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CHAPITRE IV Discussion générale

2. Contributions à la littérature sur la neuropsychologie du TDA/H

2.2 Association entre les symptômes du TDAH et la cognition

2.2.2. Association entre les trajectoires cognitives et l’évolution clinique

L’un des principaux objectifs du suivi longitudinal était par ailleurs de vérifier si l’amélioration clinique observée chez certains participants pouvait être associée à des changements survenant sur le plan cognitif. Les résultats suggèrent que ce ne soit pas le cas. En effet, les analyses montrent une absence de corrélations positives entre les scores de changement cognitif et de symptômes. Plus précisément, les participants qui ont connu une amélioration de leurs performances cognitives avec le temps ne sont pas nécessairement ceux chez qui la plus grande amélioration clinique s’est produite. De la même manière, ceux qui ont connu la plus grande diminution de symptômes n’ont pas pour autant connu d’amélioration au plan cognitif. Ainsi, ces deux composantes semblent évoluer selon des trajectoires qui sont indépendantes l’une de l’autre.

Les résultats de la thèse vont donc à l’encontre de la proposition théorique selon laquelle le bon développement des fonctions exécutives permettrait une atténuation des symptômes de TDA/H (Halperin & Schulz, 2006). En effet, considérant que la symptomatologie peut s’améliorer chez certains individus sans que cela soit associé à des changements cognitifs, il apparaît peu probable que l’amélioration de la cognition joue un rôle causal dans les changements observés au plan clinique. Ces résultats rejoignent donc ceux des études qui

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ont montré que le patron d’évolution neuropsychologique des participants ne différait pas selon qu’ils présentaient un TDA/H persistant ou en rémission (Biederman et al., 2009; McAuley et al., 2014). Il semble ainsi que l’évolution de de la symptomatologie clinique s’explique par des facteurs autres que les changements cognitifs qui pourraient survenir avec le temps chez les patients.

Il importe par ailleurs de rester prudent et ne pas évoquer trop rapidement une absence totale d’association entre l’évolution cognitive et l’évolution clinique. Comme présenté dans le deuxième article (Chapitre III, Table 3, p.87), un coefficient de corrélation modéré a été observé lorsque le score de changement de la vigilance a été associé aux changements dans les symptômes d’inattention (r = .38, p = .12). Bien que la corrélation soit non significative, une tendance suggère que les participants dont la vigilance s’améliore le plus entre les deux évaluations sont ceux qui connaissent la plus grande diminution de leurs symptômes d’inattention. Inversement, cela signifierait aussi que ceux dont la performance de vigilance se détériore le plus sont ceux qui connaissent le moins d’amélioration sur le plan de l’inattention. Bien que cette tendance doive s’interpréter avec la plus grande des prudences, notamment en raison de la petite taille d’échantillon, il s’agit d’un résultat qui est questionnant. Il l’est d’autant plus que la majorité de notre échantillon connaît un déclin de sa performance à la tâche de vigilance. Il est ainsi possible de se questionner à savoir si ce marqueur, et plus particulièrement sa trajectoire évolutive atypique, pourrait être impliqué dans le maintien des symptômes d’inattention chez certains individus dont le trouble est observé comme étant plus persistant. Bien que ce processus cognitif ait été proposé comme marqueur du trouble, il s’agit de l’un de ceux ayant été le moins étudiés. Nos travaux sont d’ailleurs les premiers à s’y intéresser selon une perspective développementale. Il apparaît donc essentiel que des études futures se penchent sur ce marqueur et son association avec la symptomatologie clinique, laquelle demeure des plus incertaines. Or, si cette relation s’avérait confirmée, cela pourrait avoir des répercussions cliniques majeures. Notamment, cela pourrait permettre de favoriser le développement et l’utilisation de programmes de remédiation cognitive visant à minimiser, voire contrecarrer, l’impact d’un déclin de la vigilance sur le cours clinique du trouble.

