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Le manque de connaissances du traducteur et les spécificités du texte technique

L’ACQUISITION DE CONNAISSANCES

L’ACTIVITÉ TRADUISANTE DU TRADUCTEUR TECHNIQUE

2.3 La base de connaissances du traducteur

2.3.2 Le manque de connaissances du traducteur et les spécificités du texte technique

Les difficultés du traducteur ne s’expliquent pas seulement par son absence de formation dans un domaine technique ; le texte technique a aussi des particularités stylistiques et terminologiques qui lui compliquent la tâche.

Les linguistes se sont beaucoup intéressés aux particularités du texte technique, que ce soit par le biais de l’étude syntaxique (Ihle-Schmidt 1983 ; Spillner 1983 ; Loffler-Laurian 1986), structurelle (Hoffmann 1976) ou lexicale (Kocourek 1991) des textes qui en réfèrent. La cohésion des textes techniques, la typographie, les signes de ponctuation ou les idéogrammes utilisés dans les textes techniques ont aussi été étudiés (voir Kocourek 1991). Certains auteurs expliquent que sur le plan rédactionnel, il peut exister un style de rédaction technique, comme l’usage répété de segments, de locutions et de dénominations syntagmatiques (voir Koutsivitis 1990 ; Candel et Lafon 1994). Les travaux sur le texte technique ont aussi eu pour cadre les études sur la langue de spécialité ; des auteurs comme Rostislav Kocourek (1991), Pierre Lerat (1995) ou Christian Balliu (2001) considèrent que la langue de spécialité est utilisée pour transmettre une information relevant d’un champ d’expérience particulier tandis que d’autres comme François Gaudin (1995) pensent

qu’il n’y pas une langue de spécialité pour chaque discipline car on ne peut pas considérer les langues de spécialité comme des entités à part, la langue ne fonctionnant pas d’après une vue de l’esprit. Les définitions de la langue de spécialité retiennent aussi la notion de variété de la langue et la fonction linguistique de communication (voir Galisson et Coste 1976 ; Sager et al. 1980 ; Ihle-Schmidt 1983). Si un certain nombre de linguistes sont d’accord avec ces définitions, les avis divergent sur ce qui fait la spécificité de la langue de spécialité par rapport à la langue au sens large du terme que nous appelons « langue non spécialisée » (par exemple, le français ou l’anglais). Certains auteurs considèrent qu’on ne peut pas séparer la langue de spécialité de la langue non spécialisée (voir Balliu 2001 et Gross et Mathieu-Colas 2001) alors que pour d’autres, les différentes langues de spécialité ont une influence mutuelle car la terminologie d’une discipline s’enrichit à partir d’une autre (voir Gémar 1991 et Gaudin 1995).

Le texte technique a aussi intéressé les traductologues ; cette question est l’un des principaux centres d’intérêt des études sur la traduction technique. De nombreuses études ont décrit la terminologie de disciplines comme la médecine (Gross et Mathieu-Colas 1994 ; Sournia 1994 ; Jammal 1998) ou le droit (Gémar 1991 ; Groffier 1990 ; Harvey 2002) et ont étudié, à travers le vocabulaire, les difficultés de la traduction médicale (Rouleau 1993 ; Jammal 1999 ; Maniez 2001 ; van Hoof 2001) et juridique (Gémar 1980 ; Harvey 2000 ; Koutsivitis 1990). Certains traductologues expliquent que les textes spécialisés sont souvent rédigés en anglais par des auteurs non anglophones qui ne maîtrisent pas forcément cette langue (voir Gile 1986a et Martin-Valiquette 1986 à propos de la traduction médicale) et que les spécialistes n’accordent pas beaucoup d’importance à leur expression (voir Rodriguez 2002 à propos de la traduction financière et González-Davies 1998 à propos de la traduction médicale).

Même si le texte de départ est mal rédigé, le traducteur doit produire un texte clair et lisible, qui soit fidèle à l'original sans être contaminé par la langue de départ. Pour ré-exprimer le message dans la langue d’arrivée, le traducteur doit comprendre ; or, cette compréhension dépend dans une mesure non négligeable non seulement du contenu sémantique du discours, mais de la familiarité du récepteur avec certaines de ses caractéristiques linguistiques (Gile 1990 : 21). Afin de comprendre, le traducteur se sert de ses connaissances linguistiques et extra-linguistiques, mais quand le texte de départ manque de clarté et que les connaissances du traducteur ne permettent pas de surmonter ce problème, l’acquisition de connaissances devient indispensable. Si le traducteur analyse le texte de manière subconsciente quand il n’a pas de problème de compréhension, il procédera en cas de difficultés à une analyse systématique du texte et se servira de ses connaissances linguistiques et extra-linguistiques pour comprendre et cherchera à résoudre le problème en consultant des sources documentaires (Gile 2005 : 111). Les travaux qui ont traité de cette question se sont peu intéressés au manque de clarté des textes de départ dans la traduction professionnelle. Dans le présent travail, nous tentons de voir quels problèmes pose le manque de clarté des textes de départ aux traducteurs qui ont participé à notre étude et cherchons à analyser les démarches qu’ils emploient pour surmonter ces difficultés.

