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Traitement neuroleptiques : une « nouvelle » thérapie pour la maladie de Huntington ?

Discussion générale

4. Traitement neuroleptiques : une « nouvelle » thérapie pour la maladie de Huntington ?

Nous avons montré, dans un modèle in vivo de la MH, qu’un traitement précoce avec de l’halopéridol décanoate se révèle être une stratégie thérapeutique intéressante puis-qu’il diminue la formation d’agrégats et, surtout, il diminue fortement la dysfonction neu-ronale dans le striatum (Charvin et al., soumis). Ces résultats suggèrent que le traitement avec l’halopéridol décanoate est susceptible de ralentir la progression de la maladie.

Le modèle que nous avons choisi pour réaliser cette étude permet de reproduire les principaux évènements neuropathologiques caractéristiques de la MH, à savoir la formation d’agrégats de huntingtine mutée dans les neurites et dans le noyau des neurones, et la dégénérescence progressive des neurones striataux. Il s’agit de rats adultes qui sont infec-tés simultanément avec des constructions lentivirales codant un fragment N-terminal de la huntingtine normale (avec 19 glutamines) ou mutée (avec 82 glutamines) dans le striatum droit et gauche, respectivement. Dans ce modèle, les premiers agrégats de huntingtine mutée sont détectés dès la première semaine suivant l’infection, puis ils s’accumulent progressivement. La dysfonction neuronale est observée dès la quatrième semaine dans le striatum exprimant la huntingtine mutée, ce qui correspond au pic d’agrégats. La mort des neurones striataux est bien marquée la dixième semaine post-infection (de Almeida et al., 2002). Ce modèle permet ainsi d’étudier les mécanismes moléculaires qui interviennent dans le processus dégénératif des neurones striataux induit par l’expression du fragment N-terminal de la huntingtine mutée. En revanche, le lentivirus codant la huntingtine mutée n’est injecté que dans le striatum. Il permet ainsi d’étudier la vulnérabilité sélective des neurones striataux de projection parmi les cellules du striatum, mais il ne permet pas d’intégrer les effets de la huntingtine mutée dans les cellules non-striatales. Il serait inté-ressant par exemple d’intégrer les effets de la huntingtine mutée dans les neurones qui se projettent sur le striatum, tels que les neurones corticaux-striataux et les neurones nigro-striataux. Il faudrait pour cela réaliser des injections de lentivirus codant la huntingtine

mutée en plusieurs sites, tels que le cortex et la substance noire compacte. Il serait éga-lement intéressant d’étudier les effets de l’halopéridol décanoate dans un modèle de sou-ris transgéniques comme par exemple les sousou-ris knock-in qui expriment la huntingtine mu-tée avec 140 répétitions de glutamines et chez lesquelles les agrégats ne se forment que dans les régions riches en récepteurs D2 (Menalled et al., 2003).

La perspective de bloquer l’activation des récepteurs D2 pour protéger les neurones striataux de la toxicité de la huntingtine mutée n’était a priori pas garantie. En effet, en plus des récepteurs situés sur les neurones striataux de projection, les récepteurs D2 sont également présents sur les terminaisons cortico-striatales, au niveau desquelles ils sont supposés diminuer la libération de glutamate (Bamford et al., 2004a; Bamford et al., 2004b). Par conséquent, l’inhibition des récepteurs D2 par l’halopéridol aurait pu provo-quer une perte de l’inhibition de la libération du glutamate, et ainsi une excitotoxicité glutamatergique et donc une vulnérabilité accrue des neurones striataux. Or, dans notre étude, l’halopéridol décanoate injecté à des rats contrôles n’ayant reçu aucune injection lentivirale (n’exprimant donc que la huntingtine endogène) n’entraîne ni dysfonction ni mort des neurones striataux. De plus, une étude récente a recherché les effets d’un trai-tement de six mois de rats adultes avec de l’halopéridol décanoate (injection intra-musculaire, 38 mg/Kg/mois) sur les taux de glutamate et d’autres métabolites (N-acétyl aspartate, glutamine, choline, …) dans différentes régions cérébrales (Bustillo et al., 2005). Cette étude démontre que le traitement n’engendre aucune modification dans les concentrations de glutamate et des autres métabolites, et ce, quelle que soit la structure cérébrale analysée. Ainsi, la libération de glutamate reste inchangée dans le striatum après un traitement de longue durée avec l’halopéridol décanoate. L’équipe de Borrelli a montré que la modulation de la libération de glutamate implique préférentiellement les récepteurs D2S (petite isoforme du récepteur D2) (Centonze et al., 2004). Ainsi, le fait que le traitement avec l’halopéridol décanoate ne modifie pas la libération de glutamate pour-rait s’expliquer par un effet antagoniste préférentiel de l’halopéridol sur les récepteurs D2L.

