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Notes de lecture

Dans le document Symboles et symbolismes (Page 126-129)

Michel Maffesoli, Le Rythme de la vie. Variations sur les sensibilités postmodernes, Paris, La Table Ronde (2004), 220 p.

Dans ce récent essai intitulé : Le Rythme de la vie. Variations sur l’imagi-

naire postmoderne1, Michel Maffesoli nous entraîne dans une randonnée à la rencontre des paysages, tour à tour fascinants ou inquiétants, du monde contemporain. Empruntant de nouvelles pistes de réflexion, le sociologue approfondit les thèmes devenus classiques de son œuvre, forte d’une ving- taine d’ouvrages et d’innombrables articles, pour la plupart traduits à l’étran- ger, et qui ont installé son auteur dans une position d’observateur privilégié et original des métamorphoses de nos styles de vie. Il excelle à la fois par son attention au détail et son souci d’offrir une vue d’ensemble, très cohérente de la variété de l’expérience sociale à partir de laquelle l’existence collective puise ses significations. La qualité de l’ouvrage ouvrira le lecteur exigeant à un panorama de références où l’érudition littéraire, poétique et philosophique laisse toutes ses chances à la rêverie et au cheminement intime. Le programme de l’auteur n’est-il pas, dès l’avant-propos, de dégager les « galeries du social » de la « doxa » officielle qui obstrue l’accès à une compréhension des formes du vécu partagé. Le souvenir de la modernité égare encore beaucoup d’ana- lyses, indifférentes, voire simplement inconscientes, devant le fossé qui, depuis plusieurs années, sépare les représentants, les élites des pouvoirs, et les repré-

sentés, c’est-à-dire le grand nombre dont l’aspiration au « bien vivre » se détourne avec une sage méfiance des discours et des programmes inventés pour le séduire ou le mobiliser. Il n’est guère utile d’enquêter avec de lourds moyens pour mesurer sous cet angle la désaffection manifeste à l’égard du politique institué ; le chiffre de l’abstention, le poids invisible des non-inscrits, les votes colériques ou fantaisistes suffit à confirmer régulièrement l’ampleur du phénomène. Penser une telle « secessio plebis », pour reprendre une for- mule du sociologue, suppose une démarche audacieuse qui accepte de rendre

1. Michel Maffesoli. Le Rythme de la vie. Variations sur les sensibilités postmodernes. Paris, La Table Ronde (2004), 220 p.

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compte des réalités pour ce qu’elles sont, et de jauger l’emprise de forces dont la rationalité échappe à l’asepsie de la critique intellectuelle ou aux admones- tations moralisatrices. Ainsi, convient-il de s’attarder sur l’imaginaire social et ses nombreuses déclinaisons tels que les mythes, les rites et autres produc- tions immatérielles, « matrice souterraine des choses » qui assure « la secrète cohérence de tout naturel et culturel1». Habitué à distinguer les résidus de traditions, l’empreinte du passé, face aux innovations de la technologie et aux ruptures artistiques, une approche moins catégorique n’invite-t-elle pas à décrire las articulations flexibles entre l’archaïque et le mouvement de l’éphé- mère auquel le présent donne une intensité aux couleurs souvent expression- nistes.

Le rythme de la vie évacue cependant les mirages de l’urgence au profit de l’initial et de l’essentiel, du sentiment de la durée qui englobe la remé- moration et l’anticipation au creux de chaque moment où la vie quotidienne exprime sa continuité. En cela, on peut parler du vécu comme d’une œuvre dont la similitude avec l’art, soulignée par Georg Simmel, apparaît dans le jeu des accords et contrastes, la frivolité et la violence qui nous relient les uns aux autres dans un tableau progressif, celui de nos histoires de tous les jours. Soumettre la raison à la plasticité de cet ensemble serait une manière d’en son- der la richesse et la puissance, une « pharmacopée épistémologique », pour reprendre les termes de Michel Maffesoli, appropriée au vouloir-vivre indivi- duel et au partage ordinaire des « petits riens » dans lesquels une espèce de santé populaire défie la dramatisation et les souffrances d’un monde mis en spectacle. Tandis que les théologies de l’émancipation prennent congé de leurs sectateurs, les utopies interstitielles réinvestissent le local et la proximité à l’ins- tar de ce « laboratoire d’imagination insurrectionnel », évoqué par Christian Losson, dans un article de Libération2, qui dresse une cartographie des tribus des nouvelles vagues de la désobéissance civile bien éloignée du militantisme vertical des années soixante dix. Ce sont là des traits assez caractéristiques de cette ambiance baroque à travers laquelle se nouent les affinités électives autour d’improbables et d’étranges totems comme ce San Precario, protecteur des travailleurs démunis, figure inédite d’un polythéisme diffus et mineur soi- disant révoqué par l’idéologie des lumières et ses succédanés messianiques, ou encore cet institut allemand de nomadology qui organise sur un mode festif des séances d’exercices pratiques sur la liberté de circuler. Maints exemples s’appliquent à confirmer l’étonnante perspicacité du sociologue et son apti- tude à révéler les mutations discrètes des sociétés postmodernes. Familier des « cryptes » et des méandres de l’inconscient collectif, il note avec justesse que « le fantasme et la fantaisie sont, dès lors, partie prenante de la fantai- sie sociale3». Au cœur d’un édifice civilisationnel que l’on croyait envahi par

