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Récepteurs D2 et mort des neurones striataux exprimant la huntingtine mutée

Discussion générale

3. L’activation des récepteurs dopaminergiques de type D2 rend les neurones striataux plus vulnérables à la huntingtine mutée

3.1. Récepteurs D2 et mort des neurones striataux exprimant la huntingtine mutée

Les récepteurs D2 sont exprimés par les neurones striataux GABAergi-ques/enképhalinergiques qui se projettent sur le globus pallidus externe, c’est-à dire la population cellulaire qui dégénère le plus précocement dans le striatum des malades MH, à un stade où ils sont encore pré-symptomatiques. Or notre étude montre que l’activation des récepteurs D2 favorise la mort des neurones striataux exprimant la huntingtine mutée. Ainsi, la présence des récepteurs D2 peut elle-même représenter un facteur de vulnérabili-té cellulaire dans la MH. La question reste à présent de comprendre par quels mécanismes moléculaires les récepteurs D2 pourraient révéler la toxicité de la huntingtine mutée.

Inhibition de voies de signalisation anti-apoptotiques par la stimulation des récep-teurs D2 ?

Les récepteurs D2 participent à un grand nombre de voies de signalisation intracellu-laire, souvent par l’intermédiaire d’interactions protéiques avec leur troisième boucle in-tracytoplasmique. L’un des médiateurs importants des réponses cellulaires à l’activation des récepteurs D2 est la β–arrestine 2. Le premier rôle reconnu de la famille des arrestines est d’assurer la désensibilisation des récepteurs à sept domaines transmembranaires. Par-mi les arrestines, ce sont les β–arrestines 2 qui interagissent avec les récepteurs D2 dans le striatum (Macey et al., 2004). Après avoir été stimulés par la dopamine, les récepteurs D2 sont phosphorylés par des kinases de la famille des GRK (G protein-coupled Receptor Kina-ses). Cette phosphorylation augmente l’affinité de la β–arrestine 2 pour le récepteur D2, auquel elle se lie. Elle recrute alors les composants de la machinerie d’endocytose au ni-veau du récepteur (AP2, clathrine, dynamine), qui procèdent à l’internalisation du récep-teur dans une vésicule recouverte de clathrine.

Outre les récepteurs couplés aux protéines G et les composants de la machinerie de l’endocytose, les β-arrestines peuvent s’associer avec de nombreux acteurs de voies de

signalisation intracellulaire. Les β-arrestines ne participent donc pas uniquement à la dé-sensibilisation des récepteurs mais également à la régulation des voies de signalisation en aval de ces récepteurs. La β-arrestine 2 agit ainsi en tant que plateforme protéique pour les composants de la voie des ERK1/2 (Raf, MEK, ERK) (DeFea et al., 2000; Luttrell et al., 2001). Il semblerait que les effets de la β-arrestine 2 sur cette voie de signalisation puis-sent être différents en fonction du récepteur qui est à l’initiative de cette régulation. En effet, avec des récepteurs tels que le récepteur à l’angiotensine de type 1a (AT1aR), dits « récepteurs de classe B », la β-arrestine 2 et ERK sont internalisés avec le récepteur et restent accrochés à la vésicule d’endocytose (Luttrell et al., 2001) (Figure 47). L’activation de ERK est alors maintenue sur une longue période (plus de 90 min), peut-être parce qu’il est inaccessible pour ses phosphatases, et il reste cytoplasmique (Tohgo et al., 2002; Ge et al., 2003; Ahn et al., 2004; Lefkowitz and Shenoy, 2005). Par contre, avec des récepteurs tels que le récepteur adrénergique β2 (β2-AR), dits « récepteurs de classe A », l’activation de ERK par la β-arrestine 2 est moins persistante dans le temps et permet à phospho-ERK de transloquer au noyau (Tohgo et al., 2003; Lefkowitz and Shenoy, 2005) (Figure 47).

Figure 47 : Activation de la voie ERK par la β-arrestine 2 en réponse à la stimulation d’un récepteur

de classe A (à gauche) ou de classe B (à droite).

L’activation de la voie ERK par la β-arrestine 2 en réponse à la stimulation d’un récepteur de classe A (tel que β2-AR) est de courte durée et permet à pERK d’agir sur ses cibles nucléaires. Au contraire, en réponse à l’activation d’un récepteur de classe B (tel que AT1aR), l’activation de ERK par la β-arrestine 2 est soutenue et limitée au compartiment cytoplasmique. Schéma d’après (Lefkowitz and Shenoy, 2005).

La voie des ERK1/2 est généralement considérée comme étant anti-apoptotique, régu-lant la prolifération et la différenciation cellulaire et étant impliquée dans la mémoire à long terme, la plasticité synaptique et les réponses comportementales aux drogues d’abus (Valjent et al., 2001; Sweatt, 2004). Pour assurer ces fonctions, phospho-ERK transloque au noyau, où elle phosphoryle et active des facteurs de transcription qui stimulent l’expression de gènes impliqués dans la prolifération, la différenciation et d’autres proces-sus cellulaires (Morrison and Davis, 2003). De récentes études ont remis en cause le seul rôle anti-apoptotique de la voie ERK, suggérant au contraire son implication dans la neuro-dégénérescence (Irving and Bamford, 2002; Cheung and Slack, 2004; Chu et al., 2004). Par exemple, ERK est activée après l’injection de la neurotoxine 6-OHDA qui permet de modé-liser la maladie de Parkinson. Dans ce modèle, la mort cellulaire est diminuée par l’inhibition pharmacologique de MEK, l’activateur de ERK (Kulich and Chu, 2001). L’inhibition de MEK, par l’agent pharmacologique PD98059, est également neuroprotec-trice contre l’ischémie cérébrale focale (Alessandrini et al., 1999; Namura et al., 2001). Jusqu’à présent, les mécanismes moléculaires qui assurent le rôle pro-apoptotique de ERK dans les neurones sont encore inconnus. L’étude récente menée par Subramaniam et al. démontre que l’activation de ERK pourrait entraîner la dégénérescence neuronale en pro-voquant des dommages au niveau de la membrane plasmique indépendamment de la cas-pase-3 (Subramaniam et al., 2004). La localisation subcellulaire de la protéine ERK pour-rait entraîner des effets cellulaires différents, de nature anti-apoptotique dans le noyau et de nature pro-apoptotique dans le cytoplasme des neurones. Dans ce cas, la régulation de la localisation sub-cellulaire de la protéine ERK par la β-arrestine 2 pourrait directement réguler son rôle pro- ou anti- apoptotique.

