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CHAPITRE IV Discussion générale

2. Contributions à la littérature sur la neuropsychologie du TDA/H

2.2 Association entre les symptômes du TDAH et la cognition

2.2.3 Trajectoires cognitives et altérations fonctionnelles dans le TDA/H

Considérant le fait que les différents marqueurs cognitifs du trouble ne semblent pas avoir pour fonction principale d’influencer la symptomatologie clinique, cela amène à s’interroger sur leurs rôles possibles dans le contexte de la pathologie. Une hypothèse serait que les atteintes cognitives soient plutôt liées à une autre facette clinique du trouble. En effet, bien que le diagnostic de TDA/H repose sur l’identification des symptômes d’inattention et d’hyperactivité-impulsivité, des impacts fonctionnels doivent également être observés dans le quotidien de l’individu pour que le diagnostic soit retenu (American Psychiatric Association, 2013). Les symptômes et impacts fonctionnels constituent deux caractéristiques distinctes du trouble. Tel que discuté par Barkley (2016), les symptômes correspondent aux manifestations comportementales observables (p. ex. être distrait ou agité) alors que les impacts fonctionnels renvoient à des conséquences adverses ou à un niveau inefficient de fonctionnement dans les différentes sphères de vie (p. ex. faibles résultats scolaires, perdre son emploi parce que toujours en retard, difficulté à garder ses amis). Bien qu’inter-reliés, ces deux construits sont souvent que faiblement à modérément corrélés, particulièrement avec l’avancement en âge (chez les adolescents avec un TDA/H,

r = .10 à .39, Gordon et al., 2006). Il a également été démontré que les patients avec un

TDA/H peuvent présenter une diminution importante du nombre ainsi que de la sévérité de leurs symptômes avec le temps, tout en continuant pourtant d’être très affectés dans leur fonctionnement quotidien (Sasser et al., 2016). Par exemple, Hechtman et al. (2016) observent que des adultes dont le TDA/H est en rémission continuent de présenter des impacts fonctionnels importants comparativement à des adultes sans antécédent de TDA/H, étant moins nombreux à avoir obtenu un diplôme universitaire, ayant vécu davantage de congédiements, eu plus recours à l’aide sociale et ayant été davantage impliqués dans des activités sexuelles à risque. L’altération fonctionnelle n’est donc pas uniquement explicable par la sévérité de la symptomatologie et est susceptible d’être influencée par de nombreux autres facteurs. Il ainsi est proposé que la présence d’atteintes cognitives, et plus particulièrement la manière dont celles-ci évoluent, soit liée à la persistance de l’atteinte

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fonctionnelle chez certains individus diagnostiqués avec un TDA/H pendant l’enfance. Cette proposition s’appuie sur les études ayant démontré que les atteintes cognitives peuvent affecter le fonctionnement dans de nombreux domaines de la vie quotidienne, et ce, tant dans diverses populations cliniques (Green, Kern, Braff, & Mintz, 2000; Martinez- Aran et al., 2004; Miller, Ho, & Hinshaw, 2012; Tuokko, Morris, & Ebert, 2005) que dans la population normale (Gerst, Cirino, Fletcher, & Yoshida, 2017; Miller, Nevado- Montenegro, & Hinshaw, 2012). Les études s’étant intéressées à cette question dans des échantillons de participants présentant un TDA/H ont d’ailleurs montré que les atteintes cognitives présentées pendant l’enfance constituaient un facteur prédicteur des difficultés académiques des enfants avec un TDA/H (Biederman et al., 2004; Miller, Ho, et al., 2012; Roberts, Martel, & Nigg, 2017; Rogers, Hwang, Toplak, Weiss, & Tannock, 2011), de difficultés sociales et de rejet par les pairs à l’adolescence (Miller & Hinshaw, 2010; Rinsky & Hinshaw, 2011), ainsi que de suspensions scolaires et de pertes d’emploi à l’âge adulte (Miller, Ho, et al., 2012). Considérant que 1) près de 70% des individus ayant reçu le diagnostic rapportent continuer de vivre avec des impacts fonctionnels au quotidien à l’âge adulte, indépendamment du nombre de symptômes présentés (Biederman, Petty, Evans, et al., 2010; Biederman et al., 2012), et que 2) la plupart des marqueurs cognitifs étudiés ont été observés comme ayant une trajectoire relativement stable ou marquée par un déclin, il semble plausible que ces deux composantes du trouble soient liées entre elles dans leur trajectoire. Ainsi, le fait que certaines atteintes cognitives soient persistantes, ou non, pourrait être en lien avec les altérations fonctionnelles qui perdurent chez certains individus. Ne disposant toutefois pas de suffisamment d’informations qui permettraient d’opérationnaliser le niveau de fonctionnement de nos participants, il n’est pas possible de vérifier cette hypothèse dans notre échantillon. Des études futures seront ainsi nécessaires pour étudier spécifiquement cette proposition, celle-ci pouvant avoir des implications majeures pour la prise en charge des patients avec un TDA/H et l’optimisation de leur fonctionnement au quotidien.

La proposition d’Halperin et Schulz (2006) voulant que le développement des fonctions exécutives avec l’âge permette la mise en place de mécanismes compensatoires aux symptômes est par ailleurs intéressante. Bien que l’amélioration du fonctionnement

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exécutif ne se traduise pas directement par une diminution de symptômes, il est possible que celle-ci permette néanmoins la mise en place de stratégies compensatoires visant à en minimiser l’impact sur le fonctionnement. Par exemple, un individu présentant un TDA/H pourrait être désorganisé et avoir de la difficulté à respecter les échéances au quotidien. La maturation des fonctions exécutives avec le temps pourrait l’amener à développer une utilisation plus efficace et fréquente d’outils de planification, tels l’agenda, ce qui lui permettrait alors de compenser ce symptôme spécifique d’inattention. Le symptôme serait ainsi toujours présenté par l’individu, mais l’amélioration du fonctionnement cognitif lui permettrait d’utiliser une stratégie compensatoire pour mieux le gérer. Conséquemment, l’impact du symptôme serait moindre sur le fonctionnement. Les questionnaires de symptômes généralement utilisés dans les études, incluant la présente thèse, ne renseignent toutefois pas sur la perception d’efficacité dans la gestion des symptômes ou sur l’impact de ceux-ci au quotidien. Ils se limitent généralement à quantifier les symptômes requis pour poser le diagnostic. Pour cette raison, il est possible que les impacts cliniques associés à une amélioration du fonctionnement cognitif chez certains participants aient passé inaperçus dans les études réalisées jusqu’à maintenant. Ainsi, il sera intéressant que des travaux futurs incluent des mesures qui renseignent sur la présence d’altérations fonctionnelles (p. ex. Weiss Functional Impairment Rating Scale-Parent Report; Weiss, Wasdell, & Bomben, 2004), mais également sur la perception d’efficacité dans la gestion des symptômes et le quotidien (p. ex. Self-Efficacy Questionnaire for Children; Muris, 2001). Cela pourrait permettre une compréhension plus globale de l’impact des changements cognitifs sur l’évolution clinique du trouble.