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5 Le Tour de la France par deux enfants

Dans le document Symboles et symbolismes (Page 50-53)

En effet, l’inventaire des symboles scolaires ne saurait être pertinent sans référence au best seller des livres de lecture : Le Tour de France par deux

enfantsde G. Bruno. Écrit cinq années avant les lois de 1882, il est prémoni- toire. « Le Tour de France signale l’ouverture accélérée des écoles, magnifie

les départements tôt alphabétisés, annonce le rattrapage des autres» écrivent à son sujet Jacques et Mona Ozouf1. Il accompagne le développement de la scolarisation primaire obligatoire, gratuite et laïque engagée par la Troisième république : il s’en vend surtout trois millions d’exemplaires en 10 ans, 6 mil- lions en vingt-cinq ans et près de 9 millions en un siècle2. L’ethnologue Pierre- Jakez Hélias rapporte qu’il est dans les villages bretons des années 1920 parfois « la bible » et en tout cas « le livre3». Tout se passe comme si l’auteur s’était même effacé devant le livre pour lui offrir toute sa dimension car G. Bruno est un pseudonyme4.

Or il est facile de constater que les jeunes héros de ce récit5, malgré leur application scolaire n’en restent pas moins agriculteurs. Tout s’y passe comme si l’instruction primaire ne débouchait pas sur la promotion sociale des élèves méritants. Ceci sans doute parce que ce livre s’adresse avant tout à la France rurale qui n’accède jamais au lycée. Comme le notent Mona et Jacques Ozouf, le Tour de France par deux enfants met en scène une France essentiellement artisanale et paysanne où les curés, les soldats et les prolétaires sont rares, une France où les destinées sont figées à l’image du système scolaire dual qui sépare les enfants du peuple et les enfants de notables.

Il vaut attendre la version dite « révisée » de 1906 pour qu’enfin la science et la promotion sociale soient évoquées. La première plus que la seconde d’ailleurs. L’auteur fait alors, dans un épilogue, découvrir au plus jeune fils de l’un des deux héros, les bienfaits de la science d’une part et l’ambition sociale d’autre part lorsqu’il s’écrit après avoir découvert les conséquences des découvertes de Louis Pasteur : « ces savants sont admirables ! Je voudrais,

moi aussi, devenir un savant quand je serai grand(Bruno, 1906, 307). » Ce sera la seule concession faite à cette question de la promotion sociale que l’on

1. Jacques et Mona Ozouf, « Le tour de la France par deux enfants », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire. I. La République, Paris, Gallimard, 1984, p. 317.

2. Il s’en vend, en moyenne, 80 000 exemplaires par an pendant de 1877 à 1967.

3. Jean-Pierre Bardos, « Postface », G. Bruno, Le Tour de France par deux enfants, Paris, Belin, 1977, p. 312. Il supplante dans bien des foyers ruraux La Vie des saints, il devient dans la Grande encyclopédie Berthelot l’ouvrage « le plus lu et le plus aimé des livres de lecture en usage dans les écoles primaires».

4. Pierre-Xavier Boyer, « Aux origines de l’élitisme républicain : les aristocraties d’Alfred Fouillée », Revue Française d’histoire des idées politiques, no22, 2005, p. 261.

5. Ce livre de lecture narre en fait l’épopée héroïque de deux jeunes orphelins lorrains qui, en 1871, franchisent clandestinement la frontière à la recherche de leur oncle dans le but de retrouver leur nationalité française. Une quête qui leur fait d’abord faire le tour des régions, ensuite percevoir l’unité et la grandeur de la patrie puis le sens du devoir et enfin découvrir la géographie, les grands hommes, la moralité, le droit, l’agriculture, l’élevage, la technologie, l’hygiène et, bien sûr, les vertus de l’instruction.

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aurait pu penser plus prégnantes dans ce manuel de lecture de la République. Cela dit, cette version « révisée » ne l’a pas été pour adapter le propos du livre aux progrès de la scolarisation primaire et à ses conséquences en terme de mobilité sociale. Il l’a été pour respecter une dimension plus importante encore du programme républicain : la séparation de l’église et de l’État établie par la loi du 9 décembre 1905. « Dieu expulsé, la Patrie peut occuper toute

la place» notent Mona et Jacques Ozouf1.

L’actualité de décembre 2005, est également l’occasion de mettre en avant cet autre élément de la symbolique scolaire et républicaine : la laïcité à la française dont on fête le centenaire. Un « pilier de notre temple républicain » selon l’expression du Président de la république2. Car chacun sait que la pro- blématique de la laïcité est contingente de la question scolaire. Le débat puis la mise à l’œuvre de la laïcité en France se concentre tout au long duXXesiècle

fortement sur l’école. Pas plus tard qu’en 2004, une loi relative à l’application du principe de laïcité dans l’institution scolaire, et seulement celle-ci, est votée : elle interdit le port de « signes religieux ostensibles ».

