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Chapitre 5. Méthodologie de la recherche

5.4. Les méthodes de recueil et d’analyse des données

5.4.2. Traitement des données

Afin de mettre à l’épreuve notre hypothèse de recherche, nous avons choisi de croiser différentes méthodes d’analyse de nos données : pour ce faire, nous avons effectué une analyse lexicale informatisée, d’une part, à l’aide du logiciel Alceste ; une analyse interprétative phénoménologique, d’autre part, fondée sur des études de cas.

118 5.4.2.1. L’analyse lexicale informatisée : présentation du logiciel Alceste.

Les entretiens semi-directifs forment un corpus analysable d’environ 240 pages, au sein duquel les questions de l’intervieweur ont été supprimées.

5.4.2.1.1. Ancrages théoriques et méthodologiques.

Le logiciel Alceste est un outil d’analyse statistique des données textuelles créé par Max Reinert83

83 Plus précisément par Reinert, Benzecri, Bataille et l’ANVAR (Agence Nationale de Valorisation de la Recherche), la société toulousaine Image.

. La méthodologie sur laquelle il repose consiste en l’étude des lois de distributions du vocabulaire au sein d’un corpus d’entretiens dont il extrait les structures signifiantes les plus prégnantes. Alceste se centre donc sur les ressemblances et dissemblances du vocabulaire et rend compte de sa distribution dans les propositions qui composent le texte analysé. Il est alors possible de décrire des classes à partir d’éléments tels que le relevé du vocabulaire le plus spécifique, et la sélection des unités de contexte (U.C.E.) les plus représentatives du vocabulaire caractéristique de la classe (Capdevielle-Mougnibas et al., 2004). Le logiciel permet donc moins de « chercher le sens d’un texte » que de « déterminer

comment sont organisés les éléments qui le constituent » (Reinert, 1990). Son utilisation vise

à (1) déterminer comment les éléments d’un corpus textuel s’organisent ; (2) réduire l’arbitraire dans la description d’un corpus ; (3) mettre en évidence l’information essentielle contenue dans un corpus. Alceste, à partir d’un corpus préalablement numérisé, effectue une première analyse détaillée de son vocabulaire et constitue le dictionnaire des mots ainsi que de leur racine, avec leur fréquence. Ensuite, par fractionnements successifs, il découpe le texte en segments homogènes contenant un nombre suffisant de mots et procède alors à une classification de ces segments en repérant les oppositions les plus fortes. Cette méthode permet d’extraire des classes de sens, constituées par les mots et les phrases les plus significatifs. Les classes obtenues condensent les idées et les thèmes dominants du corpus, les « topoï », qui constituent des « mondes sémantiques » ou encore des « mondes lexicaux » spécifiques. Le logiciel catégorise, en premier lieu, les réponses des sujets en fonction de la ressemblance de leur vocabulaire grâce à une classification hiérarchique descendante. Dans un deuxième temps, il cherche à établir une correspondance avec un individu ou des groupes d’individus caractérisés par certaines variables extratextuelles (données socio biographiques,

119 par exemple). C’est en cherchant la cohérence interne du vocabulaire de chaque classe et les différences interclasses des vocabulaires que le chercheur va pouvoir nommer chaque classe d’U.C.E. et dégager du corpus les éléments sémantiques et lexicaux les plus significatifs.

L’analyse Alceste s’inscrit donc dans une approche topique du discours au sein de laquelle la notion de « mondes lexicaux » est mise en avant (Reinert, 1993). D’après Reinert (1997, p.271), « un monde lexical est donc la trace statistique d’un tel lieu dans le

vocabulaire, lieu plus habituellement ‘habité’ par les énonciateurs. C’est la raison pour laquelle une analyse statistique purement formelle peut permettre de circonscrire la trace de ces lieux sous la forme de « mondes lexicaux ». Ceux-ci sont donc des traces strictement sémiotiques inscrites dans la matérialité même du texte. En eux-mêmes, ils sont indépendants de toute interprétation. Mais, ils ne prennent sens, pour un lecteur, qu’à travers une activité interprétative particulière en fonction de son propre ‘vouloir-lire’ ». Ces mondes lexicaux

