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La dopamine crée un stress oxydatif qui rend les neurones striataux plus vulnérables à la huntingtine mutée : implication de la voie JNK/c-Jun

Discussion générale

2. La dopamine crée un stress oxydatif qui rend les neurones striataux plus vulnérables à la huntingtine mutée : implication de la voie JNK/c-Jun

Bien que la huntingtine mutée ait une expression ubiquitaire, les neurones de projec-tion du striatum sont les cellules les plus vulnérables de la MH. Cette vulnérabilité ne peut pas s’expliquer par le niveau d’expression de la huntingtine, qui n’est pas particulièrement élevé dans le striatum par rapport aux autres structures cérébrales. Par contre, le striatum reçoit les plus fortes concentrations cérébrales de dopamine et, nous l’avons vu, la dopa-mine peut, dans certaines conditions, se révéler toxique pour les neurones striataux. Par conséquent, la libération physiologique de dopamine qui se produit dans le striatum durant le cours normal de la vie pourrait conduire à une vulnérabilité progressive des neurones striataux dans la MH.

Arguments indirects en faveur d’un rôle de la dopamine dans la MH

Plusieurs données de la littérature apportent des arguments indirects en faveur d’un rôle éventuel de la dopamine dans la vulnérabilité spécifique des neurones striataux dans

la MH. Par exemple, les travaux de Reynolds et al. montrent, dans un modèle pharmacolo-gique in vivo de MH, reposant sur l’administration systémique de 3-NP et reproduisant la neurodégénérescence striatale sélective, que la lésion des afférences dopaminergiques protège complètement les neurones striataux de la toxicité du 3-NP (Reynolds et al., 1998). Au contraire, l’administration aiguë ou chronique d’amphétamine, qui augmente la libération de dopamine dans le striatum, accentue les effets toxiques du 3-NP (Bowyer et al., 1996; Reynolds et al., 1998). Les souris transgéniques R6/2, qui surexpriment l’exon 1 humain de la huntingtine mutée avec en moyenne 145 répétitions de glutamines, dévelop-pent une hypersensibilité à la toxicité de l’amphétamine (Hickey et al., 2002). De manière intéressante, cette hypersensibilité augmente avec l’âge des souris. Les souris knock-out pour le transporteur de la dopamine (DAT), qui présentent une hyper-dopaminergie persis-tante dans le striatum, sont hypersensibles aux effets neurotoxiques du 3-NP (Fernagut et al., 2002). De plus, ces souris développent spontanément des symptômes dyskinétiques très proches de ceux de la MH et une dégénérescence sélective et progressive des neuro-nes striataux GABAergiques (Cyr et al., 2003). Ainsi, des anomalies de la transmission do-paminergique peuvent être à l’origine de troubles moteurs proches de ceux de la MH, comme c’est également le cas dans le syndrome de Gilles de la Tourette.

Tous ces arguments en faveur d’un rôle de la dopamine dans la pathogenèse de la MH ne sont que des arguments indirects, et les mécanismes par lesquels la dopamine pourrait révéler la toxicité de la huntingtine mutée dans les neurones striataux n’étaient toujours pas élucidés au moment où j’ai commencé ma thèse. Nous avons alors entrepris l’étude de l’influence de la dopamine sur les neurones striataux exprimant la huntingtine mutée.

En produisant des radicaux libres, la dopamine agit en synergie avec la huntingtine mutée pour activer la voie pro-apoptotique JNK/c-Jun

Nous avons montré que dans notre modèle de cultures primaires de neurones striataux transfectés transitoirement avec l’exon 1 de la huntingtine normale (avec 25 glutamines) ou mutée (avec 103 glutamines), la huntingtine mutée est capable d’activer le module pro-apoptotique JNK/c-Jun (Garcia et al., 2004). Cette activation est un événement précoce dans le processus qui mène à la mort des neurones striataux et apparaît avant la formation des agrégats nucléaires. L’inhibition du module JNK/c-Jun soit par un pré-traitement des neurones avec un inhibiteur pharmacologique de JNK (le SP-600125), soit par la co-expression d’une forme dominante négative de c-Jun, protège partiellement mais significa-tivement les neurones striataux de la toxicité de la huntingtine mutée. Ces résultats sont intéressants parce qu’ils démontrent qu’un fragment N-terminal de la huntingtine mutée, outre sa capacité à inhiber la transcription génique dans le noyau, est capable, dans les

neurones striataux, de déclencher une cascade de signalisation pro-apoptotique dans le cytoplasme, indépendamment de la formation des agrégats nucléaires. Par contre, cette activation ne concerne qu’une minorité des neurones striataux exprimant la huntingtine mutée, et ne peut donc pas expliquer la vulnérabilité de cette population cellulaire dans la MH.