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Finalement, il importe de souligner qu’une corrélation significative a tout de même été obtenue, laquelle est toutefois négative. Il s’agit de l’association observée entre le score de changement de la flexibilité et celui des symptômes d’hyperactivité-impulsivité. Ainsi, les participants dont la flexibilité s’est le plus améliorée sont ceux dont les symptômes d’hyperactivité-impulsivité ont le moins diminué. Inversement, elle signifie également que les participants ayant connu peu ou pas d’amélioration au niveau de leurs habiletés de flexibilité cognitive sont ceux dont les symptômes hyperactifs-impulsifs se sont le plus atténués avec le temps. Il s’agit d’un résultat surprenant et complexe à interpréter. Celui-ci a amené à questionner sur les facteurs qui pourraient expliquer l’absence de changements sur le plan de la flexibilité, et plus particulièrement leur association avec la diminution de symptômes. Dans une étude s’intéressant au lien longitudinal entre la cognition et les symptômes de TDA/H, Coghill, Hayward, et al. (2014) ont observé que les habiletés de flexibilité pendant l’enfance constituaient un prédicteur de l’évolution clinique. Ainsi, de meilleures habiletés de flexibilité cognitive étaient associées avec une plus grande diminution des symptômes de TDA/H chez leurs participants. Cette relation était par ailleurs spécifique à la flexibilité, les autres variables cognitives mesurées pendant l’enfance (mémoire de travail spatiale, résolution de problèmes, mémorisation et reconnaissance visuelle/spatiale) n’ayant pas été trouvées comme associées avec l’évolution clinique ultérieure. Selon ces résultats, il est possible d’avancer que de bonnes habiletés de flexibilité pendant l’enfance, lesquelles seraient alors peu sujettes à un phénomène d’amélioration avec le temps, soient associées à la diminution de symptômes d’hyperactivité-impulsivité chez nos participants. Conséquemment, cela pourrait expliquer pourquoi ceux dont les symptômes ont diminué ne connaissent que peu, ou pas, d’amélioration au niveau de cette fonction cognitive.

Afin de vérifier cette hypothèse explicative, des analyses corrélationnelles supplémentaires ont été effectuées sur les données longitudinales des participants. Ainsi, le score obtenu pour chacun des marqueurs cognitifs lors de l’évaluation initiale a été corrélé avec le score de changement des symptômes d’inattention et d’hyperactivité-impulsivité. Les résultats, présentés dans le Tableau D1 de l’Annexe D, font état d’une seule corrélation positive significative, à savoir entre la flexibilité et les symptômes d’hyperactivité-impulsivité.

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Ainsi, les participants ayant le mieux performé à la tâche de flexibilité lors de l’évaluation initiale sont ceux pour qui les symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité ont le plus diminué avec le temps. Il semble ainsi que le fait de présenter de bonnes habiletés de flexibilité mentale en bas âge soit effectivement associé à une évolution positive de ces symptômes. La fonction cognitive étant déjà normale pendant l’enfance, cela laisse donc conséquemment peu de place à une amélioration normative, expliquant ainsi les plus faibles scores de changement de la flexibilité chez les participants dont la symptomatologie s’est améliorée. Il semble donc que ce soit davantage l’intégrité de la fonction pendant l’enfance que sa trajectoire qui serait associée à une réduction ultérieure des symptômes. Nos résultats ne permettent toutefois pas de se prononcer sur la nature de cette relation, à savoir si celle-ci est causale (c.-à-d. que l’intégrité de la flexibilité cognitive permettrait, par exemple, au participant d’être plus disposé à appliquer différentes stratégies comportementales visant à compenser ses symptômes au quotidien) ou si les deux phénomènes sont observables en parallèle sans nécessairement être reliés entre eux. Notons par ailleurs qu’aucune autre corrélation n’a atteint le seuil de signification statistique. Ainsi, à l’exception de la flexibilité, il semble que les capacités cognitives d’alerte, de vigilance, d’inhibition et de mémoire de travail pendant l’enfance ne soient pas associées à une évolution positive ultérieure des symptômes.

En somme, les résultats de l’étude longitudinale illustrent bien toute la complexité de la relation unissant les atteintes cognitives et les symptômes comportementaux du TDA/H. Jusqu’à présent, les études ayant été en mesure de démontrer un lien ces deux composantes du trouble observent que les atteintes cognitives permettent de prédire la présence de symptômes d’inattention (Brocki et al., 2010; Nigg, Stavro, et al., 2005; Thorell, 2007; Wåhlstedt et al., 2009), sans toutefois expliquer l’intensité avec laquelle s’expriment les manifestations comportementales (Jonsdottir et al., 2006; Willcutt, Brodsky, et al., 2005). Il apparaît donc que la relation entre la cognition et les symptômes n’est pas aussi linéaire et proportionnelle qu’elle ne pourrait le sembler. Cela semble d’autant plus vrai au plan développemental, les résultats suggérant que les marqueurs cognitifs du TDA/H poursuivent des trajectoires relativement indépendantes de celles des symptômes. Des

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études futures, utilisant notamment des échantillons plus larges, seront toutefois nécessaires pour répliquer les résultats et tenter d’éclaircir les effets marginaux observés.