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Transcription, médiation et engagement citoyen : le rôle des enseignants référents

fondé sur une multiplicité de critères

2.1 Transcription, médiation et engagement citoyen : le rôle des enseignants référents

Dans ce cadre, la manière d’animer les ESS sera différente selon l’articulation de ces trois dimensions entre elles. On peut considérer qu’il existe chez les enseignants référents trois manières d’animer les réunions. Selon la manière dont les registres sont évoqués et articulés, l’ESS ne sera pas menée de la même manière par l’enseignant référent.

Une première manière renvoie à un rôle de transcripteur. Ce rôle consiste à aiguiller les échanges autour du projet de l’élève, des difficultés rencontrées et des moyens mis en œuvre et à demander. Ce type de réunion, dans les observations, s’est présenté lorsque la situation paraissait évidente à tous les acteurs, notamment en termes de besoins à compenser et de difficultés de l’élève.

Ici, l’enseignant référent ne fait qu’orienter a minima les échanges, afin de prendre les informations nécessaires, mais aussi pour permettre aux parents et aux professionnels de se mettre d’accord, en particulier lorsque les enjeux ne relèvent pas uniquement du droit à la compensation, mais aussi de l’accès à l’enseignement général. Dans l’extrait suivant, on voit comment l’enseignant référent oriente les échanges sans chercher à influencer la décision. En effet, l’enjeu de cette ESS est de savoir si l’élève, alors en troisième, peut aller en seconde générale ou s’il convient de l’orienter en seconde professionnelle.

Extrait ESS

Enseignant référent : Donc, depuis cette dernière équipe de suivi […] quelle vision

vous avez de l’évolution ?

Père : je trouve que çà a mûri un peu plus

Professeur : oui, parce que son projet, il y a eu une autre réunion après, où elle s’était

orientée davantage, on avait parlé, de décoration […]

Père : là, elle va faire le stage dans la vente de maison, l’immobilier […] Maintenant,

être fixée, fixée, on ne peut pas dire qu’elle est vraiment fixée sur quelque chose

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Père : non, non. Elle s’oriente quand même…

Orthophoniste : moi, je trouve qu’on voit que c’est pas fixé. Si on pousse un peu trop,

elle est vite dans le « je sais pas, je sais pas », mais de façon générale, elle est quand même plus sereine par rapport à cette perspective-là. […]

Enseignant référent : vous la sentez comment par rapport au travail qui est

demandé, en cette fin de période notamment ?

Père : en cette fin de période, on voit quand même, comme on vit avec, on voit qu’elle

fatigue. […] les notes, je trouve que c’est pas trop mal mais je sais bien que ça va pas être la numéro un de la classe

Professeur : non, mais on sort du conseil de classe. On a un petit peu de recul sur

ce premier trimestre. C’est vrai qu’on a quand même l’impression que […] elle a consolidé certaines bases. C’est plus solide que l’année dernière et d’un point de vue personnel, elle a paru quand même plus épanouie.

Ainsi, les échanges tournent immédiatement autour du projet professionnel, des résultats scolaires et de l’épanouissement de l’élève, sans que l’enseignant référent n’ait à intervenir. La deuxième manière de mener les équipes consiste à jouer le rôle de médiateur, d’orienter la discussion, afin de trouver un consensus. Il s’agit des équipes éducatives ou des situations potentiellement conflictuelles, c’est-à-dire lorsqu’il existe un grand degré d’incertitudes. Par exemple, un enseignant référent a été amené à animer une équipe éducative après un premier échec de scolarisation d’un enfant de quatre ans, dont le trouble n’avait pu être identifié qu’après cette première tentative. Pour lui, il s’agissait d’abord de réussir cette deuxième tentative en posant que « l’école est accueillante », en favorisant les échanges entre la nouvelle enseignante et l’enseignante spécialisée et surtout en « rassurant les parents » (Entretien E32).

En effet, dans cette situation, les parents avaient dû retirer leur enfant d’une école maternelle l’année précédente. De l’autre côté, si la nouvelle équipe enseignante acceptait a priori cet enfant, le directeur avait demandé à l’enseignant référent d’être présent. Lors de l’équipe éducative, c’est ce dernier qui a mené la réunion, le directeur ne sachant pas comment mettre en œuvre cette première scolarisation. De par son expérience, il proposa une scolarisation progressive où tous les deux mois, la situation serait évaluée en ESS, afin de voir s’il était possible d’accroître le temps passé à l’école. Lors des ESS suivantes, c’est l’enseignant référent qui, tout en écoutant les différents points de vue, proposera d’accroître ou pas le temps de scolarisation, le rôle de médiateur renvoyant ici à un rôle d’accompagnateur de l’ensemble des acteurs concernés.

La troisième façon d’animer les équipes de suivi de scolarisation relève de l’engagement citoyen, où il s’agit à la fois de correspondre à des attendus réglementaires, mais aussi moraux. Cet engagement, lié à un rôle officiel d’expert de la scolarisation des élèves handicapés, se fonde sur une forme de mise à distance des difficultés enseignantes et une volonté d’imposer une scolarisation la plus proche possible du milieu ordinaire, comme cela est attendu dans les textes et par une majorité d’acteurs sociaux.

