• Aucun résultat trouvé

Stratégies destinées à pallier le manque de documents

ANALYSE DES DONNÉES

LES SOURCES DOCUMENTAIRES

3.1 L’existence des sources documentaires

3.1.3 Stratégies destinées à pallier le manque de documents

Quelles sont les stratégies des traducteurs de LPR pour pallier le manque de sources écrites dans des LPR ? Pour aborder cette question, nous leur avons demandé s'ils utilisaient davantage de documents écrits dans des langues plus répandues (3.1.3.1), s'ils étaient obligés d’utiliser des documents dans une langue tierce138 pour trouver des équivalents (3.1.3.2) et si le manque de documents les poussait à créer des termes dans la langue d’arrivée (3.1.3.3).139

3.1.3.1 Usage de la langue la plus courante

Les traducteurs de LPR ayant participé à notre travail utilisent-ils davantage de documents écrits dans la langue la plus répandue ? Par exemple, un traducteur qui traduit un texte de l’arabe vers le français utilisera sans doute davantage de sources écrites en français. Nous avons abordé cette question en nous appuyant sur ce que constate Daniel Gile au sujet de la traduction japonais-français ; d’après lui, dans cette combinaison linguistique, le traducteur utilise « sensiblement plus de documents en langue d'arrivée qu'en langue de départ » (1984 : 290).

137 danois, finnois, norvégien et suédois

138 Une langue qui est ni la langue de départ, ni la langue d'arrivée

139 Ces questions ont été étudiées dans deux séries d’entretiens et dans deux séries de questionnaires envoyés aux traducteurs de LPR (35 répondants au total).

Une partie des répondants (20 sur 35, soit 57,1%) ont expliqué qu’ils n’adoptent pas cette stratégie car l’acquisition de connaissances doit se faire à partir de documents écrits dans la langue de départ, et ce même s’il s’agit d’une LPR. Cet avis rejoint ce que Daniel Gile préconise en disant que lorsque le traducteur acquiert des connaissances terminologiques, la source de départ peut être un texte rédigé dans la langue de départ (du texte de départ) et la source d’arrivée, un texte écrit dans la langue de reformulation (1995 : 142). Un répondant qui traduit du grec vers le français a souligné qu’il s’efforçait de chercher des documents écrits en grec même si les sources étaient peu nombreuses ; si le français est la langue d’arrivée, il essaie de consulter des documents en français afin de trouver un équivalent. Les répondants qui utilisent davantage de documents rédigés dans la langue la plus courante (15 sur 35, soit 42,9%) ont précisé que cette démarche évitait de perdre trop de temps à chercher des documents écrits dans la LPR. D’après un traducteur dont les langues de travail sont le polonais et le français (langues passives et langues actives), les sources écrites en polonais sont parfois tellement peu nombreuses que consulter des documents en français devient obligatoire.

Les traducteurs ont-ils des opinions différentes sur cette démarche en fonction de leur langue de travail ? Il est apparu que les traducteurs de langues nordiques140 n’ont pas d’avis tranché sur la question, ce qui donne à penser que ces langues souffrent moins d’un manque de documents que les autres LPR. Le manque est plus important pour les documents écrits dans des langues à caractères non latins141 puisque la majorité des traducteurs de ces langues (19 sur 26, soit 69,2%) ont dit privilégier la langue la plus courante.

140 danois, finnois, norvégien et suédois

141 arabe, chinois, coréen, grec, japonais, persan et russe

3.1.3.2 L’utilisation de documents écrits dans une langue tierce

La deuxième stratégie dont nous avons parlé dans les questionnaires et pendant les entretiens concerne l’utilisation de documents écrits dans une langue tierce. Pour traiter cette question, nous nous sommes appuyé sur les constatations de Daniel Gile ; dans le cas de la traduction japonais-français, le manque de documents oblige, dans la recherche d’un équivalent, à utiliser des documents écrits dans une langue tierce (1984 : 290). Nous avons voulu savoir si d’autres combinaisons de langues étaient concernées.

Tous les traducteurs de LPR (35 sur 35) ont dit qu’ils utilisaient des documents écrits dans une langue tierce. Pendant un entretien, un interlocuteur a expliqué sa démarche :

Si je ne trouve pas le mot français-danois, je peux aller chercher la traduction français-anglais et ensuite en danois mais ce n’est pas très courant.

Cette stratégie est-elle fréquente et efficace ? La plupart des répondants (24 sur 35, soit 68,5%) ont souligné qu’ils utilisaient peu fréquemment des documents écrits dans une langue tierce parce qu’ils n’avaient pas d’autres langues de travail que le français et leur LPR respective et qu’ils avaient justement des difficultés à consulter des sources écrites en anglais car ils connaissaient moyennement cette langue. Pour une partie des traducteurs de LPR (26 sur 43, soit 60,4%), cette démarche n’est pas efficace. C’est ce qu’a précisé un interlocuteur dont les langues de travail sont le chinois (langue passive) et le français (langue active) :

J’ai toujours eu des problèmes pour trouver des glossaires du chinois vers le français. On est obligé de passer par l’anglais car l’anglais a une avance sur le français. Même au niveau de l’anglais, il y a un manque. Certains domaines sont plus concernés que d’autres, surtout les domaines les plus pointus (comme le nucléaire). On dispose de plus de sources dans l’informatique ou les domaines commerciaux. Le manque concerne plus les sciences et les techniques. Cette démarche est limitée en efficacité, car parfois, on ne dispose pas de traduction en français du mot anglais.

