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Notons que nous ne serons pas exhaustif sur la question. Mais nous souhaitons insister sur le fait que considérer la dimension socio-culturelle donc collective du contre-transfert, c’est par là même considérer les dimensions historiques, idéologiques et de pouvoir qui y interviennent. En effet, tout individu est inévitablement inscrit dans un groupe lui même inscrit dans un contexte historique, socioculturel et institutionnel (qui a outre sa réalité, son

12 « La fonction première de la croyance est de métaphoriser le réel afin qu’il ne soit pas vrai […]. Le trait le plus manifeste de l’appareil de croyance (étant) qu’il vient se subsituer au travail de pensée[…]. La croyance ne se questionne pas » (Pontalis, 1978, cité par Pommier, 2004 p.70).

imaginaire et ses fantasmes propres). Ces dimensions interviennent et organisent le pré-contre-tranfert socio-culturel du thérapeute. Par ce terme nous entendons la dimension culturelle du contre-transfert de « base » (Guillaumin, 1965 cité par de Uturbey, 1994) ou contre-transfert « d’accueil » (De Urtubey, 1994) présent avant que la rencontre clinique n’ait lieu.

Le courant d’anthropologie « critique » qui s’est développé à partir de la fin des années 80 avec notamment Lock, Schepper-Hughes et Young sont particulièrement informatifs à ce sujet car ils intègrent à leur réflexion concernant le système de soins, les relations thérapeutes- patients, et les représentations de la maladie, l’histoire et l’analyse du colonialisme ainsi que l’économie politique au sens large (Fainzang, 2001 ; Benoist 2002 ; Saillant et Genest cités par Taïeb 2006). Les travaux de Foucault (1961, 1973-1974 etc.), plus anciens mais non moins pertinents, sur lesquels, d’ailleurs, s’appuient ces auteurs, sont également à considérer.

En effet, cet auteur se livre, entre autres, à une analyse des enjeux de pouvoir intervenant dans les relations thérapeutes-patients. Knowles (1991, 1996) ou Fernando (1995) les évoquent, nous l’avons vu, en des termes forts tels que celui de « contrôle social » ou de « racisme institutionnel » pour évoquer ces enjeux collectifs de pouvoir économiques, sociaux et politiques (au sens large) dans les relations thérapeutes patients. Si des critiques ont pu être adressées aux travaux de certains de ces auteurs du fait d’une vision quelque peu radicale voire extrémiste, sans doute méritent-ils de retenir notre attention.

Nous proposons de nous arrêter, ici, plus particulièrement sur la dimension socio-historique du contre-transfert. En ce qui concerne sa dimension idéologique et politique le lecteur pourra se référer à la partie « contre-transfert du chercheur » qui suit dans cette discussion.

Parce que tout individu est un être de culture il est par là même « historique » : il est porteur de l’histoire du système socio-culturel. Si cette question est vaste, nous souhaitons tout particulièrement souligner l’impact de l’histoire coloniale et de sa doctrine (le colonialisme) dans l’inconscient collectif de nos sociétés. En effet, il est évident, que la barrière jadis solide

« entre le « maître » et l’ « esclave » est aujourd’hui abolie », « dans nos idéologies et nos aspirations », mais souligne Kristeva (1988), « nos inconscients » en gardent la trace.

Rappelons que l’idéologie coloniale, pour asseoir le pouvoir du dominant, se fonde sur une logique de domination et d’infériorisation de l’autre. Le discours colonial utilise un ensemble

de représentations stéréotypées13 de l’ « autre culturel ». Celles-ci sont ambivalentes : elles lui attribuent à la fois des caractéristiques d’être défaillant, « sous-humain » mais aussi d’être étrangement et excessivement attirant ; ambivalence qui, nous le verrons, peut être considérée comme inhérente à l’appréhension de l’« autre ». De nombreux auteurs soulignent que les représentations collectives (positives ou négatives)14 véhiculées par nos sociétés (Fernando, 1995) gardant la trace des fantasmes de cet imaginaire colonial (Hall, 1997 cité par Sturm, 2004)15. Néanmoins, loin de nous l’idée que ces représentations sont toutes des avatars de la colonisation, certains préjugés16 racistes émergent de novo (Kristeva, 1988 ; Golse, 2006).

Aussi, bon nombre d’affects sont mobilisés contre-transférentiellement du fait de l’inscription dans nos mémoires de l’histoire collective. Des sentiments de culpabilité, de pitié, ou d’agressivité (Devereux, 1951 ; Comas-Diaz et Jacobsen 1991 ; Dalal, 1994) plus ou moins inconscients peuvent émerger dans la relation de transfert du fait du contexte socio-historique des groupes d’appartenance des deux individus en présence. Ricoeur a montré, dans La mémoire, l’histoire et l’oubli (2000), que la notion de culpabilité revêt un enjeu éminemment mémoriel. Cette question difficile mériterait d’être plus amplement développée, et pourrait faire l’objet d’un travail spécifique. Cependant, remarquons, par exemple, que l’ampleur et parfois la violence des débats polémiques concernant la question de la mémoire de l’esclavage en France rend sans doute compte, pour partie, de la difficile gestion de la responsabilité et donc de la « culpabilité » sur un plan collectif (Moro et Mestre 2006).

13 Le stéréotype vient du grec « stereos » qui signifie « solide » et « tupos » qui signifie « type, caractère, empreinte ». En psychologie sociale, le stéréotype est définit comme étant une idée, une opinion toute faite, acceptée sans avoir été soumise a un examen critique, par un examen ou un groupe, et qui détermine à un degré plus ou moins élevé, ses manières de penser, de sentir, et d’agir (Trésor de la langue française, version Web).

14 F. Fanon disait « Je me méfie tout autant de ceux-ci qui disent aimer les noirs que de ceux qui disent les détester » (Peaux noires masques blancs, 1951).

15 (Il est intéressant de noter que la plupart de ces auteurs viennent de « l’extérieur » de la « marge » pour citer Bhabbha (1994 cité par Sturm, 2005), c’est-à-dire qu’ils sont pour la plupart migrants (E.

Glissant, F. Vergès, M. Condé etc. cités par Moro et Mestre 2006) : la culture ne se connaît elle-même que dans son rapport « au dehors », c’est-à-dire lorsqu’elle franchit ses « frontières » (Kaës, 2005))

16 Comme pour tout préjugé raciste, la culture prend la forme, chez cet autre étranger, d’un « trait culturel » (impliquant un rapport d’adéquation psyché/culture). La complexité de l’expérience et des actes de l’autre sont réduits à un nombre restreint de « caractéristiques » qui lui sont attribuées et qui sont présentées comme « naturelles ». Ainsi les limites entre le « même » et l’ « autre » sont fixées.

(voir aussi racisme « des petites différences »).

Contre-transfert du chercheur à son objet de recherche « le