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Les traducteurs acceptent-ils de traduire davantage de textes depuis l’émergence d’Internet ?

ANALYSE DES DONNÉES

L’ANALYSE DU TEXTE DE DÉPART ET DU TEXTE D’ARRIVÉE

1.1.3 Les traducteurs acceptent-ils de traduire davantage de textes depuis l’émergence d’Internet ?

Internet a-t-il modifié la démarche d’évaluation du texte de départ durant l’étape de prise de contact et de négociation avec le client ? L’abondance d’informations en ligne a sans doute une influence sur le délai de remise du travail (dans la mesure où le traducteur a moins besoin de se déplacer pour trouver l’information). Les clients considèrent peut-être que le traducteur peut accéder plus rapidement aux informations puisqu’elles sont souvent en ligne, et lui accordent des délais moins longs que par le passé.73

D’après la majorité des répondants (77 sur 99, soit 77,7%), les clients accordent des délais plus courts depuis l’émergence d’Internet car

73 Ces questions ont été traitées dans la phase-pilote des entretiens et des questionnaires, dans trois séries d’entretiens et dans deux séries de deux questionnaires qui ont respectivement abordé la question du rôle d’Internet dans l’activité traduisante et l’identification des problèmes du texte de départ (soit 110 traducteurs).

ils considèrent que le traducteur n’a plus de problèmes d’accès à l’information. Notons le commentaire suivant :

Aujourd’hui, aucun client n’accepterait d’attendre que vous ayez trouvé le livre ou la personne compétente pour effectuer la traduction.

La négociation du délai a sans doute pris une plus grande importance depuis le développement des outils multimédia. Pendant un entretien, un interlocuteur a expliqué qu’aujourd’hui, le délai et le coût de la traduction l’emportaient sur la qualité :

La recherche documentaire est souvent remise en question en raison de ces problèmes de délais et également de coût puisque les clients essaient de tirer les prix au plus bas et semblent choisir des traducteurs mauvais et pas chers qui

« cracheront » des milliers de mots en un temps record. La devise actuelle semble être « vite fait, mal fait et le client est content », devise que je ne partage pas évidemment. Le client ne va pas vous demander en premier lieu si vous êtes compétent mais si vous acceptez de baisser vos prix.

Ce propos rappelle le point de vue de certains selon lequel le client n’a souvent aucune connaissance de ce qu’est le métier de traducteur professionnel (Robinson 1997 ; Reeves-Ellington 1998). Nous verrons plus loin si le travail du traducteur est plus facile quand une relation de confiance s’installe.

A la lecture des réponses que nous ont données les traducteurs, nous nous sommes demandé si Internet n’avait pas eu des effets plus profonds. Par exemple, les traducteurs ont sans doute moins de réticences à accepter des textes plus techniques.

Pour une partie des répondants (66,6%, soit 72 sur 108), cet outil permet d’accepter des textes plus techniques (des textes qu’ils n’auraient pas acceptés avant). Ceci donne à penser qu’Internet a changé le comportement du traducteur quand il doit prendre la décision d’accepter ou de refuser un travail. Un traducteur précise :

Le champ d’action des traducteurs s’est probablement élargi ces derniers temps au sens où ils peuvent apprendre à maîtriser plus facilement de nouveaux

« domaines », à condition de pouvoir sélectionner les sources selon leur

pertinence, leur fiabilité, mais aussi leur qualité rédactionnelle. Dans certains cas, quand on maîtrise la recherche d’information sur Internet, on a accès à une terminologie ou du moins, à un vocabulaire « standardisé ».

D’autres répondants (36 sur 108, soit 33,4%) n’acceptent pas des textes plus techniques depuis qu’ils utilisent Internet. Ci-dessous les propos de quelques traducteurs :

1) Pour traduire un site Web de voyages, il est indéniable qu'Internet est un outil très utile. Pour un document médical, je n'irai certainement pas me baser sur des pages Web (où l'on a généralement accès uniquement à des sites de vulgarisation ou commerciaux).

2) Il faut maîtriser le sujet et la terminologie au départ. Internet est une aide, mais étant donnés les délais accordés au traducteur, il n’est pas possible de se former à un sujet très technique pendant le temps consacré à la traduction. De plus, le temps passé à faire des recherches terminologiques sur Internet (ou sur d'autres sources) n'est souvent pas facturé ; le client n'est pas prêt à payer car il s'attend à ce que le traducteur qu'il choisit soit déjà spécialisé dans son domaine.

3) Personnellement, la seule chose qui m'ait incité à accepter des textes plus techniques a été l'élargissement progressif de mon expérience et de mes compétences, avec l'aide sans aucun doute d'Internet.

Dans le premier propos, le traducteur accepte un travail en fonction du domaine de spécialité en rapport au texte de départ car Internet ne propose pas toujours des sources fiables dans certains domaines ; pour ce répondant, l’attrait d’Internet diminue quand le sujet est très technique.

Dans les deux autres propos, l’expérience permet plus facilement de prendre une décision et fait que ces deux traducteurs considèrent moins Internet comme un outil capable de régler tous les problèmes. Précisons que les trois traducteurs cités ci-dessus sont spécialisés dans des domaines techniques reposant sur un vaste ensemble de concepts constitués (deux en médecine et un en aéronautique). Un spécialiste, et à fortiori un traducteur, ne peuvent prétendre connaître tous les sous-domaines de ces disciplines. Peut-on alors dire que pour accepter un travail, les traducteurs spécialisés dans des domaines moins « vastes » que la médecine ou l’aéronautique s’appuient davantage sur le potentiel d’Internet en terme de complétude d’informations que sur leur niveau de connaissances ?

Nous constatons que les traducteurs plus expérimentés ont davantage de réticences à accepter des textes très techniques ; nous ne leur avons pas posé la question mais avons regardé l’expérience des répondants en fonction des réponses à la question posée sur la technicité du texte. Les traducteurs qui ont davantage de réticences à accepter des textes très techniques ont en moyenne 15,8 années d’expérience contre 11 en moyenne pour ceux qui acceptent plus volontiers de traduire des textes plus techniques. Ceci donne à penser qu’avec l’expérience, les traducteurs s’appuient davantage sur leur niveau de connaissances pour prendre leur décision et sont moins sensibles aux possibilités qu’offre Internet. Pour les traducteurs moins expérimentés, cet outil permet davantage de résoudre les problèmes du texte de départ et de pallier les faiblesses de leur base de connaissances.

Internet a des effets plus profonds que le simple fait d’accepter des textes plus techniques. Une partie des répondants (58,3%, soit 63 sur 108) ont précisé que depuis qu’ils utilisent Internet, ne pas être totalement spécialiste d’un domaine est un facteur moins déterminant quand ils décident d’accepter ou de refuser un travail. Cette opinion est révélatrice ; l’émergence d’Internet contribue progressivement à accorder moins d’importance aux connaissances préexistantes du traducteur et à privilégier la facilité d’accès à l’information. Le potentiel d’un outil prend le pas sur des critères qui relèvent du profil même du traducteur. Peut-on alors imaginer qu’à l’avenir, les seules possibilités d’Internet permettront d’accepter des textes que seul un traducteur spécialisé dans le domaine pouvait auparavant accepter ? Gardons à l’esprit que pouvoir trouver des informations en nombre ne veut pas dire que le traducteur sera capable de comprendre et d’évaluer la fiabilité des sources qu’il a trouvées. Ces problèmes sont encore plus évidents s’il a accepté un texte très spécialisé parce qu’il utilise Internet mais que ses connaissances sur le sujet sont très faibles.