• Aucun résultat trouvé

1.4. Contexte d’intégration en emploi des travailleurs qualifiés au Québec

1.4.3. Facteurs micro

Les facteurs macro et meso sont situés au niveau de la structure d’accueil et s’articulent de manière différenciée avec les caractéristiques de chaque migrant. À ces caractéristiques en rapport avec le profil sociodémographique (l’origine ethnique et nationale, le milieu social, les compétences linguistiques, le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, la profession) sont liées des expériences de vie, par exemple une double ou une triple migration ou la situation dans le pays d’origine. Les facteurs individuels qui influent sur l’intégration d’un travailleur immigrant sont compris comme une intersection du statut d’immigrant et des caractéristiques ou des conditions de vie individuelles. Par exemple, l’âge, le sexe, l’origine ethnique s’articulent avec le statut de nouvel arrivant pour résulter en un relatif avantage ou désavantage sur le plan de l’employabilité, de même que les rôles sociaux tels qu’être célibataire ou marié, mère ou père d’une famille nombreuse (Potts, 1990; Syed, 2008). Les rôles sociaux s’apparentent à des identités socioculturelles qui, à leur tour, influencent des trajectoires individuelles puisqu’elles affectent les choix, les objectifs, les perceptions des individus. Ces identités multiples et intersectorielles, en

évolution permanente à travers les diverses étapes de la vie, le sont encore plus dans le contexte de l’immigration qui correspond à une perte de repères et à la reconstruction de celles-ci dans le nouveau contexte.

L’analyse micro individuelle permet également d’établir le lien entre les motivations pour immigrer et les attentes envers l’immigration et les trajectoires d’intégration socioprofessionnelle. Si pour un individu qui cherchait surtout l’amélioration de sa situation financière, accepter un emploi dans un autre domaine que le sien ou même un emploi non qualifié pourrait être envisageable, pour celui qui visait des opportunités de développement de carrière, le choix d’attendre pour obtenir un emploi désiré ou de faire des efforts supplémentaires tel qu’entreprendre des études pourraient l’être davantage (Syed, 2008). Étudier la question des motivations et des attentes permet d’établir une continuité entre la vie pré-migratoire, le projet migratoire et la trajectoire dans le pays d’accueil. Ces facteurs individuels, liés à l’identité individuelle ou professionnelle, aux motivations et aux attentes face à l’immigration et à la stabilité psychologique, jouent un rôle crucial pour le déroulement du processus d’intégration, au même titre que les opportunités d’emploi existantes dans le pays d’immigration. Leur interaction avec la structure du pays d’accueil produira un résultat toujours unique.

Tout d’abord, qu’est-ce que l’expérience migratoire signifie pour un individu du point de vue psychologique ? Les recherches qui portent sur les émotions et les traumas liées à l’immigration volontaire ou forcée révèlent que l’expérience d’immigration implique fréquemment un lot de traumatismes lié au déracinement, au sentiment d’isolement, à l’éloignement avec la famille (Batista Wiese et al., 2009; Cancian, 2010; Cardu, 2008; de Sève, 1991). Fréquemment, l’immigration correspond à la séparation permanente ou temporaire avec les proches, qui peut être vécue comme une rupture dans la

trajectoire de la vie. Les émotions, ressenties durant le processus de départ de son pays d’origine (ou de résidence) et d’intégration dans le nouveau pays, qui accompagnent les immigrants durant une longue période ou même durant toute leur vie, ont été étudiées par Cancian (Cancian, 2010). Dans sa recherche qui porte sur les immigrants Italiens à Montréal, elle met en lumière le haut niveau d’anxiété vécu par les migrants et leur famille lié à cette rupture d’abord anticipée, puis réelle. La douleur de la séparation permanente sera atténuée par les échanges réguliers de lettres, le média qui devient un «pont émotionnel» entre les parties. Cancian souligne également que les membres de la famille restée au pays constituent, malgré la distance, un support pour les immigrants tant du point de vue émotionnel que social grâce à la mobilisation d’un réseau des connaissances présentes au Canada pour offrir du soutien à l’immigrant nouvellement arrivé (Ibid.). De Sève, dans sa recherche sur les réfugiés est- européens au Canada écrit : « Changer de culture, de mode de vie, peut signifier une déchirure profonde. Au-delà de la perte de sa place dans un réseau d’amis et de parents, c’est un monde de significations qui s’écroule » (de Sève, 1991 : 110). Cette déchirure est liée tant à la séparation avec le réseau social qu’à la perte de repères qu’il faut retrouver dans un environnement nouveau et souvent insécurisant pour un nouvel arrivant, surtout s’il est seul à y faire face. La rupture qui survient dans les biographies individuelles divise les trajectoires de vie en supprimant le sentiment de continuité (Hachimi Alaoui, 2006).

