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Excitotoxicité et dysfonctionnement mitochondrial Glutamate et excitotoxicité

3. Maladie de Huntington : perte ou gain de fonction d’une protéine ubiquitaire… Pourquoi le striatum ?

3.2. Excitotoxicité et dysfonctionnement mitochondrial Glutamate et excitotoxicité

Les méfaits du glutamate sont connus dans la vie courante par le « syndrôme du restau-rant chinois », dont la description fut établie pour la première fois en 1972 par Humar et Ghami. Le glutamate est un additif alimentaire très largement utilisé dans la cuisine chi-noise. Il provoque chez certaines personnes sensibles une soudaine migraine, de violentes nausées, des éblouissements, voire une faiblesse confinant à une pseudo-paralysie passa-gère. Dès 1969, John Olney, neurophysiologiste de l’Université de Whashington, constata que le glutamate pouvait passer dans le sang et provoquer des dégâts foudroyant sur les neurones :

« Lorsque le glutamate venu du sang irriguant le cerveau atteint les neurones, ceux-ci laissent soudain entrer massivement du calcium […], bien au-delà de leurs possibilités physiologiques, provoquant une brutale dépolarisation du neurone, qui en meurt ».

John Olney inventa ainsi le concept d’« excitotoxicité » : propriété qu’ont certains acides aminés (dont le glutamate) à déclencher cette réponse électrique des cellules nerveuses qui conduit à leur « suicide » (Olney, 1994).

Excitotoxicité dans la MH

Le glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du système nerveux cen-tral. Le striatum reçoit une massive innervation glutamatergique provenant de tout le manteau cortical. L’hyper-activation des récepteurs ionotropiques au glutamate, et plus particulièrement de type NMDA, produit une entrée massive de calcium dans la cellule. L’élévation non contrôlée de la concentration intracellulaire en calcium et l’activation des nombreuses voies biochimiques qui en résulte conduit finalement à la mort du neurone (Brouillet et al., 1999) (Figure 26).

L’hypothèse de l’excitotoxicité du glutamate fut pour la première fois illustrée comme mécanisme potentiel à l’origine de maladies neurodégénératives en 1976, au travers de l’étude de modèles animaux de la MH. Deux équipes indépendantes montrent alors que l’administration intrastriatale d’un analogue du glutamate, l’acide kaïnique, provoque des lésions caractérisées par une dégénérescence neuronale sélective (Coyle and Schwarcz, 1976; McGeer and McGeer, 1976). Plusieurs années plus tard, on découvrit qu’un autre analogue du glutamate, l’acide quinolinique, reproduisait encore mieux l’atteinte striatale de la MH puisque la lésion ne touchait que les neurones épineux de taille moyenne et pré-servait les interneurones (Beal et al., 1986).

La comparaison des caractéristiques anatomiques des lésions excitotoxiques chez l’animal et des lésions striatales observées en post-mortem chez les patients atteints de la MH a été directement à l’origine de l’hypothèse excitotoxique dans la MH, hypothèse selon laquelle la dégénérescence striatale progressive observée dans cette maladie serait liée à une anomalie du système glutamatergique (DiFiglia, 1990). Cette anomalie a été mise en évidence dans différents modèles murins de MH, chez lesquels des études électrophysiolo-giques ont montré une augmentation de l’amplitude des courants calciques dépendants des récepteurs NMDA, ce qui témoigne d’une sensibilité accrue de ces récepteurs au glutamate (Levine et al., 1999; Cepeda et al., 2001; Zeron et al., 2002; Zeron et al., 2004). Comme nous l’avons vu précédemment, la huntingtine normale se lie à PSD-95, une protéine post-synaptique qui régule la signalisation glutamatergique à travers son interaction avec les récepteurs NMDA (Aarts et al., 2002). La sur-expression de la huntingtine normale réduit la

toxicité induite par le NMDA ou le kaïnate dans des lignées de cellules neuronales (Sun et al., 2001). En revanche, lorsque la huntingtine est mutée, son affinité pour PSD-95 diminue et les récepteurs NMDA deviennent hyper-sensibles.

Figure 26 : Excitotoxicité du glutamate.

(1) Lorsque le glutamate est présent dans le milieu extracellulaire à des concentrations anormale-ment élevées, les canaux calciques couplés aux récepteurs glutamatergiques de type NMDA s’ouvrent (2), produisant une élévation persistante de la concentration intracellulaire de calcium (3). Cette augmentation de calcium active en série différentes enzymes participant à la destruction de la cellule. En parallèle, l’augmentation de la production de molécules oxygénées (O2-, OH-) et nitrées (NO, ONOO) très réactives (radicaux libres) collabore à la dégénérescence des neurones. Enfin, l’élévation des concentrations intracellulaires en calcium perturbe gravement l’activité mito-chondriale et le fonctionnement de la chaîne de phosphorylation oxydative (4), ce qui conduit à un arrêt progressif de la production d’ATP, fatal pour la cellule. D’après (Brouillet et al., 2000).

