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CHAPITRE IV Discussion générale

2. Contributions à la littérature sur la neuropsychologie du TDA/H

2.1 Trajectoires cognitives du TDA/H

2.1.1 Trajectoire 1 : Normalisation cognitive

Une première trajectoire cognitive du TDA/H se caractériserait par un phénomène de normalisation cognitive. Dans cette trajectoire, il est attendu qu’une fonction cognitive déficitaire pendant l’enfance connaisse une amélioration marquée au cours du développement, à un point tel où la performance rejoint la norme à l’adolescence. Le processus subit donc un changement important avec le temps, passant d’un fonctionnement pathologique à un fonctionnement normal. Il s’agit de la trajectoire observée pour la flexibilité cognitive.

La trajectoire de la flexibilité a été illustrée à partir des données obtenues dans les deux études composant la thèse (Annexe A, Figure Ad). La représentation visuelle permet de mettre en évidence la nature progressive des changements qui surviennent pour cette fonction. En effet, il apparaît clairement que l’écart entre la performance des participants avec un TDA/H et celle des contrôles, c.-à-d. de la norme, diminue graduellement avec le temps. La présence d’une diminution progressive de l’atteinte est aussi supportée par les résultats de la première étude. Dans celle-ci, la taille d’effet associée à la flexibilité est amenée à diminuer graduellement d’un groupe d’âge à l’autre (passant de 2.71 à -0.33, voir Table 3, chapitre II, p.59). Ces différents résultats permettent ainsi de proposer que cette première trajectoire soit sous-tendue par un phénomène se produisant au long cours, et non pas un changement subit qui surviendrait à un moment précis du développement. Cela serait compatible avec l’hypothèse d’un retard développemental chez les individus avec un TDA/H, c’est-à-dire une immaturité neurologique occasionnant un retard dans la séquence développementale de leur cognition (Kinsbourne, 1973). Cela pourrait alors expliquer pourquoi les participants du groupe TDA/H présentent initialement une dysfonction importante de leur performance en flexibilité, mais qui s’estompe progressivement au cours du développement et en vient à se normaliser.

À cet effet, nos résultats soulèvent de nombreux questionnements quant aux facteurs qui pourraient être responsables du phénomène de normalisation observé, notamment au plan neurologique. En effet, la fin de l’enfance constitue une période importante de croissance au niveau de certaines régions cérébrales, particulièrement en ce qui a trait aux structures

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préfrontales responsables du contrôle exécutif. Un accroissement de la matière grise survient notamment au niveau de ces structures, atteignant son seuil maximal entre l’âge de 11 et 12 ans (Giedd et al., 1999; Gogtay et al., 2004). Il est intéressant de constater que l’amélioration de la flexibilité cognitive observée chez nos participants avec un TDA/H, laquelle est prise en charge par certaines structures préfrontales, survient sensiblement au même moment. Il est donc possible que l’accroissement neuronal et les changements structurels survenant pendant cette période développementale permettent d’atténuer certaines anomalies structurelles présentées par les enfants avec un TDA/H, particulièrement dans les régions frontales. Conséquemment, cela pourrait s’accompagner d’une amélioration de certains processus exécutifs, tels la flexibilité.

Dans le même ordre d’idées, un phénomène d’élagage synaptique ainsi qu’une réorganisation des réseaux neuronaux se produisent au début de l’adolescence et pourraient être impliqués dans le phénomène d’amélioration cognitive observé. En effet, ces changements permettent une plus grande connectivité entre les régions cérébrales éloignées (Hwang, Hallquist, & Luna, 2013; Jolles, van Buchem, Crone, & Rombouts, 2011). Pendant l’enfance, les connexions corticales sont ainsi peu spécifiques et diffuses, le traitement cognitif reposant sur l’activation cérébrale de plusieurs régions anatomiquement rapprochées. À mesure que le réseau mature, la connectivité entre les régions cérébrales éloignées augmente, le traitement cognitif étant davantage focalisé et imputable à l’activation de réseaux et structures spécialisés (Hwang et al., 2013; Jolles et al., 2011). De manière intéressante, ces changements dans le patron d’activation corticale coïncident avec le patron développemental observé au plan cognitif chez les participants avec un TDA/H (c.-à-d. des atteintes diffuses et généralisées pendant l’enfance, mais davantage circonscrites à des fonctions spécifiques à partir de l’adolescence). Une activation cérébrale diffuse pendant l’enfance, qui solliciterait entre autres certaines des régions altérées dans le contexte de la pathologie, pourrait expliquer la présence d’une plus grande variété d’atteintes chez les enfants avec un TDA/H. L’amélioration cognitive observée au niveau de certaines fonctions au début de l’adolescence pourrait pour sa part être la résultante de la réorganisation cérébrale, certaines fonctions, telles la flexibilité, pouvant dès lors reposer

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sur l’activation de réseaux spécialisés et ne sollicitant plus les régions atteintes de manière plus persistante.

