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Les chroniques hispaniques du haut Moyen Âge i La chronique Albeldense :

PREMIÈRE PARTIE Sources L’écriture de la justice A INTRODUCTION AUX SOURCES DU HAUT MOYEN ÂGE HISPANIQUE

1. Les chroniques hispaniques du haut Moyen Âge i La chronique Albeldense :

La chronique Albeldense est la plus ancienne que l’on connaisse après la conquête musulmane de la Péninsule. La dernière des nouvelles qui s’y trouve incluse date de l’an 883, une date que l’on reconnaît généralement comme celle de la fin de sa rédaction. Le titre sous laquelle nous la connaissons lui vient du nom du monastère (San Martín d’Albelda) où l’on a découvert le codex contenant la plus ancienne copie qui soit venue jusqu’à nous. On en ignore l’auteur, mais il est permis de supposer qu’il pourrait s’agir d’un homme vivant près d’Oviedo, familier de la cour et ardent admirateur du roi Alfonso III auquel est consacré en conclusion un chapitre biographique d’exaltation gothique. Ce texte nous est parvenu en deux copies, toutes deux du Xe siècle : celle qui est contenue dans le Codex d’Albelda et celle qui a pu être reconstituée à partir de fragments, copiés au XVIIIe siècle, avant la mutilation du

Codex Emilianense qui la contient et qui provient de San Millán de la Cogolla. Il existe aussi

quelques copies postérieures qui peuvent aider le chercheur, mais dont l’autorité est moindre : le Libro de Alcalá, du XIIe siècle, ainsi que quelques autres, auxquelles se réfèrent les érudits

quelques exceptions près, on ne trouve pas d’autres mentions concrètes d’un espace physique : OD 69a (1012)

Et, dum talia previderet rex, sedente in solio suo et omnis cetus in sinodo…; Coi 13 (906)… et pro id coniuncti fuimus in Oveto et postea in Sancto Iacobo ad archis… ou encore in TAS 42 (961) Elegerunt inter se ambo ipsi pontífices… ut preberent sacramentum in tumultum Beati Iacobi apostoli…

6 En dehors des chroniques, on observe le manque d’études à partir d’autres sources : HUETE FUDIO, Mario,

« Fuentes menores para el estudio de la historiografía latina de la alta Edad Media hispánica (siglos VII-X) »,

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des siècles modernes, avant le « désamortissement », ou nationalisation des biens ecclésiastiques au XIXe siècle.

Cette chronique a exercé une influence directe sur toutes celles qui ont suivi – chroniques Sampiro, Silense, Pelayo, Tudense … – et même sur l’historiographie mozarabe et sur la littérature historique arabe d’al-Andalus7.

ii. La chronique Alfonsina :

Elle a été rédigée quelques années à peine après la chronique Albeldense et dans le même lieu, autrement dit la ville d’Oviedo. Elle est attribuée à Alfonso III8 – sinon à sa main du moins à son inspiration. On en connaît deux versions qui, si elles suivent le même texte, présentent cependant des différences dans l’expression latine. On les appelle respectivement la version Rotense et la version Sebastianense, la première provenant d’un Codex de Roda et la seconde de plusieurs copies où le texte est précédé d’une lettre de ce même roi à l’adresse d’un certain Sebastianus dont nous ne savons rien – selon certaines copies, il pourrait s’agir d’un évêque, mais ce n’est pas certain. La principale différence, nous l’avons dit, tient au langage. La version Rotense est rédigée dans un latin plus sec, moins soigné, tandis que la

Sebastianense a un style plus élaboré. On remarque également que dans la première version,

Pelayo est présenté à Covadonga, entouré d’un groupe d’Asturiens qui le portent à leur tête, tandis que dans la seconde, il est désigné par un groupe de Goths replié dans le Nord pour y faire durer la royauté tolédane. Mais ce n’est pas ici le lieu d’analyser en détail l’une et l’autre de ces versions9.

7 GIL FERNÁNDEZ, Juan; MORALEJO, José Luis et RUIZ de la PEÑA, Juan Ignacio, Crónicas asturianas,

Oviedo, 1985, 151 – 193.

8 Ramón Menéndez Pidal estime qu’elle a été rédigée sur son ordre et qu’il l’a ensuite personnellement révisée,

comme d’Alfonso X le Sage fit trois siècles plus tard. (« La historiografía medieval sobre Alfonso II », in,

Estudios sobre la monarquía asturiana, Oviedo, 1949, 5). Claudio Sánchez Albornoz, de son côté, admet l’idée

que la chronique a été écrite de la main du roi, à Santa María del Naranco (Orígenes de la nación española: El

reino de Asturias, Oviedo, 1972, II y 159). Quant à Jesús E. Casariego, il s’aligne sur cet avis (cf Crónicas de los reinos de Asturias y León, León, 1985, 47). Gómez-Moreno à son tour en tient pour l’idée que l’auteur de la

chronique Rotense est bien le roi, qui l’aurait ensuite fait parvenir à un certain Sebastianum pour qu’il en améliore la forme et le style (Cf « Las primeras Crónicas de la Reconquista : el ciclo de Alfonso II », Boletín

Academia de la Historia, 1932 (100), 582 et ss). Il semblerait que les trois premiers chercheurs cités aient

reconnu la plausibilité de cette dernière hypothèse, ce qui n’empêche pas que les autres soient tout autant recevables. CASARIEGO, Jesús Evaristo, Historias asturianas de hace más de mil años, Instituto de Estudios Asturianos, Oviedo, 1983, 21.