Si l’étude des modèles murins de MH suggère un rôle de l’excitotoxicité du glutamate dans la dégénérescence des neurones striataux, aucune étude n’a permis de mettre en évidence l’existence d’anomalies de la transmission glutamatergique chez les patients at-teints de MH (Dure et al., 1991; Brouillet et al., 1999).

Dysfonctionnement mitochondrial et excitotoxicité indirecte

Les premières suspicions d’altération du métabolisme énergétique dans la MH sont nées des observations d’une perte de poids importante des malades, malgré le maintien d’une

prise alimentaire énergétique. La perte de poids n’est pas corrélée à la chorée, ce qui sug-gère qu’elle n’est pas secondaire à l’hyperactivité des malades mais résulte de la mutation MH (Djousse et al., 2002). D’autres marques d’anomalies du métabolisme énergétique ont été observées dans le striatum de malades MH, notamment la présence de taux élevés de lactate, des concentrations réduites en N-acétylaspartate, créatine et phosphocréatine, une réduction de l’activité des complexes mitochondriaux II et III (Beal, 2000). Toutes ces observations sont les indications d’un dysfonctionnement mitochondrial dans la MH.

Les neurones striataux recevant de nombreuses afférences excitatrices, ils ont besoin d’importants apports en énergie pour maintenir le potentiel de membrane. Le déficit éner-gétique qui découle de l’atteinte mitochondriale induit alors une dépolarisation partielle de la membrane plasmique neuronale, la levée du blocage par le magnésium du canal cique associé aux récepteurs NMDA, et ainsi une entrée non contrôlée et massive de cal-cium dans le neurone (Brouillet et al., 2000). Ce mécanisme est appelé « excitotoxicité indirecte » car il reproduit les effets de l’excitotoxicité du glutamate sans nécessiter de concentrations extracellulaires anormalement élevées en glutamate.

La vulnérabilité des neurones striataux à une atteinte mitochondriale fut découverte par accident après l’intoxication d’enfants Chinois par de l’acide 3-nitropropionique (3-NP), un inhibiteur irréversible de la succinate déhydrogénase (complexe II) (Alston et al., 1977; Coles et al., 1979; Ludolph et al., 1991; Ming, 1995). Ces enfants avaient ingéré de la canne à sucre contaminée par un champignon, l’Arthrinium, qui produit la neurotoxine 3-NP. Les enfants développèrent une encéphalopathie aigüe suivie d’une dystonie retardée à 11-60 jours après l’ingestion. Les patients souffraient de symptômes ressemblant à ceux de la MH : dystonie, chorée, hypokinésie (Alexi et al., 1998). Le CT-scan cérébral (Compu-terized Tomography) de ces patients montrait des hypodensités bilatérales dans le puta-men, et dans une moindre mesure dans le globus pallidus (Brouillet et al., 1995; Vis et al., 1999). Des études ont ensuite été entreprises chez les animaux, montrant que l’administration systémique prolongée de 3-NP chez le rat reproduit les principales carac-téristiques histologiques et biochimiques de la maladie, avec, en particulier, une atteinte sélective des neurones épineux du striatum (Beal et al., 1993). Chez le primate, l’administration prolongée (plusieurs mois) de doses modérées de 3-NP induit progressive-ment des mouveprogressive-ments anormaux dyskinétiques et dystoniques, des déficits cognitifs (de type frontal) (Palfi et al., 1996) et des lésions bilatérales du noyau caudé et du putamen (Brouillet et al., 1995; Brouillet et al., 1999).

L’altération des fonctions mitochondriales pourrait contribuer à l’excitotoxicité du glu-tamate, aux dommages oxydatifs et à l’altération de la transcription génique (via la dimi-nution de production d’AMPc) dans les neurones striataux (Browne and Beal, 2004). Elle

entraîne une perturbation de la régulation du calcium et active ainsi les protéases telles que les calpaïnes (Bizat et al., 2003). Le dysfonctionnement des mitochondries entraîne également la libération de cytochrome c et stimule les caspases. Par conséquent, l’atteinte mitochondriale pourrait jouer un rôle central dans le mécanisme pathogénique de la MH.

3.3. Stress oxydatif et rôle de la dopamine : une piste encore peu explorée