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PREMIÈRE PARTIE Sources L’écriture de la justice A INTRODUCTION AUX SOURCES DU HAUT MOYEN ÂGE HISPANIQUE

B. REMARQUES SUR LA PRATIQUE DE L’ÉCRIT AU NORD-OUEST DE LA PENINSULE IBÉRIQUE

1. Tradition documentaire Une prise de position :

Définir les confins où un document cesse d’être un original pour devenir pseudo- original, copie, interpolation ou faux est parfois l’entreprise la plus malaisée qui soit, surtout si on la mesure à l’aune du résultat obtenu. Certes, nous savons bien que l’approche de chaque document varie en fonction de cette spécificité ; mais il n’en demeure pas moins important de commencer par établir, dans la mesure du possible, le caractère de chacun des documents qui font l’objet de la recherche. Il ne nous est pas ici loisible d’analyser tous les aspects diplomatiques des documents, par le biais des éléments internes et externes qui y entrent en jeu et nous nous bornerons donc à expliciter ce que nous entendons, aux fins de la présente étude, par document original, copie, falsification ou interpolation.

Première distinction : entre un original et une copie – mais pour cela, il convient tout d’abord de régler une question en suspens, qui est celle de la définition même d’original. Nous considérons comme original tout document qui nous est parvenu sur pièce de parchemin et qui a pu constituer la toute première rédaction de l’acte juridique dont il rend compte. Il importe de le préciser, car certaines copies nous sont parvenues, très proches d’un original – elles n’en sont parfois séparées que par six ou sept décennies – consignées sur une pièce de parchemin et très difficiles à distinguer d’un original145

. Ainsi, mis à part quelques cas, rares,

144

Quelques autres éditions: CANTERA MONTENEGRO, Margarita (éd.), Colección documental de Santa

María la Real de Nájera. Tomo I (siglos X-XIV), San Sebastián, 1991 ; GOÑI GAZTAMBIDE, José (éd.), Colección diplomática de la Catedral de Pamplona (829-1243), Pamplona, 1997 et la plus importante que nous

n’avons pas eu le temps de mentioner : CANELLAS LÓPEZ, Ángel, Colección diplomática de San Andrés de

Fanlo (958 – 1270), Zaragoza, 1964. Le fonds de l’église San Andrés de Fanlo, dans la ville de Huesca est (ou

plutôt était) particulièrement remarquable par son petit cartulaire du XIIIe siècle, fort peu cité avant 1936 et qui a disparu pendant la Guerre civile. L’édition qu’en a réalisée Ángel Canellas est fondée sur les notes et les transcriptions qu’il a pu en faire avant cette disparition et complétée par les travaux de quelques chercheurs qui l’ont précédé. En 1936, ce recueil se composait de 138 documents, sont 19 pour la période qui nous intéresse. Il semblait structuré autour d’un noyau constitué de deux polyptiques anciens concernant les monastères de San Andrés de Fanlo et San Jenaro de Gállego, ainsi que de quelques ajouts et de copies de documents à dispositif des XIe-XIIe siècles. Notons aussi que les quatorze petits cahiers encore existants en 1936 ne représentaient pas la totalité de ce codex. Nombre de ces documents ne sont pas datés et un seul des 19 qui nous intéressent faisait exception.

145 DAVIES, Windows on Justice, 82 et MÍNGUEZ FERNÁNDEZ, Colección diplomática del monasterio de

Sahagún (siglos IX y X), 13. Ce dernier affirme que grâce à une connaissance plus approfondie de la cursive

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où nous avons pu établir qu’il s’agissait réellement d’une copie146, nous considérerons ici comme original toute pièce de parchemin n’offrant pas, dans sa matérialité ou dans son expression, d’éléments anachroniques évidents. Cela étant, à l’usage, ce critère peut se révéler trop général ; il va donc falloir définir quelques éléments supplémentaires.

Il est en effet bien difficile de déterminer le caractère original d’un parchemin de la période étudiée147. La définition diplomatique d’un original renvoie à un document où est consignée pour la première fois sous sa forme définitive la volonté de l’auteur de l’acte, sans qu’il lui soit nécessaire d’être unique, tant qu’il est revêtu des marques de validation qui lui permettent de faire foi par lui-même148 … et c’est ainsi que nous entrons de plain-pied dans le problème de l’authenticité et de la véracité.

