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Traitement du cancer colorectal métastatique par chimiothérapie chronomodulée

Dans le document CHRONOTHEPARIE ET ANTICANCEREUX (Page 141-148)

Gemcitabine IV. On note une perturbation plus importante des deux rythmes par l'administration de ce médicament à ZT 23 [Hours After Light Onset, HALO] (fin de

XI. Exemples de chronothérapie des cancers

1. Traitement du cancer colorectal métastatique par chimiothérapie chronomodulée

Le cancer colorectal est la seconde cause de mortalité par cancer. Jusqu’aux années 1990, les chimiothérapies conventionnelles à base de 5-FU et d’acide folinique (5-FU-AF) ne faisaient régresser de moitié la taille des métastases (réponse tumorale) que chez 10 à 20 % des patients et moins de 5 % des patients étaient en vie au-delà de trois ans273. Les protocoles de chronothérapie qui ont alors été mis en place ont associé des perfusions chronomodulées de 5-FU et d’AF et éventuellement d’oxaliplatine à des heures précises de la journée ou de la nuit. Ainsi, l’activité de l’oxaliplatine dans le cancer colorectal a été initialement mise en

évidence au cours du développement de la chronothérapeutique274. Le débit maximal de

perfusion du 5-FU-AF était programmé durant la phase de sommeil, à quatre heures du matin et celui de l’oxaliplatine à 16 heures, en se fondant sur l’extrapolation à l’Homme des données obtenues chez les animaux de laboratoire. Chaque cycle de traitement durait quatre ou cinq jours et était renouvelé toutes les deux à trois semaines. La tolérance, les intensités de dose et l’efficacité antitumorale de ces schémas chronothérapeutiques ont été évalués dans des essais de phase I, II et III, qui ont, au total, enregistré plus de 2000 patients atteints de cancer colorectal275, 276. Dans un premier essai de phase II réalisé à l’hôpital PaulBrousse, 93 patients, dont 46 préalablement traités par une autre chimiothérapie ont reçu l’association chronomodulée de 5-FU-AF et d’oxaliplatine pendant cinq jours toutes les trois semaines (chronoFLO5 — F, 5-FU ; L, leucovorine ou AF ; O, oxaliplatine). Ce traitement a entraîné un taux de réponses tumorales de 58 %, soit quadruple de celui produit alors par les chimiothérapies conventionnelles, pour la plupart à base de 5-FU-AF en bolus ou en perfusion courte pendant cinq jours toutes les trois à quatre semaines274. Deux études randomisées multicentriques européennes ont ensuite comparé ce schéma de chronothérapie à une perfusion constante de ces trois mêmes médicaments aux mêmes doses pendant cinq jours. Les perfusions chronomodulées de 5-FU-AF et d’oxaliplatine ont produit un taux de réponses tumorales de 53 % dans le premier essai et de 51 % dans le second. Ces taux étaient

respectivement de 32 % et de 29 % chez les patients recevant une perfusion constante des mêmes agents. Dans les deux essais, les différences étaient statistiquement significatives277. De plus, en comparaison de la perfusion constante, la chronothérapie a permis de réduire de cinq fois l’incidence de mucites sévères, en rapport avec le 5-FU, de diviser par deux l’incidence de neuropathie périphérique sensitive avec retentissement fonctionnel et de réduire de trois fois l’incidence de toxicités de grade 4 nécessitant une hospitalisation (Figure 29). Ainsi, l’amélioration de la tolérance à la chimiothérapie s’accompagnait d’une meilleure activité antitumorale, avec une prolongation de la survie dans le premier essai, mais non dans le second277. La bonne tolérance à la chimiothérapie chronomodulée a conduit à en augmenter l’intensité de dose dans le but d’améliorer encore l’efficacité. Une intensité de dose supérieure de 33 % a ainsi pu être obtenue en administrant la chimiothérapie chronomodulée pendant quatre jours toutes les deux semaines (chronoFLO4). Ce nouveau schéma a fait l’objet de plusieurs essais cliniques de phase II, qui ont mis en évidence un accroissement apparent du taux de réponses à 66 % et de la survie médiane à 18,5 mois276. Ces résultats se situaient parmi les meilleurs jamais rapportés chez des patients atteints de cancer colorectal métastatique traités dans le cadre d’essais multicentriques.