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La Marseillaise

Les prises de position publiques qui ont accompagné la réflexion sur l’oppor- tunité d’une telle décision, mettent en exergue le fait que la France a construit son institution scolaire à l’image d’un « sanctuaire3». Elle a voulu son institu- tion scolaire à l’image d’un creuset dans lequel se fond et s’intègre le plura- lisme communautaire afin que puisse s’y tisser la communauté nationale. De la première affaire du voile en 1989 à la loi de 2004, en passant par la défini- tion des « signes ostentatoires », les ministres de l’Éducation nationale n’ont de cesse de rappeler qu’« à la porte de l’école doivent s’arrêter toutes les discrimi-

nations, qu’elles soient de sexe, de culture ou de religion4». Enfin, l’actualité scolaire de ces dernières années et de ces derniers mois nous donne l’occasion d’évoquer, dans la même veine, une mesure dont le but est également de « répondre à l’enjeu de l’assimilation des populations extérieures venues sur

le territoire national» et de « réaffirmer le rôle primordial de l’école dans la

transmission des valeurs de la République» : c’est l’enseignement obligatoire de La Marseille à l’école primaire. Il n’est effectivement pas possible de clô-

1. Ozouf, p. 317. Comme en témoigne par exemple l’évocation des derniers instants du père des deux héros du Tour de France tout au début de l’histoire (p. 10 des versions respectives). Dans la version « primitive » de 1877 « ses regards mourants s’éclairèrent d’une flamme plus pure, il semblait vouloir à présent ne plus songer qu’à Dieu» tandis que dans la version « révisée » de 1906 « il semblait chercher par-delà l’horizon cette frontière reculée de la chère patrie ».

2. Site de la Présidence de la République.

3. François Dubet, « La fin de l’école-sanctuaire », Libération, 16 février 2000. Luc Bronner, « L’illusoire tentation de l’école sanctuaire », Le Monde, 12 février 2004.

4. François Bayrou, Circulaire Éducation nationale du 20 septembre 1994, citée par Mohand Khellil, Sociologie de l’intégration, Paris, PUF, 1997, p. 62.

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turer ce rapide inventaire de quelques symboles qui concernent l’institution scolaire française, sans évoquer enfin l’hymne national de la France.

Ce dernier est au programme des écoles depuis 1911 et l’instruction de Félix Faure ainsi rédigée : l’hymne national « doit être appris et chanté dans

toutes les écoles où le chant est compris parmi les matières obligatoires». Trois couplets seulement sont enseignés : le premier, le dernier et celui dit des enfants1. Son enseignement tombe en désuétude jusqu’à ne plus être évoqué du tout2. Au milieu des années 1980, une circulaire du ministre de l’Éducation nationale de l’époque relance son apprentissage dans les salles de classes primaires dans le cadre de la formation à la citoyenneté. Enfin, La

Marseillaises’est récemment invité dans les affaires scolaires lorsqu’en 2005, au cours de l’examen de la loi d’orientation scolaire par l’Assemblée nationale, son enseignement est rendu cette fois obligatoire par l’article 26 du texte afin que « l’élève prenne conscience de son appartenance à une communauté

nationale». L’offre d’éducation civique comporte désormais « obligatoirement

l’apprentissage de l’hymne national et de son histoire» de même que « la

signification des grands symboles de la France et de la République».

Cela dit, le succès de l’équipe nationale de foot au mondial de 1998 ou encore le fait que la Marseillaise ait été sifflée par certains spectateurs lors du match France-Algérie en 20013ont rapidement amené certains enseignants à évoquer devant leurs jeunes élèves la nature de ce chant puis expliciter certains de ses passages datés et contestés4. De l’évocation des « bras vengeurs », du « sang impur » ou bien encore des « cohortes étrangères » qui « feraient la loi

dans nos foyers» par exemples, le commentaire circonstancié de l’enseignant s’impose tout comme la contextualisation historique. Or « L’ignorance crois-

sante de la Révolution française, elle aussi évanescente dans les programmes scolaires au cours des dernières décennies, prive La Marseillaise de la réfé- rence la plus élémentaire aux événements qui lui ont donnés naissance5» remarquait Michel Vovelle en 1984. Par ailleurs, la dimension patriotique du chant, ne concorde pas toujours avec l’élan européen dans laquelle la France s’est engagé depuis plusieurs décennies6.

1. « Nous entrerons dans la carrière. Quand nos aînés n’y seront plus. Nous y trouverons leur poussière. Et la trace de leurs vertus (bis). Bien moins jaloux de leur survivre. Que de partager leur cercueil. Nous aurons le sublime orgueil. De les venger ou de les suivre»

2. Michel Vovelle, « La Marseillaise. La guerre ou la paix », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire. I. La République, Paris, Gallimard, 1984, p. 133.

3. Rappelons que la loi sur la sécurité intérieure de mars 2003, prévoit depuis une amende de 7 500 euros en cas d’outrages à l’hymne français.

4. Georges Mattia, « La Marseillaise, hymne dans l’air du temps ? », Midi-Libre, 13 novembre 2005.

5. Vovelle, p. 133.

6. D’où la proposition récente d’ajouter un Xecouplet : « Allons enfants de nos 25 pays, Une

ère nouvelle est arrivée. Dans le ciel de l’Europe unie, Flotte le drapeau étoilé (bis). Souvenons- nous du temps naguère, Qui nous a tant déchirés. Et demain plus jamais la guerre, Mais de l’amitié et la paix. »

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