L’authenticité d’un document est établie s’il a été rédigé selon les formes reçues et, comme nous venons de le dire, s’il est revêtu des marques de validation qui lui permettent de faire foi par lui-même149. Mais le problème est précisément que les modalités de rédaction ne respectent pas des formes très définies150. Si les souscriptions des témoins et des

assez approximativement, des différences claires entre des documents par ailleurs très proches par la date. Certains ont fait ce travail, comme José Antonio Fernández Flórez sur le scriptorium de Sahagún et le prêtre Monio (in La elaboración de los documentos). Cf. aussi GARCÍA de VALDEAVELLANO, Luis, « La palabra

wadiatio en un diploma catalán de 1099 », Anuario de Historia del Derecho Español, 13 (1946), 401. De son

côté, Roger Collins constate que de nombreux documents dits asturo-léonais, à y regarder de plus près et en les analysant rigoureusement sur le plan historique et diplomatique, se révèlent être des copies précoces. Cf COLLINS, Roger, « Literacy and the laity » 125. Cf. aussi F. FERNÁNDEZ FLÓREZ, La elaboración de los

documentos, 82.

146 Lii 405 (967), Carlos et Emilio Sáez sont d’avis qu’il s’agit d’une copie du XIIIe siècle, au vu de sa minuscule

diplomatique tendant à la cursive : Colección documental de la catedral de León, vol. 3, 191. Lu2 3 (922) : Claudio Sánchez Albornoz, qui l’a édité, affirme pour sa part que cette copie date du XIème : cf « Documentos para el estudio del procedimiento judicial », 146. Oña 3 (944) est qualifié de « pseudo-original » par Juan del Álamo ; Oña 12 (1011) : l’éditeur considère qu’il s’agit d’une copie du XIIe

siècle, au même titre que Ov 24 (942) ; Cf ÁLAMO, Juan del, Colección diplomática de San Salvador de Oña : 822–1284, Madrid, 1950, 4 – 5 et 29 ; et GARCÍA LARRAGUETA, Santos (éd.), Colección de documentos de la catedral de Oviedo, Oviedo, 1962, 98. S 183 (960), S 276 (974) et S 284 (976): Fernández Flórez est d’avis qu’ici nous avons affaire à des copies de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle, dont la première et la troisième nous sont également parvenues sous la forme de transcriptions dans le Becerro. Son point de vue est assez similaire sur le document S 261 (971– 978), mais cette fois il ne peut corroborer son jugement par d’autres faits. Quant au document S 293 (978), il le considère comme une copie contemporaine, autrement dit, elle daterait de la fin du Xe siècle. FERNÁNDEZ FLÓREZ, José Antonio, « El fondo documental del monasterio de Sahagún y sus scriptores (ss. IX – X) », in RUIZ de la PEÑA SOLAR, Juan Ignacio, El monacato en los reinos de León y Castilla (ss. VII–XII), X

Congreso de Estudios Medievales, León, 26 au 29 de septembre 2005, Ávila, 2007, 140.

147

FERNÁNDEZ FLÓREZ, José Antonio, « La huella de los copistas en los cartularios leoneses », in Orígenes

de las lenguas romances en el reino de León siglos IX – XII, vol. 1, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa

(103), León, 2004, 162.

148 CÁRCEL ORTÍ, María Milagros (éd.), Vocabulaire international de la diplomatique, Commission

internationale de diplomatique, Valencia, 1997 (1º ed. 1994), 30.

149

CÁRCEL ORTÍ (éd.), Vocabulaire international de la diplomatique, 23

150 DAVIES, Windows on Justice, X - XII. Certains codes législatifs portent sur les préoccupations relatives à la

falsification de documents (Lex Visigotorum, Lex Ribvaria, Leges Alamannorum), mais les sources hispaniques du nord-ouest ne traitent que peu ou pas de la question de la véracité des documents. Seule la fausseté des documents est mentionnée a posteriori. Pendant ce temps, en Catalogne, les scribes laissent des traces des

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confirmateurs constituent indéniablement un élément de légitimation, elles ne suffisent pas à authentifier le document151. Si en outre il s’agit d’une pièce de parchemin, les doutes surgissent aussitôt : s’agirait-il d’une copie postérieure ? Et ce document n’aurait-il pas perdu au fil du temps quelques-uns de ses éléments distinctifs, que l’on aurait prélevés, ou que le temps aurait détruits ?