Figure 31: Principales étapes du développement de la chronothérapeutique des cancers colorectaux métastatiques par l’association de 5-fluorouracile (5-FU)-acide folinique

(AF) et d’oxaliplatine (l-OHP) et apport récent de la modélisation mathématique. a : développement chronothérapeutique expérimental et clinique ; b : modélisation de la

cytotoxicité du 5-FU fondée sur l’automate cellulaire. Panneau de gauche : mortalité cumulée au cours des cinq premiers jours du traitement pour quatre schémas chronomodulés à des temps d’administration différents. L’administration à 04 : 00

donne la meilleure tolérance. Panneau de droite : comparaison de schémas chronomodulés dont les pics ont lieu à quatre heures ou à 16 heures et d’une perfusion

constante. Ces deux dernières modalités sont équitoxiques. La tolérance de la chronomodulation du 5-FU avec un pic à 04 : 00 est nettement meilleure. Ces résultats

Afin de préciser le rôle du moment du pic de perfusion chronomodulée sur la tolérance à l’association chronoFLO4, un essai clinique a évalué la toxicité précoce de ce schéma, selon que les pics de perfusion avaient lieu à quatre heures pour le 5-FU-AF et à 16 heures pour l’oxaliplatine ou trois heures plus tôt (01 : 00 et 13 : 00, respectivement) ou trois heures plus tard (07 : 00 et 19 : 00, respectivement) ou six heures plus tôt ou plus tard ou neuf heures plus tôt ou plus tard ou décalés de 12 heures (16 : 00 et 04 : 00, respectivement). Cet essai a inclus 114 patients atteints de cancer colorectal métastatique, tous antérieurement traités. L’incidence de toxicités sévères après deux cycles était de 16,7 % chez les patients traités selon la modalité de référence ou celle dont les pics survenaient trois heures plus tôt et de 80 % chez ceux traités selon la modalité opposée. Cette étude a permis de calculer les horaires optimaux des pics de perfusion et leurs limites de confiance pour une sécurité statistique de 90 %, soit 03 : 57 [23 : 30 à 09 : 36] pour le 5-FU-AF et 15 : 57 [11 : 30 à 21 : 36] pour l’oxaliplatine276. Ces résultats ont été confirmés dans une étude indépendante, associant 5-FU-AF chronomodulés et carboplatine chronomodulé chez 45 patients atteints de cancer du poumon. Ceux-ci ont reçu la modalité de référence (pics de perfusion à quatre heures pour 5-FU-AF et à 16 heures pour carboplatine) ou avec les pics de perfusion neuf heures plus tôt ou plus tard. Ici, la toxicité hématologique était significativement moindre chez les patients traités selon la modalité de référence276.

La sévérité de la toxicité est ainsi semblable pour une perfusion constante et une perfusion chronomodulée à l’horaire opposé à l’horaire optimal. La Figure 29a montre le développement chronothérapeutique expérimental et clinique :

 les expérimentations chronopharmacologiques sont réalisées chez les souris mâles, dont le système circadien est synchronisé par 12 heures de lumière et 12 heures d’obscurité. La tolérance et l’efficacité antitumorale du 5-FU sont supérieures après administration le jour, vers le milieu de la phase de repos. Pour le l-OHP, la tolérance et l’efficacité sont optimisées par une administration la nuit, pendant la phase d’activité de l’animal275;

 l’extrapolation de ces données à l’homme conduit à recommander une perfusion sinusoïdale sur 12 heures avec :

 pour le 5-FU-AF, un pic nocturne à 04 : 00 pendant la phase de repos,

 pour le l-OHP, un pic diurne à 16 : 00, pendant la phase d’activité. Ce schéma chronomodulé (chronoFLO5) est évalué dans un essai de phase II, réalisé chez 93 patients atteints de cancer colorectal métastatique, qui démontre une bonne tolérance et quadruple l’activité antitumorale en comparaison des traitements conventionnels274;

 deux essais randomisés menés chez 278 patients atteints de cancer colorectal métastatique comparent chronoFLO5 à une perfusion constante de cinq jours des mêmes médicaments aux mêmes doses. ChronoFLO5 se révèle cinq fois moins toxique et près de deux fois plus efficace que la perfusion constante277. Un troisième essai évalue le rôle de l’heure du pic de perfusion chronomodulée sur la toxicité précoce après deux cycles chez 114 patients. Huit schémas chronomodulés sont ainsi étudiés. Le schéma optimal (5-FU-AF à 04 : 00 et l-OHP à 16 : 00) produit cinq fois moins de toxicités sévères que le schéma dont les pics de perfusion sont décalés de 12 heures (5-FUAF à 16 heures et l-OHP à quatre heures)276.

Cette similitude est bien expliquée par une modélisation mathématique « simple » appelée automate cellulaire. Celle-ci prend en compte les probabilités de transition de phase du cycle cellulaire, le contrôle de la transition de la phase G2 vers la phase M par l’horloge circadienne (via WEE1) et la mort des cellules en phase S lorsque celles-ci sont exposées au 5-FU (Figure 29b)278.

