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3.2. Sujet et sa destinée

3.4.4. Trajectoires et intégration en emploi

Dans le contexte de l’intégration en emploi des travailleurs immigrants, le récit de leur trajectoire, en reliant ce qui s’est passé et ce qui se passe, permet de faire le pont entre la vie pré-migratoire, le parcours d’intégration et le moment présent. Il nous renseigne sur les stratégies d’actions et le contexte dans lequel elles s’inscrivent, entre le monde individuel et le monde social. La trajectoire migratoire, marquée par les discontinuités et les ruptures, par la recherche des repères dans le nouveau contexte, met en scène des acteurs essayant à la fois de reproduire le passé et de s’adapter aux nouvelles conditions dans un mouvement de transformation ininterrompu sans toutefois perdre le sens de la continuité ou de l’identité. La trajectoire nous informe donc d’une expérience d’intégration toujours particulière et unique en lien avec les facteurs qui l’influencent, le sens que les acteurs donnent à leur expérience et les rapports qui s’y rattachent. Pour sa part, Vatz Laaroussi souligne que l’intégration n’est pas uniquement la responsabilité des immigrants mais plutôt qu’il s’agit « d’une finalité et d’une responsabilité, partagées tant par les populations immigrantes, que par les sociétés d’accueil.» (Vatz Laaroussi, 2003 : 153). La trajectoire rend visible autant les actions et les perceptions des individus, les obstacles et les opportunités rencontrés dans un monde social donné que le rôle des autres : individus, groupes, institutions dans un parcours migratoire.

Il est donc nécessaire de prendre en considération les autres acteurs qui y jouent un rôle actif ou passif : la famille, les amis (dans le pays d’immigration ou à l’extérieur), les membres de la communauté, les voisins, les agents dans les

organismes communautaires et les individus rencontrés au cours de la recherche d’emploi, de logement, bref, tous ceux qui, de près ou de loin, directement ou indirectement, prennent part à la trajectoire d’un immigrant. Articulés entre eux, ces divers aspects produisent des trajectoires uniques mais qui reflètent également certains phénomènes communs à tous. Notamment, et indépendamment des péripéties que vivent les acteurs, la question de l’intégration en emploi reste centrale (Vatz Laaroussi, 2003; Taboada Leonetti, 1994) et ce, autant pour assurer une source de revenu que pour pouvoir prendre part aux activités économiques et sociales permettant de combler le besoin de reconnaissance et d’appartenance (Todorov, 1995).

3.5. Conclusion

Ce chapitre cherche à définir les principaux concepts tels que le sujet, l’agentivité, la subjectivité et l’identité en les mettant ensuite en rapport avec la notion de trajectoire et d’intégration (socioprofessionnelle). Le sujet s’y dessine comme un acteur réflexif, capable de poser des actions délibératives, de dire ce qu’il éprouve et de reconnaitre ses désirs face aux autres (De Gaulejac, 2009). À la fois un être matériel, cosmique et social (Todorov, 1995) mais il est social tout en étant apte de se distinguer des autres par ses actions et par sa parole (Arendt, 1983). Sa complexité est visible dans les rapports qu’il entretient avec le monde extérieur, avec les autres et avec soi-même. Ni entièrement libre, ni totalement déterminé, il agit pour atteindre ses buts, entre en médiation avec les autres, se définit à travers eux, vise une autonomie, aspire à être soi, pense, (se) réinvente (Crozier, Friedberg, 1977). S’il détient le pouvoir d’agir, le résultat de ses actions lui échappe car dépendant d’une série de facteurs extérieurs toujours en mouvement (Todorov, 1995).