L’implication de facteurs non neurologiques est également à considérer dans le phénomène de normalisation mis en lumière, dont notamment l’utilisation de la médication psychostimulante pour le traitement du TDA/H. En effet, il importe de considérer que la majorité des participants du groupe TDA/H ayant pris part à la thèse ont été traités à l’aide d’une médication à un moment de leur vie (75% des participants avec un TDA/H pour les deux protocoles confondus). Plus de 50% de ceux-ci en faisaient quotidiennement l’utilisation au moment où ils ont pris part aux différentes études (bien qu’évalués sans celle-ci). Aux fins d’explorer l’impact de ce facteur sur les trajectoires cognitives obtenues, la durée d’utilisation moyenne de la médication a été calculée pour chacun des groupes d’âge analysés dans le devis transversal (Annexe B, Tableau B1). Il est intéressant de constater que les participants ayant fait usage d’une médication sur une plus longue période, soit ceux des catégories d’âge allant de 15 à 22 ans, sont ceux dont la performance de flexibilité est comparable à celle des contrôles. Dans le même ordre d’idées, des corrélations complémentaires ont été effectuées à partir des données longitudinales aux fins d’examiner la présence d’une association entre la durée d’utilisation de la pharmacothérapie et le changement cognitif survenu chez les participants. Les résultats présentés dans le Tableau B2 font état d’une seule corrélation positive significative, soit avec la flexibilité. Ainsi, les participants ayant fait usage de médication sur une plus longue période de temps sont ceux ayant connu une amélioration plus marquée de leur flexibilité cognitive. La mise en évidence d’une corrélation entre la durée d’utilisation de la médication et l’unique fonction amenée à se normaliser avec le temps nous conduit à soulever l’hypothèse que ce facteur pharmacologique puisse être impliqué dans le phénomène de normalisation cognitive. Récemment, des résultats ont permis de démontrer que la pharmacothérapie a pour effet de réduire les altérations aux plans structurel et fonctionnel chez les individus avec un TDA/H (Frodl & Skokauskas, 2012; Rubia et al., 2014; Spencer et al., 2013). Ces effets affecteraient plusieurs régions cérébrales, notamment au niveau frontal. Considérant l’étendue de régions cérébrales positivement affectées par la pharmacothérapie, certains chercheurs ont même émis l’hypothèse que ces

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effets puissent se répercuter sur le fonctionnement cognitif, ce qui demeure toutefois à démontrer (Spencer et al., 2013). Nos résultats amènent donc à penser que cela pourrait effectivement être le cas et ouvrent la voie à des études futures qui seront plus que pertinentes pour mieux comprendre l’influence des facteurs pharmacologiques sur les différentes trajectoires cognitives mises en évidence par la thèse.

Il est par ailleurs possible que des facteurs environnementaux aient aussi contribué à la trajectoire de normalisation cognitive identifiée. Un des facteurs environnementaux ayant été discuté à maintes reprises dans la littérature consiste en l’influence du statut socioéconomique (SES) sur le cours du trouble, particulièrement en ce qui a trait à l’évolution de ses symptômes comportementaux (Cheung et al., 2015). À notre connaissance, aucune étude ne s’est jusqu’à présent intéressée à l’influence spécifique du SES sur la trajectoire cognitive des individus avec un TDA/H. Il a toutefois été démontré que celui-ci influence le fonctionnement neurocognitif dans des populations normales, particulièrement au niveau langagier et exécutif, pouvant même influencer les trajectoires développementales de ces fonctions (Hackman, Farah, & Meaney, 2010). Considérant que la majorité de nos participants proviennent de milieux dont le SES est moyen ou élevé, il est possible que leurs conditions socioéconomiques favorables aient contribué au patron d’évolution positive observée pour la flexibilité, une fonction relevant du domaine exécutif. Bien que les mécanismes expliquant l’influence du SES sur le fonctionnement cognitif et son développement ne soient pas encore bien compris, il est probable que les participants aient été exposés à différents facteurs de protection ayant pu influencer positivement le développement de leur cognition. Ainsi, le phénomène d’amélioration cognitive aurait peut- être été moins marqué dans un échantillon dont le statut socioéconomique aurait été plus faible et dans lequel les participants avec un TDA/H auraient davantage été exposés à des facteurs de risque.

Un autre facteur à considérer au plan environnemental consiste en l’influence des expériences vécues dans le contexte de la scolarité. L’accès à une scolarité continue, ce dont a bénéficié l’ensemble de nos participants, pourrait constituer un facteur de protection supplémentaire ayant influencé positivement la trajectoire de certaines fonctions, telle la

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flexibilité. Dans le contexte scolaire, les élèves se trouvent fréquemment dans des situations multitâches où ils doivent s’adapter à des consignes multiples et changeantes. Il en va de même pour le fonctionnement journalier, pendant lequel ils doivent s’ajuster aux multiples transitions de tâches et d’environnement. L’exposition répétée à ce type de situations pourrait constituer une forme d’entraînement naturel, ou à tout le moins contribuer au développement de stratégies compensatoires permettant de contourner les difficultés en présence d’une atteinte de la fonction. De la même manière, le TDA/H s’accompagnant fréquemment de difficultés d’apprentissage, plusieurs individus aux prises avec le trouble bénéficieront pendant leur parcours académique de services de soutien pédagogique, tels l’orthopédagogie. Dans notre échantillon, plus de 47% des participants du groupe TDA/H ont eu recours à de tels services à un moment de leur scolarité, lesquels se sont étalés sur une période allant parfois jusqu’à huit ans. Bien que le type d’interventions effectuées puisse varier grandement d’un milieu à l’autre, le fondement de ce genre de services repose généralement sur l’entraînement de stratégies d’apprentissage et compensatoires, et à certains moments, vise même un entraînement de certaines fonctions cognitives. Ainsi, sans atteindre l’intensité et la fréquence souhaitées dans le contexte d’une remédiation cognitive standard, il s’agit de conditions environnementales favorisantes pour le développement cognitif. Cela pourrait alors avoir influencé la trajectoire développementale de certaines fonctions chez les participants avec un TDA/H, particulièrement au plan exécutif.