Les mécanismes d’activation de la voie ERK par la β-arrestine 2 n’ont pas encore été étudiés en réponse à l’activation des récepteurs D2. Notre équipe a entrepris l’analyse de l’état d’activation et de la localisation subcellulaire de ERK dans notre modèle in vitro de la MH.

Très récemment, les travaux de Beaulieu et al. ont permis de révéler un autre rôle im-portant de la β-arrestine 2 pour la régulation par les récepteurs D2 d’une voie de signalisa-tion classiquement décrite comme étant anti-apoptotique. Cette voie de signalisasignalisa-tion est celle de la sérine-thréonine kinase Akt (ou PKB). Cible majeure des phosphoinositides 3-kinases (PI3-3-kinases), Akt exerce ses effets neuroprotecteurs en phosphorylant de nom-breux substrats (Franke et al., 2003). Ces substrats comprennent des composants de la machinerie apoptotique (tels que BAD), la glycogène synthase kinase 3b (GSK3b) et les fac-teurs de transcription de la famille de forkhead (FOXOS). La voie d’Akt est

particulière-ment intéressante pour l’étude de la MH, car l’équipe de Saudou a montré que l’un des substrats de cette kinase pouvait être la huntingtine mutée (Humbert et al., 2002). Lors-que la huntingtine mutée est phosphorylée par Akt, elle perd sa toxicité neuronale. De plus, l’activité d’Akt est altérée chez les malades MH. En effet, les travaux de Colin et al. ont montré que, dans des cerveaux post-mortem de malades et dans un modèle de rat ex-primant la huntingtine mutée dans le striatum, Akt est sous-exprimée dès un stade précoce correspondant à la dysfonction mais non à la mort neuronale, et est clivée par la caspase 3, devenant ainsi complètement inactive, aux stades tardifs de la maladie (Colin et al., 2005). Ces données suggèrent que la voie d’Akt pourrait être impliquée dans la pathoge-nèse de la MH.

Or, les travaux récents de Beaulieu et al. démontrent un lien entre les récepteurs D2 et l’activité de cette voie (Beaulieu et al., 2005). En effet, cette étude révèle que la β-arrestine 2 forme un complexe protéique avec Akt et sa phosphatase PP2A. La formation de ce complexe est stimulée par l’activation des récepteurs D2 et conduit à la déphospho-rylation, et ainsi à l’inactivation, de la protéine Akt (Figure 48). Par conséquent, en acti-vant les récepteurs D2, la dopamine inhibe Akt. La huntingtine mutée n’est alors plus phosphorylée par Akt, et peut devenir toxique pour les neurones.

Figure 48 : Schéma modélisant l’inactivation d’Akt par les récepteurs D2 dans les neurones

stria-taux.

La β-arrestine 2 permet de réunir Akt et sa phosphatase PP2A. La formation de ce complexe est stimulée par l’activation des récepteurs D2 et rend Akt inactive. D’après (Beaulieu et al., 2005).

Défaut d’endocytose des récepteurs D2 ?

La huntingtine normale interagit directement avec HIP1 et AP2, deux protéines impor-tantes pour la formation des vésicules d’endocytose à clathrine. En favorisant l’assemblage de HIP1 avec AP2 au niveau de la membrane plasmique, la huntingtine normale pourrait elle-même être impliquée dans l’initiation de la formation des vésicules d’endocytose. Il a

récemment été montré que HIP1 joue un rôle essentiel dans le trafic intracellulaire des récepteurs au glutamate de type AMPA (Metzler et al., 2003). En effet, les neurones de souris knock-out pour HIP1 présentent de profondes anomalies de l’internalisation des ré-cepteurs AMPA.

La présence de l’expansion de glutamines diminue l’interaction de la huntingtine avec HIP1 (Gervais et al., 2002). Par conséquent, la huntingtine mutée perd la faculté d’assembler HIP1 et AP2 au niveau de la membrane plasmique, pouvant alors perturber la formation des vésicules d’endocytose à clathrine. La stimulation des récepteurs D2 provo-que leur internalisation dans des vésicules à clathrine. Ainsi, la huntingtine mutée pourrait perturber l’internalisation des récepteurs D2 en réponse à la dopamine, ce qui pourrait entraîner une hyperstimulation des récepteurs et des anomalies de la signalisation intra-cellulaire en aval des récepteurs D2. Il serait intéressant d’étudier le trafic intraintra-cellulaire des récepteurs D2 en réponse à la dopamine en présence de la huntingtine normale ou mu-tée. Si la huntingtine mutée empêche la formation des vésicules d’endocytose à clathrine au niveau des récepteurs D2 activés par la dopamine, l’absence de la β-arrestine 2 devrait reproduire les mêmes effets que la huntingtine mutée sur l’internalisation des récepteurs D2. Il pourrait donc être judicieux d’analyser l’effet de la stimulation des récepteurs D2 sur la survie des neurones striataux provenant de souris knock-out pour la β-arrestine 2.