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La phase de relecture comme étape révélatrice de difficultés sous-jacentes

ANALYSE DES DONNÉES

L’ANALYSE DU TEXTE DE DÉPART ET DU TEXTE D’ARRIVÉE

1.5 La phase de relecture comme étape révélatrice de difficultés sous-jacentes

Les différentes étapes de lecture et la recherche documentaire permettent de repérer des difficultés que le traducteur n’avait pas identifiées. L’étape de relecture le permet-elle également ?87

A la relecture, le traducteur est face à un texte qu’il a reformulé dans la langue d’arrivée. En théorie, il a résolu à ce moment-là les problèmes posés par le texte mais il peut « vérifier la fidélité et l’acceptabilité rédactionnelle d’un groupe d’unités de traduction et modifier éventuellement l’énoncé en conséquence » (Gile 1993 : 74). Nous avons demandé aux répondants ce qui faisait la finalité de cette étape de relecture. Tous (75 sur 75, soit 100%) ont d’abord expliqué qu’ils avaient plus de recul sur le texte d’arrivée. La relecture permet de se rendre compte de certains problèmes qui échappent aux étapes précédentes du processus de traduction.88

La majorité des répondants (59 sur 80, soit 73,7%) ont ajouté qu’en relisant le texte d’arrivée, ils se focalisaient sur des problèmes résiduels et que la relecture permettait de faire apparaître sous un jour nouveau les problèmes restants. Deux d’entre eux notent :

1) Ça peut arriver de s’apercevoir que le texte d’arrivée pose des problèmes qui n’étaient pas apparus auparavant ; on peut accrocher sur un terme en se disant que ce n’est pas tout à fait ça. Au fil du texte, je m’en aperçois. Le texte d’arrivée met en lumière certaines faiblesses. En ce qui concerne les termes, les problèmes peuvent se situer au niveau stylistique.

87 Cette question a été abordée pendant trois séries d’entretiens et dans deux séries de questionnaires consacrées à l’identification des problèmes du texte de départ (83 répondants au total).

88 Dans ce cas, la démarche consistant à imprimer le texte d’arrivée est efficace. C’est ce que dit un traducteur : « J’imprime même si je travaille sur écran car on ne peut pas réviser son travail sur écran. »

2) Dans la première et la deuxième relecture, on va vérifier la cohérence terminologique des termes techniques. Ensuite, on regarde la mise en page car un document de droit est souvent très organisé. On va aussi faire une relecture uniquement ciblée sur la ponctuation et l’orthographe.

Le texte traduit améliore la compréhension sur des points qui n’ont pas encore été résolus (Gile 1992). Le traducteur peut ainsi réorienter sa recherche au vu du texte écrit dans la langue d’arrivée.

Les répondants peuvent-ils catégoriser leurs « centres de focalisation » ? Nous nous sommes aperçu qu’ils parlaient de deux types de « centres de focalisation » : des « centres de focalisation de forme » et des « centres de focalisation de fond ». Les répondants ont expliqué que ces « centres de focalisation » servaient à revenir sur des problèmes qui avaient été résolus à une étape antérieure du processus de traduction et à mettre éventuellement en lumière des difficultés sous-jacentes. D’après les propos des traducteurs, les « centres de focalisation de fond » concernent des termes et des tournures phraséologiques ciblés à la relecture. Les

« centres de focalisation de forme » désignent la clarté des phrases, l’orthographe et la grammaire.

Ces « centres de focalisation » impliquent-ils une démarche particulière ? Pour la majorité des répondants (71 sur 80, soit 88,8%), les

« centres de focalisation de forme » n’entraînent pas forcément de nouvelle recherche documentaire car les traducteurs peuvent résoudre les problèmes sans source (par exemple, corriger les fautes d’orthographe ou la grammaire).

D’après eux, les difficultés créées par l’exigence d’acceptabilité terminologique ou phraséologique peuvent avoir des conséquences beaucoup plus importantes. Notons l’observation d’un répondant spécialisé en médecine :

Je fais toujours valider mon texte traduit par un spécialiste. Un désaccord ou une faute d’orthographe peut passer mais une erreur de traduction d’un terme est plus grave.

L’acceptabilité rédactionnelle pose-t-elle des problèmes à la relecture du texte d’arrivée ? La plupart des répondants (66 sur 79, soit 83,5%) ont expliqué qu’en reformulant, ils évaluaient l’acceptabilité rédactionnelle en fonction des solutions données par les sources documentaires ou selon leur acceptabilité linguistique mais que la relecture du texte d’arrivée pouvait faire apparaître sous un jour nouveau les choix terminologiques et phraséologiques adoptés initialement.

Certains termes ou tournures phraséologiques apparaissent acceptables initialement mais ne le sont plus à la relecture. Un traducteur souligne :

Le texte d’arrivée pose souvent des problèmes d’acceptabilité sur un plan général. A ce moment-là, je peux recommencer une recherche documentaire.

J’agis de manière intuitive. Je vais retourner dans mes textes, une encyclopédie ou un texte en anglais pour voir s’il y a des notions que je n’avais pas vues.

Cette explication rejoint l’opinion de la majorité des répondants selon lequel la lecture en continu du texte d’arrivée apporte un certain recul car il modifie la perception qu’a le traducteur de la validité de ses choix (voir Gile 1995 : 105).

Certains types de termes sont-ils plus concernés que d’autres ? La plupart des répondants (41 sur 55, soit 74,5%) ont dit que le sociolecte spécialisé posait des problèmes. Un traducteur spécialisé en médecine cite le terme français « souris nudes ». Un autre mentionne l’emploi très courant du terme médical redo surgery au lieu de repeat surgery (chirurgie de répétition, en français).89 Ces exemples illustrent les difficultés que pose le sociolecte spécialisé dans des domaines comme la médecine où il y a une « prolifération synonymique (en anglais comme en français) » (Jammal 1999 : 237) et où apparaissent des expressions que le néophyte ne trouve pas acceptables sur le plan linguistique. « Souris nudes » ou redo surgery sont de parfaits exemples d’expressions qui se sont installées dans le langage médical ; nul doute que « le traducteur est complètement débordé par le développement des jargons et des terminologies » (Poisson 1975 : 132) et que son manque de

89 Ce traducteur traduit des textes médicaux du français vers l’anglais.

connaissances crée des problèmes pour évaluer l’acceptabilité de telles expressions. Le répondant cité ci-dessous explique que l’expérience permet quand même de les atténuer :

Avec le temps, j’apprends à être moins rigoriste. Il y a des choses que je n’aime pas du tout mais on le dit alors je l’accepte et il y a des choses que je n’aurais pas crues acceptables.

DEUXIÈME CHAPITRE

L’ACQUISITION DE CONNAISSANCES

Après avoir traité la question de l’analyse du texte de départ et du texte d’arrivée dans les différentes étapes du processus de traduction (chapitre 1), nous nous intéressons à l’acquisition de connaissances qui, rappelons-le, intervient pendant toute l’activité traduisante quand le traducteur la juge utile. Ce chapitre est composé de six sections. Dans la première, nous nous intéressons à la finalité de l'acquisition de connaissances ; s'agit-il d'une démarche destinée à se spécialiser dans le sujet donné ou d'une démarche destinée à résoudre les problèmes posés par le texte de départ ? La deuxième section se penche sur les raisons pour lesquelles le traducteur acquiert des connaissances. Les quatre autres sections abordent la résolution des problèmes posés par la technicité du texte de départ (2.3), la terminologie (2.4), la phraséologie (2.5) et le manque de clarté du texte de départ (2.6).