correspondent aux classes issues de la classification hiérarchique descendante et fonctionnent comme catégories reflétant des liens d’opposition ou de connexion entre elles. La structure ainsi obtenue présuppose une double lecture : une lecture d’ensemble des classes et une lecture de chaque classe autonome et de ses liens intrinsèques. Le sens et les significations sous-jacentes repérées, au niveaux intraclasse et interclasse, sont propices à l’étude des processus d’objectivation et d’ancrage à l’œuvre dans la construction des représentations sociales. Ici, cette méthodologie d’analyse sera appliquée à l’étude des processus qui opèrent dans la structuration des PT et des significations inhérentes à des expériences de précarité d’emploi.

5.4.2.1.2. Préparation du corpus.

La préparation du corpus est une étape minutieuse et fastidieuse de la procédure qui nécessite au préalable un examen approfondi de la littérature scientifique relative à ce logiciel afin d’en contourner certaines difficultés. Aussi, nous sommes-nous assurés d’obtenir des résultats significatifs en veillant à respecter un certain nombre de conditions (Reinert, 2000) :

- La cohérence du corpus : ce dernier doit se présenter comme un tout ayant une certaine cohérence (cohérence des conditions de production ou cohérence thématique) ;

120 - La taille du corpus : ce dernier doit être suffisamment volumineux pour que des analyses statistiques puissent être réalisées et orienter la définition des classes retenues.

Ces deux critères étant réunis, nous avons ensuite procédé à un « toilettage » du corpus, consistant à retravailler certains éléments du document afin d’éviter d’éventuelles interférences entre des données de présentation et des instructions adressées au logiciel. Nous avons notamment supprimé :

- les questions posées par l’enquêteur pour ne garder que les dires des sujets ;

- les informations rajoutées dans le texte par l’enquêteur au moment de la retranscription des entretiens comme les hésitations, les silences, les rires ;

- Certains mots parasites formulés par les interviewés et conservés lors de la retranscription (exemples : « ben », « heu », « pff »).

Nous avons ensuite procédé à un découpage du corpus ainsi traité selon des balises informatiques spécifiques. Afin de reconnaître les divisions naturelles du corpus (c’est-à-dire, la partition propre à chaque sujet ou encore les Unités de contexte initiales84

- Le numéro du sujet (de 1 à 20) ;

), nous y avons introduit des « lignes étoilées », que nous avons définies en fonction des variables socio- biographiques qu’il nous semblait important de retrouver dans le rapport d’analyse final. Ces variables dites « illustratives » n’entrent pas dans les calculs effectués pour obtenir la classification mais apparaissent dans le descriptif du profil des classes d’énoncés fournies par l’analyse. Leur présence permet d’illustrer les extraits du discours (U.C.E.) mis en évidence par l’analyse lexicométrique et d’aider à l’interprétation des résultats. Les variables prises en compte sont précisées ci-dessous :

- Le sexe du sujet ;

- L’annexe d’affiliation (8 vs. 10) ;

- La situation d’intermittence (affilié vs. non-affilié).

En guise d’illustration, elles apparaissent dans le corpus, de la manière suivante :

**** *sujet_1 *sex_f *anx_10 *int_OUI.

84

121 Comme cela est préconisé, la saisie du corpus s’est ensuite effectuée « au kilomètre », sans mise en page, en gardant la ponctuation d’origine85 et en respectant un principe d’homogénéité86 dans la retranscription du corpus. Pour exemple :

**** *sujet_1 *sex_f *anx_10 *int_OUI

Ben, en fait moi à la base… donc j’ai trente-et-un ans, je fais pas du théâtre depuis toujours, enfin, j’ai fait plein de petits boulots avant. Moi j’ai niveau bac moins deux ans, donc, je suis pas restée très longtemps à l’école… J’étais un peu allergique à l’école en fait, je n’y trouvais pas ma place donc … quand j’ai arrêté l’école, forcément j’ai fait pleins de petits boulots, notamment clerc de notaire principalement, pendant quelques années.

Une fois le corpus préparé, nous avons procédé à l’analyse.

