerie […] à une interprétation persécutive » n’est pas légitime (Moro, 1994 p.61). La sorcellerie est à penser d’abord comme une modalité culturelle d’exprimer une vulnérabilité et une effraction (propos rapportés). Il y a nécessité dans chaque cas de s’interroger sur « les dynamismes concrets impliqués dans la genèse de la maladie », dynamismes « que la notion de persécution risque d’occulter » (Corin, 1991 p.148).

On voit, là, en quoi le décentrage culturel et le recours à une méthodologie complémentariste est essentielle. Dans cet exemple, il importe plus particulièrement d’avoir une lecture anthropologique et psychodynamique du matériel. Le clinicien pourra, alors, appréhender la complexité du phénomène psychique en étudiant les interactions existantes entre le niveau anthropologique et psychodynamique. Bien sûr, nous ne le répèterons jamais assez, dans d’autres situations d’autres lectures peuvent s’avérer nécessaires pour appréhender la complexité du matériel, telle une lecture socio-historique. Nous évoquerons, là, par

exemple, le cas explicité par Devereux dans Psychothérapie d’un Indien des plaines (1951), dont nous avons déjà parlé. En début de cure, le patient, Indien Wolf, avait développé un transfert négatif envers son analyste car il l’assimilait au « blanc colon » responsable du génocide de son peuple. Si l’analyste n’avait pas eu une lecture de la situation prenant en compte la dimension socio-historique de celle-ci (qui lui a permis de comprendre ce qui était en jeu dans le transfert du patient) il aurait probablement interprété de manière univoque le transfert négatif du patient comme étant, par exemple, le signe d’un transfert d’affects envers la figure paternelle.

 LaLa nénécceessssiittéé d’d’uunnee atattteennttiioonn paparrttiiccuulliièèrree auauxx trtraavvaauuxx dede rerecchheerrcchhee eenn ppssyycchhiiaattrriiee ttrraannssccuullttuurreellllee,, anantthhrrooppoollooggiieeméméddiiccaalleeetetépépiiddéémmiioollooggiieecucullttuurreellllee::

Bien que cela puisse paraître évident, nous souhaitons souligner ici que se référer aux travaux de recherche en épidémiologie culturelle, en anthropologie médicale (qui aide à mieux comprendre les patients migrants en obligeant à entendre les logiques inhérentes à chaque système culturel et médical (Taïeb et Heidenreich, 2003)), en psychiatrie transculturelle (nous pensons notamment à ceux qui interrogent la validité transculturelle de nos outils d’évaluation) s’avère d’un grand recours pour toute pratique psychiatrique interculturelle. Encore très peu connus dans le système de soin français en santé mentale, sans doute leurs résultats mériteraient-ils d’être appréhendés de manière collective (formation continue, universitaire etc.). Kress (1995 cité par Bourguignon 2003) soutient que c’est la diversité des références théoriques qui garantit l’éthique de la psychiatrie (qui est celle du soin considérée comme mise en œuvre du savoir médical).

r) Les adaptations techniques :

 L’L’iinnttrroodduuccttiioonndedelalallaanngguueemamatteerrnneelllleeppaarrffooiissnénécceessssaaiirree::

L’introduction de la langue maternelle du patient peut s’avérer nécessaire, quand bien même celui-ci parle la langue du thérapeute. En effet, même si le patient n’a pas de difficultés linguistiques dans la vie quotidienne, le recours à sa langue maternelle peut lui être précieux pour évoquer tout élément qui implique plus particulièrement sa subjectivité (son intériorité, ses relations aux autres, Dieu etc.). Le patient doit donc avoir la possibilité de parler sa (ou

ses) langue(s) maternelle(s) (selon ses envies, ses possibilités et la nature du récit qu’il construit). Par possibilité, nous entendons choix. Par ailleurs, dans ces circonstances, c’est plus particulièrement « le lien entre les langues qui est recherché » (ibid.), figuré par le passage d’une langue à une autre. Il ne s’agit donc pas d’un renvoi parfois « artificiel » à une langue maternelle « fossilée » (ibid.).

L’interprète, lui, connaît, bien sûr la langue du patient mais aussi sa culture, et, s’il lui est demandé de traduire mot à mot, il peut aussi lui être demandé de reconstituer le contexte des mots, les représentations sous-jacentes, « les mondes qui donnent sens aux mots et ses propres associations » (Moro, 2004 p.115). On peut dire qu’à ce titre l’interprète peut (à certains moments de l’entretien) être un médiateur culturel, qui en introduisant des informations contextuelles, peut éclaircir le sens des énoncés du patient. Par exemple, en milieu bambara le terme gankedimi est souvent traduit par « règles douloureuses », or, la plupart du temps, il est utilisé par les femmes pour évoquer, sans prononcer le mot, la crainte d’une stérilité. On voit là en quoi l’interprète peut être aidant à la compréhension de la problématique du patient.