Ayant démontré que la huntingtine mutée seule et que la dopamine seule (100 µM) sont capables d’activer la même voie de signalisation pro-apoptotique JNK/c-Jun, mais que cette activation ne concerne dans les deux cas qu’un petit nombre de neurones, nous avons analysé l’effet combiné de la huntingtine mutée et de la dopamine sur l’activation de cette voie. Nous avons alors montré que, dans notre modèle in vitro de MH, la dopa-mine et la huntingtine mutée exercent un effet synergique, et non uniquement additif, sur l’activation du module JNK/c-Jun. Un pré-traitement des neurones striataux exprimant la huntingtine mutée avec un anti-oxydant inhibe l’effet synergique de la dopamine et de la huntingtine mutée sur l’activation de la voie JNK/c-Jun et sur la mort neuronale. Le même effet protecteur sur l’activation de JNK/c-Jun et sur la mort des neurones striataux est obtenu par un pré-traitement avec un inhibiteur pharmacologique de JNK (le SP-600125). Ces résultats indiquent par conséquent que ce sont les radicaux libres produits par la do-pamine qui agissent en synergie avec la huntingtine mutée pour activer la voie pro-apoptotique JNK/c-Jun, et que l’activation de cette voie contribue en partie à la toxicité de la dopamine et de la huntingtine mutée dans les neurones striataux. Récemment, Pe-tersén et al. ont montré que des cultures primaires de neurones post-nataux du striatum de souris R6/2 sont plus sensibles à de fortes concentrations de dopamine (1 mM) que les neurones de souris contrôle (Petersen et al., 2001). La toxicité de la dopamine est dans ces expériences entièrement médiée par la production de radicaux libres. Dans notre mo-dèle, nous montrons que les neurones striataux exprimant la huntingtine mutée sont plus sensibles à de faibles doses de dopamine (0,1 mM) que les neurones striataux exprimant la huntingtine normale, et que la toxicité de la dopamine est partiellement médiée par la production de radicaux libres.

Corrélation avec les caractéristiques neuro-anatomiques de la MH

L’oxydation de la dopamine augmente dans le striatum au cours du vieillissement (Fornstedt et al., 1990). Cette oxydation produit des radicaux libres qui, d’après les résul-tats que nous avons obtenus in vitro, amplifient l’activation de la voie JNK/c-Jun qui est faiblement initiée par la présence de la huntingtine mutée dans les neurones. Ainsi, en renforçant fortement l’activation de cette voie pro-apoptotique, l’oxydation de la dopa-mine dans le striatum pourrait être impliquée dans la vulnérabilité sélective des neurones

striataux à l’expression de la huntingtine mutée. De plus, cette oxydation augmentant au cours du vieillissement, ce mécanisme pourrait expliquer pourquoi l’apparition des symp-tômes et de la dégénérescence des neurones striataux sont retardées à l’âge adulte, mal-gré l’expression constitutive de la huntingtine mutée depuis la naissance.

La dopamine, par son oxydation, pourrait participer au stress oxydatif observé dans le striatum des malades MH. En effet, les cerveaux post-mortem de malades MH présentent une activité de la MAO-B (monoamine oxydase B) accrue de 260 % dans le noyau caudé, en comparaison avec les cerveaux d’individus sains de même âge (Mann et al., 1986). Or la MAO-B est l’enzyme responsable de l’oxydation de la dopamine. Par conséquent, même si les concentrations synaptiques de dopamine ne sont pas augmentées, l’hyper-activité de la MAO-B accélèrerait le métabolisme oxydatif de la dopamine et la production de radicaux libres qui en résulte. Il a d’ailleurs été montré que les quantités de DOPAC, produit de l’oxydation de la dopamine par la MAO-B, sont également augmentés dans le liquide céré-bro-spinal des malades MH (Garrett and Soares-da-Silva, 1992). Ces données confortent donc l’hypothèse de l’implication de la dopamine dans le stress oxydatif observé dans la MH.

Pour confirmer nos observations in vitro, il serait intéressant d’analyser l’état d’activation de la voie JNK/c-Jun dans le striatum de modèles in vivo de MH. Notre équipe a déjà montré que cette voie est activée spécifiquement dans les neurones striataux dans le modèle pharmacologique du 3-NP (Garcia et al., 2002). Cette analyse sera à présent entreprise dans des modèles génétiques in vivo de la MH.

Implication de JNK dans la vulnérabilité des neurones striataux dans la MH : quelle JNK ?

La famille des protéines JNK est composée de trois sous-familles, les JNK1, JNK2 et JNK3, qui ont des effets cellulaires différents. Parmi les trois JNK exprimées dans le cer-veau, JNK1 présente une activité constitutive élevée dans les neurones, qui n’est pas re-liée à une situation de stress cellulaire (Coffey et al., 2000; Coffey et al., 2002; Kuan et al., 2003). Cette activité maintient l’homéostasie des microtubules et l’intégrité des axo-nes dans le cerveau adulte (Chang et al., 2003). En ce qui concerne JNK2, elle peut être impliquée dans la réponse à des stimuli pro-apoptotiques (Coffey et al., 2002; Dietrich et al., 2004; Eminel et al., 2004) mais elle est également importante pour la différenciation coordonnée des cellules immunitaires par exemple (Yang et al., 1998; Jaeschke et al., 2004), ou pour le développement du cerveau (Kuan et al., 1999). Connaissant le rôle phy-siologique que peuvent jouer certaines JNK dans une situation cellulaire donnée, les

stra-tégies thérapeutiques visant à bloquer la mort neuronale dépendante de JNK nécessitent de connaître la forme de JNK qui doit être ciblée (JNK1, JNK2 ou JNK3).