Quant à la véracité du document, c’est encore une autre question152. Le contenu d’un document original, dans l’ensemble de ses éléments et même à une époque moins lointaine, où les chancelleries étaient déjà mieux établies, n’en est pas pour autant plus vrai ; de la même manière, un « faux » peut être très utile pour mieux saisir certaines perspectives, ou pour permettre certaines lectures153. En outre, nous savons dès l’abord que certains documents pouvaient comporter des erreurs qui éveillaient nos doutes ; et cela vaut aussi pour les copies simples.

Ainsi, on peut relever des anachronismes évidents dans des documents qui paraissent (et qui probablement sont) de parfaits originaux : l’inclusion, dans une liste de confirmateurs, de certaines personnes déjà disparues, ou de personnes qui ne pouvaient être présentes au moment de la rédaction de l’acte ; l’indication d’un jour de la semaine qui se révèle erronée ; faire regnante un roi dont le règne ne correspond nullement à l’année où le document a été établi : évitons de considérer pour toutes ces raisons que nous avons affaire à un faux, ou même à un document non original.

Et puis nous avons aussi le pseudo-original, que les diplomatistes définissent comme un faux qui présente toutes les apparences d’un original, y compris les marques de validation154

. Or, la période ici considérée ne pratique pas encore ces éléments d’authentification : on serait alors fondé penser que le pseudo-original est un document dont les caractéristiques physiques

incidents et des changements effectués lors de la rédaction d'un document pour éviter qu'ils ne servent de preuve de leur fausseté (voir changements d'encre, déchirures...).

151 Comme le soulignent F. Bougard et L. Morelle, de nombreux éléments ne sont pas tant des signes de

validation que des instruments de lutte contre l'accusation de falsification dans un contexte judiciaire : les garanties formelles, le serment du notaire de ne pas produire un faux (dans le monde carolingien), le monogramme, l'exigence d'une rédaction juridiquement correcte ou du principe selon lequel tout acte non daté sera rejeté (Lex Visigothorum II, 5, 1 et 2), etc. Mais beaucoup de ces éléments sont difficiles à mesurer dans la documentation hispanique. De plus, comme le soulignent ces auteurs, ni le document ni son auteur ne sont imposés dans le cadre d'un processus qui vise moins un contrôle formel des documents qu'une « purification » par prestation de serments. BOUGARD, François et MORELLE, Laurent, « Prévention, appréciation et sanction du faux documentaire, VIe-XIIe siècle », in PONCET, Olivier (éd.), Juger le faux, Moyen Âge – Temps

modernes, [actes de la journée d’étude du 6 juin 2008], Paris, 2011 19 – 57.

152

LUCAS ÁLVAREZ, Manuel, El reino de León en la alta Edad Media, VIII. La documentación real

asturleonesa (718 – 1072), Colección Fuentes y Estudios de Historia Leonesa (57), León, 1995, 92. Nous

parlons ici de la différence entre vérité historique et authenticité diplomatique.

153

Ibid et FERNÁNDEZ FLÓREZ, « La huella de los copistas », 162.

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laissent entendre qu’il a été rédigé au moment même de l’acte, alors qu’il lui est postérieur, parfois de plusieurs années155. Il ne faut pas nécessairement en déduire que nous avons affaire à un faux, ni à une nouvelle rédaction : nous disposons en effet, parmi les documents générés par le processus de résolution d’un conflit, de résumés, appelés « plaids », qui sont probablement rédigés plusieurs mois après certains des faits consignés. Bien souvent, cette pratique donne lieu à des contradictions par rapport à la représentation des faits, ce qui, un millier d’années plus tard, rend parfois difficile leur compréhension.

De nombreux diplomatistes ont souligné le caractère falsifié d'au moins la moitié des documents du haut Moyen Âge dans toute l'Europe. Dans ce contexte, Marco Mostert se demande si les textes ne devraient pas être compris différemment. C'est là que l'auteur s'appuie sur l'histoire de la communication pour contribuer au débat, auquel nous ne pouvons pas entrer ici156. Comme nous le verrons, l'expression « preuve écrite » ne peut pas être adaptée pendant ces premières siécles médiévales car un texte ne fonctionne comme une « preuve » complète qu'à partir du XIIe siècle.