Les études chronothérapeutiques ont joué un rôle essentiel dans le développement d’une nouvelle stratégie médicochirurgicale à visée curative chez les patients atteints de cancer colorectal métastatique. En effet, dès le premier essai de chronothérapie par chronoFLO5, certains patients dont les métastases hépatiques initialement jugées inopérables régressaient sous traitement pouvaient bénéficier d’une résection chirurgicale des lésions cancéreuses résiduelles274. Ainsi dans une cohorte de 151 patients atteints de métastases hépatiques inopérables de cancer colorectal traités par chronoFLO, une hépatectomie partielle a pu être réalisée chez 77 d’entre eux, grâce à une réponse tumorale parfois spectaculaire. Parmi ceux-ci, 50 % étaient en vie à cinq ans279. Ces résultats illustrent que la chronothérapie, seule ou intégrée dans une stratégie médicochirurgicale, améliore l’index thérapeutique de la chimiothérapie du cancer colorectal métastatique. Ces résultats ont été confirmés avec un

Afin d’évaluer l’impact de la chronothérapie sur la survie, le Chronotherapy Group a réalisé un essai clinique international dans le cadre de l’Organisation européeene de recherche et de traitement des cancers (EORTC). Cet essai a inclus 564 patients atteints de cancer colorectal métastatique qui ont été enregistrés dans 36 centres de dix pays. Cet essai pragmatique a comparé les deux schémas les plus actifs associant 5-FU-AF et oxaliplatine. Ces médicaments étaient administrés au voisinage de la dose maximale tolérée par chaque patient, selon un protocole codifié de modifications de doses. L’administration chronomodulée de 5-FU-AF et d’oxaliplatine pendant quatre jours (chronoFLO4) était ainsi comparée à une perfusion constante de 5-FU pendant 22 heures aux jours 1 et 2, une perfusion constante d’oxaliplatine pendant deux heures au jour 1, avant le début du 5-FU, et une perfusion de deux heures d’AF au jour 1, contemporaine de l’oxaliplatine et au jour 2, 24 heures plus tard (FOLFOX2)281. Aucune différence statistiquement significative de survie n’a été mise en évidence en fonction du schéma thérapeutique. Le profil de toxicité principale était très différent selon la modalité : hématotoxicité pour FOLFOX2 et diarrhée pour chronoFLO4. L’analyse a révélé que le sexe des patients était l’unique facteur qui permettait de prévoir le schéma de traitement le plus efficace, en termes de survie sans progression et de survie globale, et ce, indépendamment des autres facteurs pronostiques (p = 0,001). Ainsi, chez les 226 femmes de cet essai, le risque relatif de décès précoce était accru de 38 % sous chronoFLO4, en comparaison de FOLFOX2, avec des médianes de survie respectives de 16,3 et 19,1 mois (p = 0,03). Au contraire, chez les 338 hommes participant à l’étude, ce risque relatif était réduit de 25 % sous chronoFLO4 en comparaison de FOLFOX2, avec des médianes de survie respectives de 21,4 et 18,3 mois (p = 0,02). Ainsi, le schéma chronomodulé a produit un avantage de survie significatif en comparaison du schéma standard FOLFOX chez les hommes, mais non chez les femmes (Figure 30)281.

Figure 32: Rôle du sexe dans la survie des patients traités par 5-FU-AF et oxaliplatine chronomodulés (chronoFLO4) pour cancer colorectal métastatique (essai international

de phase III).

Plusieurs hypothèses font actuellement l’objet d’études complémentaires, afin de mieux comprendre la relation entre sexe et schéma optimal de perfusion de l’association 5-FU-AF et oxaliplatine. Ainsi, dans cet essai, les femmes ont présenté davantage de toxicité que les

hommes281. De même, dans l’essai avec décalages des heures des pics de perfusion

précédemment rapporté, l’incidence de toxicités sévères était double chez les femmes en

comparaison des hommes recevant chronoFLO4, avec des pics à différents horaires276. De

plus, le profil circadien de tolérance était quasi-sinusoïdal chez les hommes, mais amorti et irrégulier chez les femmes276. Dans le modèle expérimental, la survenue d’une toxicité sévère de la chimiothérapie a été associée à une altération du système circadien253, 267. Il est donc possible qu’une toxicité excessive chez les femmes provoque une disruption du système circadien et rende la chronothérapeutique inopérante. La toxicité supérieure observée chez les femmes est aussi en rapport avec une diminution de la clairance plasmatique du 5-FU, dont le

transcriptome circadien de la muqueuse buccale humaine révèle que seulement 10 % des gènes transcrits de façon rythmique sur 24 heures sont communs aux hommes et aux femmes.282 De plus, plusieurs données de la littérature révèlent des différences liées au sexe dans l’expression de plusieurs gènes du cycle de division cellulaire ou de la réparation des lésions de l’ADN dans la tumeur primitive du côlon ou du rectum. Récemment, le phénotype prolifératif du cancer colique humain a été associé à une moindre expression des gènes de l’horloge Per1, et ce, de façon plus marquée chez les femmes que chez les hommes2.

Il pourrait ainsi exister des différences importantes liées au sexe dans les gènes de l’horloge et/ou dans les gènes contrôlés par l’horloge circadienne. Leur identification permettra d’orienter le développement de schémas chronomodulés de chimiothérapie ou de stratégies de traitement mieux adaptés aux patients et, en particulier, aux femmes souffrant de cancer colorectal.

2. Intérêt de la chronothérapie dans le traitement pluridisciplinaire

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