Dans le cas d’un élève scolarisé en temps partagé entre école et Itep, l’enseignante et la chef d’établissement se sont interrogées sur l’utilité d’une orientation en Clis, argumentant que

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l’élève avait peut-être une déficience intellectuelle plutôt que des troubles du comportement. Dès lors, l’enseignante référente a argumenté qu’un élève orienté en Itep ne relevait pas de Clis, de par la nature de son trouble. Suite à une proposition d’orientation Segpa, l’équipe enseignante s’était inquiétée du niveau de l’élève, l’orientation n’étant possible qu’avec « un

niveau CE2 ». Une solution fut trouvée au moment où le coordinateur Itep a proposé de

faire réaliser un bilan, même si, pour lui, le jeune n’avait pas de déficience intellectuelle. Dans ce contexte, l’enseignante référente a tenté d’imposer un point de vue, correspondant à des idéaux moraux, la mettant à distance du corps enseignant, tout en la rapprochant des acteurs du médico-social, ces derniers ayant proposé l’orientation en Segpa, à moyen terme.

2.2 Le diagnostic adapté au fil du temps et au regard des performances

D’une manière plus générale, le projet évoqué en ESS est déterminé par le diagnostic scolaire. Ainsi, pendant l’ESS, les éléments scolaires sont évoqués à partir de l’idée qu’il faut construire un projet pour que l’enfant devienne un élève à part entière, c’est-à-dire affilié scolairement. Plus concrètement, dans un deuxième temps, il s’agit de déterminer le type d’orientation envisageable ou d’aide que pourrait apporter une notification de la MDPH. Si les aménagements pédagogiques sont envisagés sous l’angle de solutions déjà apportées, ils peuvent aussi être présentés comme des solutions insuffisantes et temporaires, devenant dès lors un argument supplémentaire pour une demande de compensation.

Le fait d’envisager une demande MDPH nécessite de conjuguer plusieurs dimensions, dont certaines sont examinées en EPE. Ainsi, il s’agit d’abord de constater que le « droit commun » ne suffit pas et qu’il faut donc passer par le droit à la compensation. Il s’agit pour eux de saisir à quel moment est envisageable telle ou telle orientation, quand bien même l’ESS n’évalue pas les besoins. Cela est d’autant plus prégnant que l’orientation en Ulis ou en Segpa est liée à un niveau scolaire minimum mesurable par les enseignants en poste dans les écoles. Ce niveau mesurable à atteindre doit, dès lors, être explicité en ESS, afin de mettre en place le travail scolaire que l’élève aura à fournir. Il n’est dès lors guère étonnant que ce genre d’échanges en ESS ait lieu :

Extrait ESS

Enseignant référent : pour l’année prochaine en Itep, vous envisagez ?

Coordinateur Itep : sur un temps un peu plus long, travailler sur les acquis […] pour

essayer d’atteindre le niveau CE2, […] on sent qu’il a une capacité pour pouvoir aller vers une Segpa. Il faut essayer de consolider les bases scolaires

Chef d’établissement : oui, parce qu’il faut des bases.

Enseignant référent (vers les parents) : vous connaissez le 6/5e Segpa. En fait, il y a des classes au niveau ordinaire qui sont composées de 16 élèves maximum avec, […] souvent ces élèves sortent vers l’apprentissage

Chef d’établissement : et commencent très tôt à faire des stages, pour faire des

choses beaucoup moins scolaire […] en fait il faut avoir un niveau CE2 pour entrer en Segpa, ça c’est ce qui est exigé.

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Autrement dit, en plus d’atteindre un niveau scolaire, il s’agit de l’atteindre dans un délai imparti. Ainsi, la question du temps renvoie à la capacité de l’élève à apprendre dans un rythme donné, rythme imposé par le système scolaire. Au fond, puisqu’avec le GÉVA Sco, il s’agit de comparer l’élève à un enfant du même âge, c’est l’écart par rapport à un développement dit « normal » qui est mesuré.

En ce sens, les éléments ne relevant pas du scolaire, mais des progrès en général sont consignés dans le GÉVA  Sco et évoqués en ESS. Ici, s’opère un déplacement allant d’un repérage d’éventuels besoins, comme un suivi psychologique, vers une mesure des capacités de l’enfant, permettant en cela de saisir si l’enfant peut devenir élève et par quels moyens. Les nombreuses remarques liées à l’attitude, tant en classe que dans la cour, à l’hygiène, à l’intimité ou au corps, renvoient à la socialisation primaire. Ici, les enseignants tentent de saisir à quel point l’élève est un futur jeune adulte intégrable au monde du travail. En entretien, une enseignante référente va même jusqu’à affirmer que, «  je pousse un peu,

mais dès la maternelle, il faudrait construire leur projet professionnel » (Entretien E61).

Dès lors, il n’est pas étonnant de voir les parents sollicités sur un mode particulier, lié à la manière d’éduquer leur enfant. Des injonctions sont effectuées par rapport à l’hygiène, mais aussi sur les rythmes de sommeil. L’ESS est en cela un espace où l’équipe enseignante essaye d’établir les raisons des difficultés, en particulier si une modification du comportement des parents est envisageable. Si un élève est fatigué, l’équipe tente de savoir s’il dort suffisamment. Lors des ESS, les enseignants mentionnent souvent « l’anxiété » ou « l’angoisse » de l’élève. Sur le plan scolaire, cela ne renvoie pas seulement à l’idée, comme cela a été dit dans de nombreux entretiens, que «  le plus important est que l’enfant se sente bien  » (Entretien E17), mais aussi qu’en état de « bien-être », les élèves sont plus performants, en termes de concentration, de mémorisation, de compréhension et, en conséquence, d’apprentissages effectifs.

2.3 Éléments prioritaires, occultation d’éléments explicatifs