C’est-à-dire que si, effectivement, une certaine transparence et une certaine neutralité sont à exiger de la part de l’interprète, son engagement dans un rôle de médiateur, de passeur culturel est également à valoriser. Par ailleurs, l’introduction de ce tiers, qui n’est pas culturellement neutre, modifie la configuration de la relation thérapeutique. L’interprète va être mis à une place particulière par le patient, et, des enjeux transféro-contreférentiels vont se jouer entre patient et interprète27. Après l’entretien, ces éléments peuvent faire l’objet d’une discussion (entre thérapeute et interprète). Celle-ci peut, outre faciliter le rôle et le confort de travail de l’interprète, être particulièrement informative, notamment sur les enjeux transféro-contretransférentiels se jouant avec le patient.

Travailler avec un interprète est un travail de collaboration. Il nécessite donc que le thérapeute puisse expliciter ses attentes par rapport au traducteur et prenne en compte tout ce qu’implique que celui-ci soit lui aussi un « être pensant » (Ibid.).

 DeDesstetecchhnniiqquueessd’d’eennttrreettiieennququiipepeuuvveennttêtêtrree(r(ree))ppeennssééeess::

La relation duelle ne va pas forcément de soi pour un patient issu d’une culture non occidentale où l’individu est pensé en interaction constante avec ses groupes d’appartenance

27 Sans doute d’ailleurs aussi entre interprète et thérapeute.

(Moro et Baubet, 2003). Elle peut être vécue comme intrusive, menaçante. Si tel est le cas, il est nécessaire de reconstituer les conditions permettant un déploiement de la subjectivité du patient, en proposant au patient de venir avec quelqu’un de son choix ou, par exemple, de proposer à un soignant qui le connaît de venir à la consultation (ce qui est simple en

institution) (Moro, 2004). De même, la technique de l’entretien doit être (re)pensée. « Les questions directes sur l’intimité, la vie de couple, le privé, les aspects culturels tels la polygamie, les rites sont à éviter. Elles sont souvent vécues comme « violentes, intrusives, saugrenues, et parfois impolies » (notamment, lorsqu’elles ne respectent pas les règles culturelles de l’échange : ordre des générations, différence des sexes etc.) (Moro et Baubet, 2003 p.193). Aussi, le clinicien devra tenter, au maximum, d’explorer ces aspects de manière implicites (en usant de périphrases, de métaphores, d’euphémismes par exemple).

De même il est « nécessaire de partir des représentations du patient (sur ce qui lui arrive, de le questionner sur ses attentes par rapport au traitement, sur ce qu’est, pour lui, être malade, être guéri) » (Moro et Baubet, 2003 p.193). L’important est de signifier au patient qu’on est prêt à entendre les représentations culturelles qu’il a sur ses troubles (car, la plupart du temps il ne s’autorise pas à les exprimer spontanément). Il est important que celles-ci puissent être dites

« afin de ne pas redoubler le clivage entre les univers d’appartenance » (Ibid.).

Cependant, ceci est particulièrement délicat, car, si le thérapeute formule une question montrant qu’il connaît, par exemple, le fonctionnement de l’étiologie sorcière où de l’étiologie par les Djinns28, il ne se trouve « plus tout à fait dans la même position de neutralité » (culturelle) « qu’avant de la poser » (Nathan, 1988 p.83). En effet, le patient peut, alors, se questionner : « Qui est ce thérapeute « Un thérapeute traditionnel ?» mais de quel type ? Un thérapeute occidental, mais, qui croit aux étiologies sorcières ? » » (Ibid.). Il peut alors, déposer auprès du thérapeute un riche matériel culturel qui embarrassera fort ce dernier.

C’est-à-dire que, à la différence du dispositif groupal, en relation duelle, il n’est guère possible de travailler à partir des représentations culturelles.

Tous ces aménagements, ces adaptations du cadre doivent être connus du clinicien. Ils permettent la négociation du cadre (nécessaire à tout travail psychothérapique) en situation interculturelle. En outre, cela permet de réduire la distance culturelle existante entre patient et

28 Djin, pluriel jnounn: sorte d’esprit maléfique propre au monde musulman, que l’on retrouve en Afrique noire musulmane sous le nom de Djinné et à qui l’on impute toutes les sortes de négativités : malchance, maladie, échecs sentimentaux, crises de folie etc., mais aussi certains pouvoirs : ainsi dit-on d’une vielle femme kabyle : « elle a ses jnoun » qui désignent alors des génies auxiliaires (Nathan, 1986 p.89).

thérapeute (et par-là même de réduire l’éventuel sentiment « d’étrangeté » du patient éprouvé dans une telle situation). Aussi, la perception qu’aura le thérapeute de son patient sera moins sujette à des déformations contre-transférentielles, notamment ethnocentriques .