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Chapitre 3 : Le rôle d’autrui et des comparaisons sociales dans la construction des

3.1.1. Catégorisation sociale et comparaisons sociales

C’est par le processus de catégorisation sociale que les individus appréhendent le découpage de la réalité sociale en différentes catégories et qu’ils distinguent les catégories auxquelles ils appartiennent de celles auxquelles ils n’appartiennent pas, comme le soulignent Tajfel et Turner dans leur définition « subjectiviste » du groupe social. Ce dernier y est défini comme « une collection d’individus qui se perçoivent comme membres de la même catégorie

sociale, partagent quelques engagements émotionnels dans cette définition commune d’eux- mêmes et atteignent un certain degré de consensus à propos de l’évaluation de leur groupe et de leur appartenance à celui-ci » (1986, p.15). Cette définition met en avant le rôle primordial joué

par le processus de catégorisation sociale, assimilée à « un système d’orientation qui crée et

définit la place particulière d’un individu dans la société » (Tajfel, 1972). Les travaux portant sur

la catégorisation sociale, et notamment ceux qui relèvent du « Paradigme des groupes minimaux », ont montré qu’en l’absence d’enjeu objectif et/ou de relation particulière entre groupes ou entre individus, une catégorisation arbitraire des sujets suffisait à faire apparaitre un biais de favoritisme systématique en faveur du groupe d’appartenance (Tajfel, Billig, Bundy & Flament, 1971). Tajfel va se référer à la théorie de la comparaison sociale de Festinger (1954) pour expliquer ce constat : selon cet auteur, dans la vie sociale, l’individu est motivé non seulement à acquérir une perception claire de ses capacités mais également à se positionner de manière avantageuse par rapport à autrui. La théorie de la comparaison sociale part du postulat selon lequel les individus ont tendance à se comparer aux autres dans le but d’évaluer ce qu’ils font eux-mêmes, et désigne donc le processus par lequel le sujet évalue ses opinions et ses aptitudes en se référant à autrui. Cependant, les sujets ne possèdent pas toujours de base objective (c’est-à-dire qu’ils ne peuvent parfois pas se référer à la « réalité physique ») pour évaluer la pertinence de leurs opinions ou certaines de leurs capacités. Dans ce cas, ils n’ont pour seul élément de comparaison que la « réalité sociale », le consensus. Cette activité de comparaison à autrui revêt différentes fonctions : tout d’abord, elle permet à l’individu d’être sûr que ses opinions, croyances, aptitudes sont correctes ou partagées par la majorité de ses pairs. En ce sens, elle répond donc à un besoin d’exactitude ou de « vérité » et de confirmation de ses propres

69 points de vue. La comparaison sociale permet également à l’individu de se rapprocher de celles et ceux qui lui ressemblent à l’endroit de dimensions qu’il juge importantes, et répond ce faisant à un besoin d’affiliation, de cohésion sociale dont la satisfaction permettra de faciliter la réalisation du besoin de « vérité ». Il existe trois formes de comparaisons sociales, endossant chacune une fonction différente pour l’individu et prenant place dans des contextes eux aussi différents. Une première forme de comparaison, dite « ascendante», consiste à se comparer à des personnes que l’on estime légèrement supérieures à soi. Ce type de comparaison, particulièrement pertinent dans un but de perfectionnement personnel, constitue un moteur pour la motivation, pour la mise en place de buts et peut-être également une source de valorisation de soi puisque, sans se percevoir comme supérieur à sa cible, l’individu pense tout de même posséder le potentiel nécessaire pour pouvoir le devenir (Collins, 1996). La comparaison « descendante », elle, correspond au fait, pour une personne, de se comparer à des individus jugés comme étant légèrement inférieurs. Ce type de comparaison a une fonction de valorisation ou de revalorisation de soi (Wills, 1981) : elle ragaillardit l’estime de soi par le jeu de comparaisons favorables à plus faible ou désavantagé que soi. Ce processus descendant permet de mieux accepter son sort en le comparant au sort de personnes jugées moins bien loties que soi. La comparaison dite « latérale », enfin, au sein de laquelle l’individu se compare à une personne ou à un groupe qu’il juge identique ou proche de lui-même dans le domaine de la comparaison, permettra d’évaluer, de façon pertinente, ses propres performances, mais aussi de conforter le sujet dans ses opinions et ses croyances : en effet, comparer ses propres positions avec celles de personnes jugées « valables » et qui partagent de surcroit la même vision que soi permettra de se sentir légitime : puisque mon opinion est partagée par d’autres, c’est qu’elle est « vraie ».

Festinger désignera sous le terme de « champ de comparaison » l’ensemble des individus auxquels le sujet peut potentiellement se comparer. A partir de ce champ de comparaison, l’individu opérera un redécoupage pour ne finalement plus se comparer qu’aux individus qui lui sont le plus semblables. Ce « champ de référence », choisi par l’individu, ne représente donc pas l’ensemble de la communauté mais correspond le plus souvent au groupe de référence (et plus exactement aux individus qui ont des opinions et aptitudes proches des siennes). Le processus de comparaison sociale repose donc sur l’évaluation que les sujets font de leur situation par rapport à des catégories de référence, des « autrui » socialement significatifs pour les personnes. Ces comparaisons ont une fonction identitaire, puisque comme le soulignent de nombreux auteurs, elles participent à l’édification du « sentiment d’identité » par le jeu de l’assimilation ou de la

70 différenciation à l’autre. Bien que se limitant à un niveau d’analyse interindividuel, les travaux de Festinger vont inspirer Tajfel qui, en adaptant ceux-ci aux relations intergroupes, va établir la base motivationnelle de la théorie de l’identité sociale. Cette perspective comparative sera celle qui fera le lien entre la théorie de la catégorisation sociale et celle de l’identité sociale.