Voilà pourquoi nous avons décidé d’établir une équivalence entre pièce de parchemin et original, dès lors qu’aucun élément d’évidence ne s’y oppose : c’est là la meilleure façon d’établir la nature d’un document sans risquer de tomber dans des problèmes méthodologiques. Chaque fois que, grâce à l’éditeur, nous serons en mesure de dire qu’il s’agit d’une copie simple, nous le préciserons et en tiendrons compte au cours de notre recherche.

Cette difficulté à définir un original est directement liée à la conception des documents faux et interpolés. À partir du moment où l’on accepte l’idée qu’à l’époque étudiée, un acte original ne doit pas nécessairement comporter des éléments d’authentification pré-déterminés, comment alors qualifier et identifier un faux ? En l’absence de ces éléments d’authentification préétablis, comment discerner l’intention de l’auteur ou la manipulation du destinataire, qui d’ailleurs peut obéir à des considérations très diverses et avoir bien des conséquences ? Il nous faut à chaque fois définir des paramètres provisoires pour pouvoir lire ou comprendre un faux et pour en saisir toutes les conséquences – car c’est là, précisément, que la définition prend toute son importance. Comment lire un faux ? Il nous est parfois arrivé de disposer d’un

155 DAVIES, Windows on Justice, X - XII 156

MOSTERT, Marco, « Forgery and Trust », in SCHULTE, Petra, MOSTERT, Marco et van RENSWOUDE, Irene, Strategies of Writing: Studies on Text and Trust in the Middle Ages; Papers from « Trust in Writing in the

Middle Ages », Utrecht, 28 – 29 November 2002), Turnhout, 2008, 37 – 62. L'auteur rappelle que les études sur

la communication au Moyen Âge ont montré que l'homme moderne est régi par un paradigme moderne de l'écrit et de l'imprimé.

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document original, ou d’une copie très proche et, en même temps, d’une copie plus tardive qui nous permet de relever de nombreuses différences. En les comparant, nous avons pu d’abord différencier le premier répondant clairement à la volonté de l’auteur, du second, qui lui relevait plutôt de l’intention du rédacteur (voir bénéficiaire). Une étude plus minutieuse nous a permis ensuite de découvrir que nombre de ces documents considérés comme des faux n’ont pas été rédigés dans l’intention de profiter de l’absence de contrôle ou de garantie de l’inamovibilité du texte écrit, mais plutôt pour que le texte de départ puisse, grâce à la copie, rester vivant. On a pu voir déjà que nombre de documents que l’on a considérés comme des faux ne le sont en fait que par leur forme, sur le plan diplomatique, qui évolue avec le temps et s’adapte pour rester compréhensible157

. Voilà pourquoi il vaudrait mieux parler, plutôt que de « faux », de documents bien souvent « refaits »158. Mais c’est une recherche qui reste à mener et qui n’entre pas dans notre propos. La notion de faux est difficile à saissire dans les documents de la pratique. D’une manière générale, on peut facilement confodre les rejets d’actes pour cause de fausseté avec les actes subreptice où l’autorité ne reconnait pas la verité d’un acte mais non plus sa fausseté, devenant le document vacuum159. Lorsque l’évêque

Pelayo d’Oviedo remaniait un document, les changements d’ordre diplomatique qu’il y apportait ne relevaient nullement de la falsification160. Si, au début du XXe siècle encore, la plupart des historiens ne menaient pas d’analyse diplomatique susceptible d’éclairer leur lecture par la nature et la provenance des sources, il convient cependant de signaler certains

157 Certains de ces documents proviennent du procès du très renommé évêque Pelayo de Oviedo, dont on disait

qu’il était un faussaire des plus habiles. María Josefa Sanz Fuentes a suivi la piste de quatre documents dont les originaux ont été conservés et en a conclu que les modifications apportées par le prélat semblent surtout avoir eu pour but d’adapter, de moderniser, d’éclairer, plutôt que d’enrichir le patrimoine foncier du diocèse. SANZ FUENTES, María Josefa, « El lenguaje de los documentos falsos » ; cf. aussi RUIZ ASENCIO, « Los copistas del Liber Testamentorum: sus escrituras y notas sobre el scriptorium de Lorvão para la confección de documentos », in Liber Testamentorum Coenobii Laurbanensis. Estudios, transcripción del texto y edición

facsimilada (Estudios), Colección Fuentes y Estudios de Historia Leonesa (125), Madrid, 2008, 193 – 242 (220).