La présence de la famille peut jouer un rôle de refuge pour contrecarrer les souffrances et les expériences négatives, offrir un support et finalement atténuer le sentiment d’isolement (Batista Wiese et al., 2009). Il reste que les familles qui immigrent vivent également un déracinement par rapport à leur milieu de vie et que cette rupture avec leur cadre culturel se répercute sur la continuité psychologique interne de la personne. De plus, tel que le remarquent Cardu et Sanschagrin, la famille qui offre un refuge contre les difficultés rencontrées,

peut en même temps constituer un facteur de retardement de l’intégration sociale et professionnelle pour ses membres, surtout pour les femmes. Celles-ci apprennent la langue du pays d’accueil moins vite et cherchent à trouver un emploi plus tardivement ce qui handicape leur carrière professionnelle (Cardu, Sanschagrin, 2002).

L’intégration en emploi des femmes immigrantes amène également la question de l’articulation des identités socioculturelles, du genre et des choix professionnels. Les femmes immigrantes, étudiées par Cardu et Sanschagrin durant leur intégration à Québec, vivent des changements profonds dans leurs modes de références; leurs statuts habituels de mère et d’épouse se trouvent dévalorisées dans le nouveau contexte; elles vivent des périodes d’isolement et une perte de leur capital social (Cardu, Sanschagrin, 2002). Une identité sociale, ébranlée par l’expérience d’immigration, exigera sa recomposition qui passe fréquemment par la négociation d’une ou de stratégies identitaires telles que la survalorisation de sa culture ou alors la conformité avec la société majoritaire ou des stratégies d’action : recours aux services communautaires, solidarité avec les membres de son groupe, refuge au sein de la communauté d’origine (Ibid.)

La structure du pays d’accueil peut influencer positivement ou négativement l’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes. Par exemple, il est possible d’établir le rapport entre les politiques publiques et les services existants (le transport, l’accessibilité des ressources, le soutien financier pour mettre en place un projet etc.) et l’insertion en emploi des immigrantes. On constate notamment que l’insuffisance du système de garde des enfants constitue une difficulté supplémentaire pour les parents immigrants ayant des enfants en bas âge et défavorise tout particulièrement les femmes dans leur démarche d’intégration en emploi, de même que dans leur accès aux services

spécifiques d’aide à la recherche d’emploi ou aux formations. En résulte une situation où les mères d’enfants en bas âge, bien qu’elles appartiennent à la catégorie des travailleuses immigrantes hautement qualifiées, se retrouvent à risque d’être cloisonnées dans des emplois fortement ou moyennement au- dessous de leurs qualifications (Chicha, 2009).

Développer un réseau communautaire constitue une des réponses des immigrants au défi de s’intégrer autant au niveau des stratégies d’appartenance qu’identitaires (Camilleri et al., 1990). Le fonctionnement de ces réseaux, plus ou moins formels, s’appuie sur le sentiment d’appartenance à un groupe, à une communauté, qui résulte des liens noués entre ses membres. Dans ce sens, le réseau aura la fonction de faciliter l’intégration par le soutien au plan professionnel, financier, commercial mais aussi relationnel et culturel qu’il peut offrir (Ibid.). L’opportunité pour un nouvel immigrant consiste justement à avoir un choix d’insertion dans un réseau communautaire ou à viser plutôt le groupe majoritaire ou, comme dans le cas de Montréal, une des deux majorités. Un choix stratégique mais qui n’en est pas toujours un compte-tenu a) des ressources dont dispose l’individu pour pouvoir s’intégrer à la fois au sein d’un réseau communautaire et dans la société au sens plus global plutôt que d’être contraint à se limiter à sa propre communauté, b) de l’attitude du groupe majoritaire qui peut être positive, neutre ou négative à son égard, c) des politiques d’intégration d’un pays, favorables ou pas à une telle intégration. Dans ce sens, le multiculturalisme canadien encourage les immigrants à maintenir leur héritage culturel et linguistique et à le partager avec les autres Canadiens pendant que le gouvernement s’engage à promouvoir la tolérance et

à lutter contre la discrimination et le racisme32. C’est une politique de la reconnaissance de la diversité ethnoculturelle comme richesse de la nation et de promotion de la pluriethnicité (Kymlicka, 1995). Le gouvernement québécois vise également l’épanouissement des membres des communautés culturelles et leur pleine participation à la société mais selon une approche qui promeut la réciprocité entre la société d’accueil et les immigrants (Rocher et al., 2007) ainsi que l’adhésion progressive des immigrants à la culture de la société d’accueil33.