Traitement pré-symptomatique : est-ce possible ?

Actuellement, la plupart des malades MH reçoivent un traitement symptomatique à base de neuroleptiques, dont l’halopéridol, qui présentent des propriétés d’antagonistes plus ou moins spécifiques des récepteurs D2, sans que ce traitement n’ait pu démontrer de ralentissement de la progression de la maladie. Mais ce traitement n’est administré qu’après l’apparition des symptômes, alors que la dégénérescence des neurones striataux porteurs de récepteurs D2 commence avant l’apparition des symptômes, au grade qui a été

qualifié de « grade 0 » sur l’échelle de Vonsattel (Vonsattel et al., 1985; Glass et al., 2000). Nous proposons qu’un traitement avec un antagoniste très spécifique des récepteurs D2, tel que l’halopéridol, administré à un stade précoce de la maladie pourrait ralentir sa progression. Dans l’étude que nous avons menée in vivo, nous avons débuté le traitement avec l’halopéridol décanoate chez des rats qui ne présentaient aucun signe neuropatholo-gique, c’est-à-dire avant l’apparition des agrégats et de la dysfonction neuronale. Est-il possible de commencer un traitement à un stade si précoce chez les malades ?

4.1. Suivi des personnes porteuses de la mutation MH

La MH est une maladie héréditaire, à transmission autosomique dominante. A l’exception des néo-mutations, les malades ont donc l’un de leurs parents qui était atteint de MH. Il est alors possible de suivre assez précocement les personnes dites « à risque », qui ont un risque sur deux d’avoir hérité de la mutation pathogène. D’autre part, la MH est une maladie monogénique pour laquelle il existe un test génétique qui permet de détecter le nombre de répétitions CAG dans le gène IT15, et par conséquent, ce test génétique permet d’affirmer si le patient est porteur ou non de la mutation.

Ainsi, il est tout à fait possible d’identifier les porteurs de la mutation MH avant l’apparition des premiers symptômes.

4.2. Détermination du stade pré-symptomatique à partir duquel il faudrait agir Le dysfonctionnement des neurones striataux porteurs de récepteurs D2 commence au grade 0 de la MH, c’est-à-dire avant l’apparition des premiers signes cliniques de la mala-die. La difficulté d’un traitement efficace ciblant les récepteurs D2 consiste à déterminer le moment où le traitement doit débuter.

Il existe une forte corrélation inverse entre le nombre de répétitions CAG dans le gène IT15 et l’âge d’apparition des symptômes (Kieburtz et al., 1994; Wexler et al., 2004). Connaissant le nombre de répétitions CAG chez un individu porteur de la mutation, il est donc possible de cibler une tranche d’âge dans laquelle les symptômes cliniques ont la plus grande probabilité de se déclarer. Une étude récente des volumes du striatum par IRM chez des porteurs de la mutation MH non symptomatiques a montré que l’atrophie du stria-tum commence de nombreuses années avant l’apparition des symptômes cliniques, en moyenne 11 ans avant l’âge d’apparition des symptômes prédit par le nombre de répéti-tions CAG (Aylward et al., 2004).