Les traductologues qui ont travaillé sur les textes techniques ont constaté que des facteurs linguistiques posaient des problèmes de traduction. Certaines études admettent que bien souvent, les domaines techniques se caractérisent par un foisonnement terminologique incontrôlé qui est dû à la mise en circulation de terminologies parallèles (voir Loffler-Laurian 1984 ; Sournia 1994 et Jammal 1998 à propos du domaine médical). Jeanne Dancette constate par exemple que dans la grande distribution, des termes nouveaux apparaissent à côté de termes plus anciens pour désigner une réalité à peu près semblable et qu’il est assez difficile de dire si tous ces termes sont de vrais synonymes (1995b : 166).

Dans les domaines où la rapidité d’évolution technique et scientifique est

importante (informatique, médecine, etc.), la mise en circulation de terminologies parallèles est également le résultat des travaux de chercheurs qui veulent mettre en avant leurs découvertes et leur propre terminologie.

Certains traductologues considèrent que le manque d’univocité terminologique crée une concurrence entre les formes complètes et les formes réduites des termes et que le traducteur peut avoir des difficultés à choisir l’équivalent adapté. Par exemple, en informatique, le terme automatic text formatting feature26 compte quatre formes réduites : automatic text formatting, text formatting feature, automatic formatting et text formatting (Mareschal 1989 : 379). Pour d’autres auteurs, la prolifération terminologique implique parfois un vide terminologique27, ce qui oblige le traducteur à créer des termes dans la langue d’arrivée. Les traductologues qui ont abordé cette question sont d’accord pour dire que la création terminologique peut accentuer les ambiguïtés car le traducteur met en circulation une terminologie parallèle, accentuant ainsi les difficultés de communication (voir Dubuc 1980 ; Farji-Haguet 1999 ; terminologues, un terme technique peut être issu du vocabulaire courant et acquérir, dans un domaine particulier, un sens précis et différent de son sens habituel. Dans le présent travail, nous désignons ce type de terme sous l’appellation « Terme Technique Emprunté au Vocabulaire Courant » (TTEVC) ; à l’inverse, nous parlons de « Terme Technique au Sens

26 Ce terme désigne la fonction de mise en page automatique d'un logiciel de traitement de texte.

27 « A une appellation donnée ne correspond aucune appellation dans l'autre langue » (Jammal 1998 : 541).

28 Le traducteur salarié d’une entreprise ou d’une organisation internationale peut toutefois travailler avec des terminologues et des spécialistes (voir De Saint Robert 1989 à propos des traducteurs de l’ONU).

Strict » (TTSS) pour désigner un terme qui appartient à un domaine technique et qui n’est pas polysémique. Prenons comme exemple le terme

« affectation » qui a, par ailleurs, plusieurs acceptions dans un sens général et spécialisé. Dans un sens général, « affectation » désigne quelque chose ou quelqu’un qui destine quelque chose ou quelqu’un à quelque chose quelque part. Dans un sens spécialisé, « affectation » peut désigner, en droit civil, la destination d’un bien à un usage déterminé. En droit du travail, c’est la désignation d’une personne sur un emploi déterminé alors qu’en droit financier, « affectation » désigne le nom de la destination d’une somme d’argent à une dépense déterminée (Lerat 1995 : 95).

Les traductologues expliquent que la polysémie et l’ambiguïté des termes posent des problèmes de compréhension au traducteur. Certains ont étudié cette question en prenant exemple sur des termes médicaux comme action, effect, potency ou effectiveness (voir Albin 1988 ; Rouleau 1993), financiers comme assets, money, property, income, profit ou earnings (voir Gerzymisch-Arbogast 1988). Pour illustrer les difficultés de traduction que peuvent poser ces termes, prenons comme exemple le terme juridique « faute ». Une recherche dans un dictionnaire juridique bilingue français-allemand29 permet de se rendre compte du nombre d’équivalents proposés en allemand30 (Fehler, Schuld, Verschulden, Vertretenmüssen, Vorsatz, Fahrlässigkeit, schuldhaftes Handeln, Pflichtverletzung, Felherverhalten, Versagen, Verfehlung, Verstoss, schuldhaftes Verhalten). Le traducteur qui traduit un texte juridique du français vers l'allemand sera embarrassé devant le nombre d'équivalents présents dans ce domaine. Les treize équivalents proposés ne sont bien sûr pas tous adaptés au même contexte et le traducteur doit choisir un équivalent adapté à la situation du texte qu’il est en train de traduire. Par exemple, les deux premières traductions que donne le dictionnaire sont très générales ; en allemand, Fehler (une faute d'orthographe, par

29 Potonnier, Brigitte (1990) Wörterbuch für Wirtschaft, Recht und Handel. Tome II. Brandstetter.

Wiesbaden. 1678 p.

30 Nous n'avons pas pris en compte les dérivés de « faute », comme « faute administrative »,

« faute collective », « faute concurrente », « faute contractuelle », etc.

exemple) et Schuld (dans le sens « d’être responsable de quelques chose ») désignent aussi la notion de faute dans un contexte non spécialisé.

Les auteurs qui ont parlé de la traduction des termes ont bien décrit les problèmes qu’ils posaient mais peu ont demandé à des traducteurs professionnels quelles étaient leurs stratégies pour les traduire. Dans la présente thèse, nous analysons les stratégies de traduction des termes en faisant la distinction entre les TTEVC et les TTSS ; nous essayons de voir si la démarche est fonction du type de terme, du temps dont le traducteur dispose, de son expérience ou encore de sa formation.