41 iii. La chronique de Sampiro :

Nous venons d’évoquer les deux grandes chroniques constituant les meilleures sources narratives pour l’étude du royaume des Asturies. Pour l’époque qui intéresse notre étude, il y a néanmoins un autre texte, cette fois de provenance léonaise : la chronique de Sampiro, un récit qui permet de combler le vide du Xe siècle, puisque qu’il nous amène jusqu’au règne de Vermudo II : 982 (pour la Galice et le Portugal, 985 pour le León et les Asturies) – 999. Elle présente, par rapport aux autres la particularité d’être arrivée jusqu’à nous non pas par des copies des copies de textes de l’époque, mais bien parce qu’elle a été insérée dans des chroniques postérieures10.

iv. Les chroniques mozarabes :

Pour autant que nous sachions, deux chroniques écrites dans la Péninsule au VIIIe siècle viennent de l’espace musulman. La première, qui est datée de 741 environ, relate les événements d’Orient, avec quelques références à la Péninsule, entre la mort de Récarède (+601) et la défaite du général Mazlema face à Eudes d’Aquitaine, à Toulouse, en 721. Son intérêt vient de ce qu’elle a utilisé des modèles historiographiques byzantins ; et, depuis les travaux de P. Florez, on pense que l’auteur de la chronique cherchait peut-être à poursuivre le

Chronicon de Juan de Bíclaro, puisqu’il commence à la fin du règne de Récarède11. Malgré de nombreux anachronismes, elle reste d’un grand intérêt pour l’étude des formes de transmission et de communication écrite 12. Quant à la Chronique mozarabe ou Chronique de

75413 c’est une source précieuse pour la conquête islamique de la Péninsule, tout en relatant des faits concernant les mondes arabe et byzantin14.

10

La Chronique de Sampiro éditée par Justo Pérez de Urbel dans Sampiro. Su crónica y la monarquía leonesa en

el siglo X, Madrid, 1952, 273 – 346. Les chroniques du IXe siècle sont publiées in Crónicas Asturianas, éd. et trans. par GIL FERNÁNDEZ et alii, Crónicas asturianas.

11

FLÓREZ, Enrique España Sagrada Teatro geografíco – histórico de la Iglesia de España, VI, Madrid, 1750, 428-429 y BLANCO SILVA, Rafael (éd. et trad.), “Una crónica mozárabe que se ha dado en llamar arábigo –

bizantina de 741: un comentario y una traducción”, Revista de Filología de la Universidad de La Laguna, 17

(1999), 154.

12

Cf. DUBLER, César E., « Sobre la crónica arábigo-bizantina de 741 y la influencia bizantina en la Península Ibérica », AlAndalus, 11 (1946), 283 – 350 où il fait une liste des anachronismes historiques et met en comparaison avec Crónica mozárabe del 754 en cherchant les possibles sources en commun. Cf. aussi ALBARRÁN IRUELA, Javier, « Dos crónicas mozárabes, fuentes para el estudio de la conquista de al – Andalus », Revista Historia Autónoma, 2 (2013), 45 – 58 et GÓMEZ MORENO, « Las primeras crónicas de la Reconquista ».

13 Aussi nommée Anónimo de Córdoba, Chronicon de Isidoro Pacensis o Continuatio Hispana, éditée au XIX

siècle par MOMMSEN, Theodor, « Continuatio Isidoriana Hispana a. DCCLIV », in Monumenta Germaniae

Historica, Auct. Ant., XI, Berlín, 1894.

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Par-delà les problèmes critiques souvent abordés par l’historiographie 15, le style de ces chroniques est laconique, sec, rapide16, n’offrant aucune des émotions que nous recherchons aujourd’hui dans un texte. Elles apparaissent comme des notes jetées rapidement sur le papier, en vue d’une rédaction plus narrative, plus littéraire, qui n’aurait pas vu le jour. Voilà l’impression que l’on retire à la lecture de ces premières histoires asturiennes et léonaises. N’ayant pas l’intention de les analyser en profondeur, nous nous bornerons ici à souligner deux aspects : que l’exploitation de ces sources nécessite chez le lecteur la conscience du fait qu’il s’agit là d’un texte écrit selon une logique bien différente de tout ce qu’il a appris ; et que ce laconisme, cette sécheresse, cette rapidité … si elles paraissent nous éloigner de l’objet de notre étude, permettent cependant d’en « réhydrater » les idées par sa lecture, du moins à chaque fois que la recherche l’autorise.

L’utilisation de ces chroniques dans nos recherches pose un sérieux problème, celui de la pauvreté des informations que l’on peut en tirer sur les pratiques de la justice, en se penchant sur des faits relatés, directement liés à la politique, au Roi, aux grands personnages. Les éléments les plus intéressants que l’on parvient à relever ont souvent trait à des trahisons contre le roi et, nous le verrons, il est alors difficile de faire la part de l’exercice de la justice et celle de la puissance unilatéralement exprimée par ledit roi17. Dans ce travail, nous nous intéressons à la résolution des conflits dans un cadre plus vaste de la société du haut Moyen Âge en Espagne : pour y parvenir, les chroniques constituent un passage obligé, mais elles n’en restent pas moins secondaires, en retrait.