De plus en plus d’études cliniques proposent des examens permettant de suivre l’évolution de la MH et de déterminer à quel stade, y compris pré-symptomatique, se trouve un patient. Ces examens reposent souvent sur des techniques d’imagerie cérébrale,

mesurant notamment l’activité métabolique du noyau caudé et du putamen et montrant qu’une diminution du métabolisme du glucose est observée dans ces structures au stade pré-symptomatique (Mazziotta et al., 1987; Grafton et al., 1990, 1992; Feigin et al., 2001). Mais il a également été montré que l’hypométabolisme du glucose dans le striatum est corrélé avec la perte de liaison du raclopride, et donc des récepteurs D2 (Antonini et al., 1996). Par conséquent, la mesure du métabolisme du glucose dans le striatum pourrait être un marqueur trop tardif de dysfonction neuronale pour débuter un traitement avec un antagoniste des récepteurs D2.

En revanche, une étude récente montre qu’il existe des marqueurs sanguins permet-tant de suivre la progression de la MH et de discerner les stades symptomatiques pré-coces, pré-symptomatiques tardifs et symptomatiques (Borovecki et al., 2005). Ces mar-queurs sont les ARNm de 12 gènes, dont l’augmentation d’expression induite par la hun-tingtine mutée est détectable par QRT-PCR dans les cellules sanguines. Ainsi, cette étude très prometteuse suggère qu’il est possible de suivre l’évolution de la MH chez un patient, par une simple prise de sang, pouvant même identifier la progression de la maladie aux stades pré-symptomatiques.

4.3. Traitement à long terme avec l’halopéridol

Puisqu’il semble possible de déterminer à quel stade pré-symptomatique un traitement avec un antagoniste des récepteurs D2 devrait être entrepris pour ralentir la progression de la maladie, cela suggère que le patient devra suivre ce traitement pendant de longues années. Or les traitements neuroleptiques à long terme peuvent entraîner chez les mala-des mala-des effets secondaires tels qu’un syndrome extra-pyramidal. Pour éviter ces effets secondaires, qui sont dus au blocage des récepteurs D2, il pourrait être préférable de dé-velopper des stratégies thérapeutiques ciblant les mécanismes moléculaires en aval des récepteurs D2. D’après nos données préliminaires, l’inhibiteur pharmacologique de ROCK, le Y-27632, apporte les mêmes effets in vitro que l’antagoniste des récepteurs D2. Il pro-tège en effet les neurones striataux en culture de la toxicité de la dopamine et de la hun-tingtine mutée, et il prévient l’effet potentialisateur de la dopamine sur la formation d’agrégats. L’inhibition de ROCK par le Fasudil a été largement étudiée chez l’homme au Japon pour le traitement de maladies cardiovasculaires. Toutes les données disponibles indiquent que le Fasudil est bien toléré chez l’homme et n’entraîne pas d’effet secondaire important, ce qui indique que ROCK est une cible thérapeutique intéressante (Hirooka and Shimokawa, 2005). Par contre, la pénétration dans le cerveau du Fasudil administré par voie orale est très faible, tout comme celle du Y-27632 (Mueller et al., 2005).

En attendant de développer nos connaissances sur les mécanismes en aval des récep-teurs D2 qui sont impliqués dans la vulnérabilité des neurones striataux à la huntingtine mutée, il peut être intéressant de proposer un traitement précoce avec de l’halopéridol aux malades atteints de MH. En effet, il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement sus-ceptible de ralentir la progression de la maladie. De plus, malgré les effets secondaires d’un traitement à long terme avec l’halopéridol, celui-ci est largement utilisé pour soigner les malades atteints de schizophrénie par exemple. Nous proposons ainsi qu’un traitement pré-symptomatique avec l’halopéridol pourrait être un atout thérapeutique intéressant.