Nous avons aussi voulu savoir si cette démarche prenait du temps.

La plupart des répondants (12 sur 17, soit 70,5%) ont répondu par l’affirmative. Reprenons le commentaire d’un répondant dont les langues de travail sont le finnois et le français (langues passives et langues actives) :

Cette démarche est relativement efficace mais elle est longue et fastidieuse puisqu’il faut faire une double vérification des termes142 (et notamment faire très attention de ne pas glisser d’un domaine à un autre au moment du passage par l’anglais). J’utilise aussi l’anglais pour valider les informations parfois fantaisistes des dictionnaires ou glossaires finnois-français.

La majorité des traducteurs de LPR (22 sur 32, soit 68,7%) ont aussi expliqué qu’ils utilisaient des documents écrits dans une langue tierce pour traduire des TTSS. Ceci suggère que la technicité du terme favorise le manque de sources documentaires et le passage par une langue tierce.

Un traducteur dont les langues de travail sont le chinois (langue passive) et le français (langue active) note :

Cette démarche s’applique surtout pour les termes hyper-spécialisés [TTSS]. Il y a des mots qui apparaissent en chinois et qui vont être traduits d’abord vers l’anglais. C’est pour cette raison que certains mots ne sont pas encore traduits vers le français.

3.1.3.3 Création de termes

Quand il n’existe aucun équivalent dans la langue d’arrivée, le traducteur doit parfois jouer le rôle de terminologue (Sager 1992 : 118).

Nous avons voulu voir si les traducteurs de LPR étaient obligés de créer des termes. D’après 90,9% des traducteurs (30 sur 33), le manque de documents implique un effort de création terminologique. Ces répondants ont souligné que plus que le manque de sources, le vide terminologique justifiait cette démarche. L’un d’eux explique :

Pour faire de la traduction avec le roumain, il faut aussi être terminologue.

Pendant au moins quarante ans, tout s’est arrêté en Roumanie. Ça a fonctionné à

142 Le traducteur en question parle ici d’une vérification dans le sens finnois-anglais et ensuite dans le sens anglais-français.

une vitesse moindre. Maintenant, il y a une avalanche de mots qui n’existaient pas auparavant et qu’il faut inventer.143

Dans des LR, le vide terminologique peut s’exprimer dans des domaines de pointe (Farji-Haguet 1999 : 66) alors que pour certains traducteurs de LPR contactés (21 répondants), des domaines où il y a peu d’évolution technique et scientifique sont aussi concernés.

Vingt traducteurs de LPR ont aussi expliqué que dans la terminologie de la LPR, un terme pouvait être employé en anglais, ce qui permettait de pallier le vide terminologique de la LPR. Un traducteur japonais note qu’il a souvent recours à cette langue car « dans le domaine technique, on utilise énormément de mots anglais phonétiquement ».

D’après lui, cette stratégie a des avantages et des inconvénients :

D’une certaine façon, ça nous facilite la vie. La faiblesse vient du fait que dans la langue japonaise, ce n’est pas toujours très joli de voir ces katakana.144

Les traducteurs de langues nordiques (danois, finnois, norvégien et suédois) et asiatiques (chinois, coréen et japonais)145 ont d’ailleurs tous dit qu’ils étaient obligés de créer des termes dans leur langue pour remplacer le terme en anglais. Un répondant dont les langues de travail sont le danois et le français (langues passives et langues actives) souligne :

Dans le domaine automobile, la création de termes intervient chaque fois qu’il y a un nouveau modèle qui sort car il y a de nouveaux éléments et de nouvelles pièces. Souvent, les mots n’existent pas en danois et les importateurs apportent des corrections car ils préfèrent tel mot. Ils connaissent souvent déjà le terme en anglais et utilisent parfois le mot anglais pour des termes techniques.

Pour trouver un bon équivalent dans la LPR, le traducteur peut parfois profiter de l’aide de son client. Notons l’observation suivante :

143 Ce traducteur traduit du français vers le roumain.

144 Syllabaire japonais utilisé notamment pour transcrire les mots empruntés aux langues étrangères autres que le chinois (http://fr.answers.com/topic/katakana-2)

145 Ces deux catégories de traducteurs représentent 55,7% des traducteurs de LPR que nous avons contactés (29 sur 52).

Je demande au client car on ne peut pas trouver ces mots. Je lui pose des questions. Il me donne une explication en français et après, j’invente un mot en danois.

Même si l’équivalent nouvellement créé peut être tout à fait satisfaisant, il n’en demeure pas moins que cette démarche reste dangereuse car « le traducteur qui invente sa terminologie avec les moyens du bord, sans prendre la peine de se documenter, multiplie les conventions de communication en mettant en circulation des terminologies parallèles. Il en résulte des difficultés accrues de communication » (Dubuc 1980 : 13).

3.1.4 Internet améliore-t-il la situation ? Existence et niveau de