Une tension permanente caractérise le sujet moderne, celle d’une volonté d’être de plus en plus autonome tout en maintenant ses ancrages sociaux (puisque le besoin d’appartenance et de communication lui est fondamental). Les logiques d’action multiples et parfois contradictoires constituent son expérience sociale (Dubet, 2009). Bien qu’il adhère aux normes sociales pour maintenir le ‘nous’ collectif face au ‘moi’ individuel, il peut à l’occasion se dissocier des mécanismes sociaux et des relations sociales pour poser des actions de résistance au pouvoir, de dégagement de ses assujettissements, d’affirmation de soi (Touraine, 2007). Sa subjectivité, comprise comme une dimension intime permanente, l’autorise à ressentir une grande liberté, malgré les contraintes qui lui pèsent, en le mettant à distance du monde extérieur (Martucceli, 2002). Il agit donc en prenant appui sur sa perception des événements vécus et de son efficacité personnelle face à un environnement porteur des contraintes sociales et organisationnelles, en fonction des schémas comportementaux ou patterns des actions réalisées dans le passé. Plus sa perception d’efficacité personnelle est élevée, plus les efforts employés pour atteindre ses objectifs sont grands (Bandura, 1989). Cependant, l’avenir n’étant pas prévisible, le sujet doit composer avec les événements indépendants de sa volonté qui peuvent modifier soudainement le cours de sa vie (Giddens, 1993).

L’emploi permet au sujet de répondre à ses besoins fondamentaux qui dépassent largement le seul moyen d’assurer un niveau de vie souhaité ou d’atteindre un statut social recherché. Un emploi qualifié, situé au niveau des attentes, aura pour rôle de combler son besoin individuel de la considération et de la compétence, de l’ancrage dans la société où il vit, de la responsabilité et de la reconnaissance (Castel, 1995; Flacher, 2008; Fournier, Monette, 2000; St Arnaud, 2004). Dans le contexte de l’immigration, l’emploi aura d’autant plus d’importance pour le sujet que son projet migratoire a été construit autour du désir d’occuper un emploi à la mesure de ses qualifications. La trajectoire

socioprofessionnelle d’un travailleur immigrant témoignera d’une mobilité entre différentes positions professionnelles dans le but d’atteindre son objectif initial ou ajusté en fonction de la réalité vécue. Elle sera également révélatrice de la toile des liens sociaux tissés au cours de son parcours et qui influence son déroulement (Bellot dans Laberge, 2000; Bertaux, 2003; Bourdieu, 1994).

En somme, la trajectoire migratoire nous renseigne sur les stratégies d’action d’un sujet, sur le contexte dans lesquelles elles s’inscrivent, sur les discontinuités et les ruptures vécues par lui et sur la recherche de nouveaux repères, d’une continuité et d’une cohérence face aux changements (De Gaulejac, 2009). Au cours de la trajectoire, la responsabilité individuelle et collective s’articule de manière à rendre visible le poids de la structure dans lequel opèrent les acteurs et leur capacité d’agir sur l’univers des rapports sociaux existant (McAll dans Châtel et Roy, 2008). La trajectoire met donc en lumière tant les besoins et les capacités du sujet que les contradictions et les tensions dont il est souvent objet. Finalement, le sujet y émerge comme l’acteur du social dans la mesure où il est le producteur des comportements, capable de rationnaliser ses actions et d’en expliquer les raisons (Demazière, Dubar, 2004; Giddens, 1987).

Le prochain chapitre, présente la méthodologie de recherche qui vise à relier l’acteur et le contexte, le sujet et la trajectoire, la subjectivité et l’agentivité face aux opportunités et aux obstacles présents dans le contexte de l’intégration socioprofessionnelle.

CHAPITRE IV

MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

4.1. Introduction

Le présent chapitre traite des aspects méthodologiques de notre recherche. Nous expliquerons tout d’abord le choix de la méthode privilégiée en fonction de la problématique de la recherche et du cadre théorique. La section suivante porte sur les enjeux méthodologiques de la recherche liés à l’échantillonnage, aux sources de données et au déroulement de l’étude. Finalement, nous présenterons la démarche d’analyse des données que nous avons adoptée, puis certaines questions éthiques ainsi que les retombées estimées et les limites de la présente recherche.

Avant d’entrer dans le vif de sujet, rappelons la question de recherche et les sous-questions qui y sont reliées. La question principale a été formulée de la manière suivante :

Pour les nouveaux arrivants issus de la catégorie des travailleurs qualifiés, qu’est-ce qu’une « intégration réussie » ?

1. Quelle est l’expérience subjective d’intégration des travailleurs qualifiés au Québec ?

2. Comment les nouveaux arrivants, travailleurs qualifiés, cheminent-ils vers une « intégration réussie » au Québec?

Pour répondre à ces questions, la méthode choisie par nous s’appuie sur la méthodologie élaborée dans le champ de la sociologie clinique. Elle est centrée sur le sujet et met l’emphase sur son expérience subjective.