La conservation de la structure des motifs fonctionnels des JNK rend difficile le déve-loppement de composés permettant d’inhiber spécifiquement l’une ou l’autre des sous-familles de JNK (Resnick and Fennell, 2004). Au moins 40 inhibiteurs de structures diffé-rentes ont été publiés ou brevetés en tant qu’inhibiteurs de JNK, agissant soit indirecte-ment via la signalisation de la voie JNK (tel que le CEP-1347, qui inhibe MLK, une kinase en amont de JNK et qui est actuellement testé pour le traitement de la maladie de Parkinson (Group, 2004)), soit en bloquant directement le domaine catalytique de JNK (tels que le SP-600125, proposé pour le traitement de l’ischémie cérébrale (Guan et al., 2005)) (Waetzig and Herdegen, 2005). Le domaine catalytique étant conservé entre les différen-tes formes de JNK, aucune de ces molécules ne permet de distinguer les effets de JNK1, JNK2 ou JNK3. Seule une approche génétique chez des souris knock-out pour l’une ou l’autre des JNK1, 2 ou 3 permettrait d’identifier quelle JNK est activée par la huntingtine mutée et/ou les radicaux libres produits par la dopamine, une étude qui est en cours au laboratoire.

JNK3 est la seule JNK dont l’expression est restreinte au cerveau. La délétion du gène Jnk3 chez la souris est neuroprotectrice contre l’ischémie, le stress oxydatif et l’excitotoxicité du glutamate (Yang et al., 1997; Kuan et al., 2003; Brecht et al., 2005). Elle atténue de plus les caractéristiques pathologiques de la maladie d’Alzheimer (Morishima et al., 2001). JNK3 apparaît alors comme une cible d’intérêt pour les maladies neurodégénératives, et donc pour la MH.

L’étude de Hunot et al. montre que la double invalidation des gènes Jnk2 et Jnk3 est nécessaire et suffisante pour protéger les neurones dopaminergiques de l’activation de c-Jun et de la mort cellulaire induites par le MPTP, un composé pharmacologique qui modé-lise la maladie de Parkinson (Hunot et al., 2004). Il est par conséquent intéressant d’analyser l’implication de JNK2 dans l’activation de c-Jun par l’action synergique de la dopamine et de la huntingtine mutée dans notre modèle.

Une étude récente démontre que lorsque JNK1 est activée dans le cytoplasme d’un neurone, elle phosphoryle MAP2. Il en résulte une modification de la morphologie de l’arbre dendritique du neurone, diminuant le nombre de dendrites par cellule et augmen-tant la longueur moyenne d’une dendrite (Bjorkblom et al., 2005). Or nous avons égale-ment analysé dans notre modèle, la morphologie de l’arbre dendritique des neurones (identifiée par immunomarquage de MAP2) exprimant la huntingtine mutée en présence ou non de dopamine (résultats préliminaires). Sans dopamine, l’expression de la huntingtine mutée ne modifie la morphologie de l’arbre dendritique que lorsqu’elle se présente sous la

forme d’agrégats somatiques ou nucléaires. En effet, les neurones dans lesquels la hun-tingtine mutée forme des agrégats somatiques présentent des dendrites dont la longueur moyenne est diminuée de 50 % par rapport aux neurones exprimant la huntingtine normale (après 14h d’expression de la huntingtine mutée ou normale). En présence de dopamine, les neurones dans lesquels la huntingtine mutée est diffuse ou sous forme d’agrégats neuri-tiques présentent des dendrites dont la longueur moyenne est diminuée de 35 % par rap-port aux neurones non traités avec la dopamine (après 14h de traitement et d’expression de la huntingtine mutée). La dopamine n’a aucun effet sur les dendrites des neurones dans lesquels la huntingtine mutée est sous forme d’agrégats somatiques ou nucléaires. De ma-nière intéressante, la rétraction neuritique induite par la dopamine dans les neurones striataux exprimant la huntingtine mutée sous forme diffuse est médiée par l’activation de JNK puisque la longueur des dendrites est préservée avec un pré-traitement des neurones avec le SP-600125 (inhibiteur pharmacologique de JNK). Par contre, la rétraction neuriti-que induite par la dopamine dans les neurones striataux exprimant la huntingtine mutée sous forme d’agrégats neuritiques est médiée par l’activation des récepteurs D2. Ces ana-lyses de la rétraction neuritique des neurones striataux exprimant la huntingtine mutée induite par la dopamine sont en cours au laboratoire.

3. L’activation des récepteurs dopaminergiques de type D2 rend les neurones