Privilégier l’insertion au sein d’un réseau communautaire comporte quelques risques dont l’acteur doit tenir compte. Par exemple, une position faible ou marginale d’un réseau communautaire au sein de la société agira comme un vecteur de marginalisation pour l’individu qui s’y insère. La recherche d’Arcand et al. qui porte sur l’intégration des immigrants récents maghrébins au Québec et le rôle des réseaux sociaux, rend visible des stratégies individualistes mises en place par des immigrants cherchant à éviter les erreurs

32 Le multiculturalisme reconnaît et valorise la diversité culturelle comme partie intégrante de

son patrimoine culturelle (Esses, Gardner, 1996). Accusé d’être l’instrument de la politique électorale et de dissimuler la hiérarchisation ethnique existante dans la société canadienne (Bertheleu, 2000), de contribuer à la division de la société canadienne en favorisant la diversité aux dépens de l’unité (Dewing, 2009), cette politique subit des transformations progressives. Elle s’oriente vers la diminution du leadership communautaire pour encourager les échanges entre les différents groupes ethniques et avec la majorité, lutter contre le racisme et l’adaptation institutionnelle. Finalement, elle cherche à promouvoir le sentiment d’appartenance et la cohésion sociale (McAndrew et al., 2005).

33 Le Québec, quant à lui, prône une vision de « la convergence culturelle » plutôt que du

multiculturalisme. Cette politique veut encourager une progressive adhésion des immigrants à la culture québécoise. La politique québécoise face à la diversité ethnoculturelle évolue en passant de la convergence culturelle de début des années 1980, par un cadre civique commun dans les années 1990, vers la reconnaissance des communautés culturelles au début des années 2000. La mise en place de la commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (Commission Bouchard, Taylor, 2008) et les évènements qui l’ont précédée, permettent de constater une diversité d’opinions présente dans la société québécoise quant aux questions d’immigration, d’intégration et des minorités ethnoculturelles.

d’insertion observées au sein de la communauté maghrébine. La communauté d’origine ne constitue donc pas un vecteur d’intégration, ni un modèle pour les nouveaux arrivants qui, au contraire, évitent les liens avec leur communauté et développent des réseaux personnels à l’extérieur (Arcand et al., 2009). Il est toutefois certain qu’un individu coupé d’un réseau de contacts sociaux ou professionnels encourt le risque d’une intégration plus difficile sur le plan social et psychologique puisque le réseau peut favoriser l’adaptation au pays d’accueil et désamorcer les chocs liés aux processus migratoires (Ibid.). McAll, dans sa recherche qui porte sur les trajectoires des réfugiés au Québec, abonde dans le même sens quand il conclut qu’avoir un réseau (familial ou amical) ne facilite pas nécessairement l’établissement ou insertion en emploi d’un réfugié, si ce réseau se trouve à la marge de la société. D’un autre côté, la famille ou les amis déjà établis peuvent offrir un premier logement ou l’accès à un premier emploi et surtout fournir des informations précieuses au nouveau venu pour comprendre les règles du jeu du marché du logement ou du travail (McAll dans Châtel et Roy, 2008).

Fouad et Byars-Winston analysent le rapport entre l’appartenance à un groupe ethnique ou «racisé» et l’intégration en emploi des immigrants. Ils constatent que faire partie d’un tel groupe influence la perception des opportunités de carrière ainsi que des barrières à l’emploi mais n’agit pas sur les aspirations professionnelles des individus (Fouad, Byars-Winston, 2005). Ce seraient plutôt des facteurs psychologiques qui influencent la motivation et les attentes individuelles face à l’emploi. Il est toutefois impossible de séparer ces facteurs psychologiques de l’environnement socioculturel qui, à travers la socialisation, inculquent les rôles sociaux aux individus (Syed, 2008). Ceci étant dit, le parcours d’immigration et d’intégration correspond à des transformations identitaires profondes chez des individus qui délaissent, adoptent, modifient leurs rôles, leurs valeurs, leurs priorités en rapport avec le contexte environnant.

Dans sa recherche qui porte sur les identités professionnelles des travailleurs immigrants au Québec, Cardu observe les effets de l’interaction avec l’autre (membre de la société majoritaire) sur la construction identitaire. Si elle s’accompagne d’expériences dévalorisantes, l’identité des immigrants stigmatisés en rapport avec leurs caractéristiques visibles telles que l’accent, la couleur de la peau, l’habit, peut produire des stratégies défensives (Cardu, 2008). Dans ce cas, la construction d’une identité professionnelle positive sera d’autant plus difficile que les compétences professionnelles ou l’expérience de l’acteur ne sont pas reconnues dans le nouvel environnement (Ibid.). Or, pour faire face aux situations adverses, l’individu met en place des stratégies d’action ou des stratégies identitaires pour retrouver son identité positive et réaliser son projet migratoire. Il se pose alors en tant qu’agent de son expérience.