5.4.2.1.3. Méthode d’analyse des entretiens semi-directifs.

A l’aide du logiciel Alceste, nous avons effectué trois analyses lexicales successives, correspondant chacune aux trois temps des entretiens semi-directifs.

Ainsi, une première analyse a été réalisée sur la partie « Perspectives Temporelles » du corpus des entretiens semi-directifs. Cette analyse fera l’objet des chapitres 6 et 7 de cette thèse (A5).

Une deuxième analyse a été appliquée sur la partie relative aux « Processus comparatifs » du corpus des entretiens semi-directifs. Cette analyse sera présentée dans la première section du chapitre 8 de cette thèse (A6).

Enfin, une troisième analyse a été effectuée sur la partie « Situations d’emploi et de travail » du corpus des entretiens semi-directifs. Cette analyse sera détaillée dans la première section du chapitre 9 de cette thèse (A7).

Pour chacune de ces trois analyses, nous nous attacherons à étudier les mots apparaissant significatifs de chaque classe d’énoncés, les verbatim ainsi que les liens que ces indicateurs entretiennent avec les variables illustratives (sexe du sujet, annexe d’affiliation et situation d’intermittence) significativement associés à chaque classe d’énoncés. Nous

85 Celle-ci est prise en compte pour le calcul des unités de contexte (U.C.E.). 86

122 tenterons également de voir sur quoi reposent les associations et les oppositions entre les classes d’énoncés mises à jour par l’analyse.

Ces analyses ont toutes été complétées par des études de cas, effectuées sur quatre sujets de notre échantillon, représentatifs de la diversité des PT au sein de notre population d’étude. Ces études de cas reposeront sur une analyse interprétative de type phénoménologique.

5.4.2.2. L’analyse interprétative phénoménologique.

L’analyse interprétative phénoménologique (IPA) est une méthode souple d’analyse des matériaux qualitatifs, relativement récente, dont les fondements épistémologiques prennent racine dans la phénoménologie ou encore l’interactionnisme symbolique, qui considère l’individu comme actif dans son travail d’énonciation et d’interprétation de la réalité. Elle s’inscrit également dans l’herméneutique et l’idiographique87

L'objectif de l'IPA est de découvrir en détail les processus par lesquels les individus donnent du sens à leurs expériences intimes en étudiant les récits qu'ils en font. Ces processus concernent tous les aspects réflexifs qui sont en lien avec l'idée fondatrice de l'IPA selon laquelle les individus cherchent à interpréter leurs expériences sous une forme ou une autre qui soit compréhensible pour eux. Cette approche est qualifiée de « phénoménologique » car d'une part elle se réfère aux récits subjectifs de l'individu plutôt qu'à une description objectivante des faits et, d'autre part, elle considère la recherche elle-même comme un processus dynamique : nos observations sont toujours effectuées à partir d’une position subjective et nos tentatives de comprendre les relations qui unissent les individus à l’environnement qui les entoure sont nécessairement interprétatives (Smith, Flowers & Larkin, 2009). Ainsi au travers de l’IPA, le chercheur est impliqué dans le processus de production de sens : il tente d'accéder à l'univers singulier d'un sujet, cet accès reposant sur les propres conceptions du chercheur tout en étant limité par elles. L’IPA adopte donc une double herméneutique qui repose à la fois sur l’exploration des visions du monde des sujets depuis leur propre point de vue et sur un travail d’interprétation de ces visions du monde et des cognitions sous-jacentes, fondé sur les conceptions propres du chercheur (problématique, références théoriques,

.

87 L’approche idiographique est relative à l’étude descriptive de cas singuliers, isolés, elle n’a pas pour objectif de tirer des lois universelles mais s’intéresse au particulier.