Fernández Flórez l’a relevé aussi dans les copies établies par le prêtre Munio. Lorsqu’il travaillait sur des documents du Xe siècle, le copiste les modifiait, les alignait sur une structure et sur un formulaire qu’il avait présents à l’esprit, pour leur donner plus de clarté et de précision. Ainsi par exemple, dans un document il remplace spatarius par armiger. FERNÁNDEZ FLÓREZ, La elaboración de los documentos, 116 – 120 ; FERNÁNDEZ FLOREZ, José Antonio et HERRERO de la FUENTE, Marta, « Libertades de los copistas en la confección de los cartularios: El caso del Becerro Gótico de Sahagún », dans Scribi e colofoni, Atti del

Seminario di Erice. X Colloquio del Comité international de paléographie latine, 23 – 28 ottobre 1993, Spoleto,

1995, 301 – 319. On trouvera d’autres références au processus d’adaptation des documents lors de leur copie in BROWN, Warren C., « When documents are destroyed or lost: lay people and archives in the early Middle Ages », Early Medieval Europe, 11 (2002), 360.

158 SANZ FUENTES, « El lenguaje de los documentos falsos », p. 131.

159 Les documents subreptices sont « vrais » dans leur contenu et leur forme, établis de bonne foi mais n’auraint

pas dû l’être car ils son contraires au droit dars leur énoncé, extorqués en méconnaissance de cause, obtenus sur la base d’allégations mensongères. Cf. BOUGARD et MORELLE, « Prévention, appréciation et sanction du faux », 25 et 32 – 35.

160

Au point que l’évêque lui-même réécrit des documents émis par les soins du roi Alfonso VI, dont il était d’ailleurs très proche. SANZ FUENTES, La reescritura del pasado, 7.

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travaux précurseurs déjà importants et notamment l’étude de Barrau-Dihigo, qui cherchaient à distinguer entre documents authentiques et faux, interpolés ou douteux161. Tout au long du siècle, cette distinction s’est maintenue. On ne jouait pas sur les limites de la classification, mais sur celles des documents eux-mêmes, cherchant à établir pourquoi l’un était authentique et l’autre faux, ou simplement interpolé et à en déduire les conséquences sur l’utilisation historiographique que l’on pouvait en faire. Les faux ont été l’enjeu d’une lutte constante : ainsi, toute étude sérieuse, digne de ce nom, se devait non pas tant d’exposer clairement son utilisation des sources, que de préciser s’il s’agissait d’originaux ou de copies, de documents authentiques ou de faux. Cette approche posait des problèmes : en effet, non seulement cette classification autorisait, en toute bonne conscience, une utilisation trop systématique des sources162, mais elle obéissait aussi à des critères qui n’étaient pas toujours d’ordre historique et technique, souvent plutôt dictés par des considérations d’ordre affectif ou subjectif163. D’où la confrontation des points de vue, les uns s’opposant à l’utilisation d’un faux, au motif qu’il ne permettait pas d’établir avec certitude l’authenticité historique du contenu164, d’autres acceptant, sans trop le dire, de travailler avec des documents douteux, interpolés, voire faux, considérant qu’ils pouvaient tirer de ces manipulations des éléments authentiques – ce qui avait pour effet d’annuler toute mise en perspective du document proprement dit, ou d’en

161 BARRAU – DIHIGO, Louis, Études sur les actes de rois asturiens (718–910), New York, 1919. Dans son

introduction, cet auteur nous explique que la première partie de son ouvrage contiendra un tableau de deux colonnes, l’une pour les formulations relevées dans les documents authentiques utilisées par les rois asturiens et l’autre pour la critique des documents interpolés, douteux, manipulés ou faux, en se conformant aux avis du Pr Flórez dans son España Sagrada, IV, 1749, 115.

162 Cf l’utilisation historiographique des législations, règles et fueros, ces dernières étant toutes considérées

aujourd’hui comme fausses, du moins sur le plan diplomatique. Voir notes à l’édition électronique de Becerro