123 hypothèses de recherche…). Ainsi, sur le plan épistémologique, l’analyse phénoménologique interprétative se situe dans une position complexe entre le réalisme et le constructivisme : nous percevons le monde à travers notre implication dans celui-ci mais sa signification émerge de notre relation à lui (intersubjectivité). L'expression « analyse

interprétative phénoménologique » rend compte de cette dualité ainsi que de la jonction

de processus réflexifs des participants et des chercheurs pour constituer le récit analytique (Smith, 1996 ; Osborn & Smith, 1998; Smith, 1997). Smith (1996) décrit l'IPA comme « interprétative » du fait de son ancrage dans la tradition interprétative ou herméneutique de la pratique de recherche puisque le chercheur joue un rôle majeur dans l'analyse et la recherche. L’IPA est « phénoménologique » car elle tente d’accéder au plus près possible de l’expérience personnelle du participant à partir d’une démarche inductive, mais elle reconnaît que ce processus devient inévitablement interprétatif à la fois pour le participant et pour le chercheur. Sans la phénoménologie, il n’y aurait rien à interpréter et sans l’herméneutique, le phénomène ne pourrait pas être observé (Smith, Flowers & Larkin, 2009). C’est donc dans cette démarche de va-et-vient permanent entre la prise en compte des discours en eux-mêmes et celle des processus réflexifs sous-jacents que se construit la démarche d’analyse. Cette interprétation est rendue possible non seulement par l’analyse des logiques à l’œuvre dans chaque entretien singulier mais également en mettant en œuvre une analyse comparative inter-entretiens, qui soutient l’analyse transversale des données recueillies.

Enfin, l’IPA est une méthode idiographique. En effet, la méthode est attachée à l’étude détaillée de l’expérience du cas particulier. Les études IPA sont donc conduites sur des échantillons relativement petits mais conduisent à des analyses méticuleusement détaillées. Ainsi, l’IPA tente de démontrer l’existence et la signification d’un phénomène plutôt que son incidence. L’étude des similarités et des différences entre les participants permet dans un second temps d’approfondir le singulier, ce qui peut mener alors au plus près de l’universalité.

Les modalités pratiques de l’analyse ont donc consisté à réaliser une première lecture, globale du corpus, à partir de laquelle nous avons dégagé des catégories d’analyse, qui reposent à la fois sur le corpus lui-même et sur les orientations problématiques de la recherche. Les catégories ont ensuite été appliquées à l’ensemble du corpus au travers d’une démarche itérative, intra et inter-entretiens, visant à parvenir à une synthèse interprétative satisfaisante au regard des objectifs. L’extraction de ces catégories d’analyse permet d’aboutir

124 à une réduction du corpus, au travers de compte-rendu résumés, d’une part, et à des constats étayés sur des extraits significatifs de la narration, d’autre part.

Plus précisément, les analyses ont été effectuées au travers différentes étapes.

Dans un premier temps, nous avons étudié les contenus sémantiques et l’utilisation du langage, à un niveau exploratoire. Nous avons réalisé, dans ce cadre-là, trois types de commentaires : (1) descriptif (description des contenus de ce que dit le sujet, en restant proche du sens explicite donné par celui-ci) ; (2) linguistique (exploration de l’utilisation spécifique du langage par le participant, que nous avons mis en italique dans le texte) ; (3) conceptuel et interprétatif (à un niveau plus interrogatif et conceptuel, nous avons tenté de mettre à jour l’étendue des significations provisoires, que nous avons souligné en gras dans le texte).

Dans un deuxième temps, nous avons procédé à une réduction du volume d’informations par la recherche de thèmes émergents. Il s’agit ici de réorganiser et de produire des interprétations.

Dans une troisième étape, le chercheur doit tenter de schématiser la manière dont il pense que les thèmes s’accordent les uns avec les autres.

Enfin, il s’agit de traduire les résultats en un compte-rendu narratif qui se base sur les thèmes. Il s’agit de faire ressortir les éléments importants en les expliquant, en les illustrant et en les interprétant. Nous proposons en annexe un exemple de compte-rendu (cf. A8)

Les Perspectives Temporelles constituant notre variable à expliquer, l’analyse interprétative phénoménologique a été effectuée sur quatre sujets, sélectionnés sur la base de leur représentativité au sein des classes d’énoncés fournies par l’analyse Alceste telle qu’elle a été appliquée au sous-corpus « Perspectives Temporelles » de l’ensemble des entretiens.

Les données empiriques que nous présentons ci-après s’appuient sur les orientations épistémologiques et méthodologiques que nous venons de détailler.

125

Chapitre 6 : Analyse lexicométrique des Perspectives Temporelles,