1. Michel Maffesoli, Le Rythme de la vie, op. cit. p. 21.

2. Christian Losson, « Petit bréviaire de désobéissance », Libération, vendredi 23 octobre 2004. p. 38 et 39.

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le désenchantement et la force des modèles rationnels, on voit poindre une sensibilité primitive, une réinscription du symbolique sous des allures souvent déconcertantes. Le corps devient le support de mystérieux messages codés, tatoués, percés ; l’altérité s’affirme à travers des parades, les forums de discus- sion de la toile internet ; l’excès s’incarne dans des solidarités émotionnelles. Dans ce contexte, il est désormais hasardeux de figer les identités, le relation- nel déplace les frontières qu’il s’agisse du milieu du travail devenu aléatoire ou des liens affectifs abandonnés au risque de l’imprévu. Le « devoir-être » qui avait sévèrement sculpté la physionomie bourgeoise et réduite l’existence à un projet reproductible, laisse aujourd’hui place à une logique des passions irresponsable. Loin des nécessités institutionnelles, le désir d’être soi-même participe d’une reliance féconde que le terme de socialité enveloppe dans toutes ses dimensions.

Michel Maffesoli s’attarde également sur la résurgence du merveilleux, dont le succès livresque et cinématographique d’Harry Potter ou du Seigneur des

Anneaux montre la charge initiatique au-delà du simple divertissement. Le retour du fabuleux n’est pas anodin, l’atmosphère d’une époque trouve dans son attraction générale son écho narratif et ses images emblématiques. Ce besoin d’irréel, outre son rôle dans toute sa structuration sociale, alimente une conscience objective qui ne se satisfait pas d’une trop facile dichotomie entre la fiction et la réalité, le surnaturel et la pesanteur des choses calculables. Seule une paresse dogmatique se donne, avec l’arrogance qui l’accompagne, le triste droit de séparer les pièces de la mosaïque du vivant et de trancher sans nuance quant à la valeur possible de chacune d’entre elles. La trans- gression est de nos jours une lucide capacité à éprouver le primitif pour en saisir les correspondances étranges qui le rattachent à nos objets fétiches plus ou moins sophistiqués. Les logiciels ludiques et leurs combats moyenâgeux, le téléphone portable et sa phonétique sauvage, les cérémonies d’exorcisme télé- visuel répétées à l’occasion de chaque drame national ou d’événement terrible, comptent parmi les éléments qui indiquent bien une sorte de regrès vers l’ori- gine et la marque ancestrale de l’espèce toujours à l’œuvre dans notre décor de jubilation technologique. La postmodernité peut d’ailleurs se définir comme une fantasmagorie où rien n’est substantiel hormis l’interdépendance entre les hommes et l’espace de leurs opportunités concrètes, des us et des coutumes plus anciennes. Les dieux des panthéons sont alors des figures désignant des « certitudes intuitives » et exprimant des « pulsions créatrices » [...] célébra-

tion achronique d’une éternité rapatriée dans l’instant souligne l’auteur1. Ils rendent visible la force mystérieuse du social tendue entre la nostalgie de la totalité et la « viscosité » ambiante sur laquelle repose l’idéal communautaire et le sentiment tragique de l’aléa existentiel. L’esthétisation de plus en plus affirmée du réel épiphanise une énergie spécifique, une créativité trajective qui accorde un surcroît de vie dont le rythme prolonge culturellement celui de

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la nature. Dans la lignée de Roger Caillois, Georges Bataille et Gilbert Durand, cette leçon d’anthropologie des champs magnétiques du présent mérite que l’on s’y arrête, en explorant la part de l’ombre qui nous habite ainsi que la société, elle nous éclaire sans nous aveugler.

Patrick Tacussel Professeur de sociologie Université Paul-Valéry, Montpellier III

Denis Jeffrey, Rompre avec la violence, Lecture de René Girard, Les Presses Universitaires de Laval, Québec, 2000, 143 p.

René Girard a essayé de comprendre pourquoi la violence appelle la vio- lence, comment elle peut en arriver à contaminer de proche en proche toute la société. « L’homme n’a pas le pardon facile. [...] Il arrive même que la ven- geance devienne sa principale raison de vivre. Son désir devient un devoir sacré de vengeance » (p. 10). À travers l’œuvre de René Girard, Denis Jeffrey a exploré comment il était possible d’apprivoiser un sentiment de vengeance, quels étaient les moyens mis en œuvre par l’humanité pour contrer cette conta- gion de la violence

La violence de l’injustice ou de l’offense demande réparation. Mais, « Pour faire la paix avec son ennemi, il faut déjà faire la paix avec soi-même, et cela demande peut-être une sorte de conversion : rompre avec les sentiments destructeurs pour renouer avec la joie de vivre » (p. 11). L’esprit vengeur doit donc entreprendre un long travail sur lui-même afin de retrouver la paix inté- rieure, un travail qui prend la forme d’un rituel de pacification. Les rituels de pacification ressemblent aux rituels du deuil, car il faut assumer une perte inconsolable, doublée d’un chemin à parcourir pour accepter le pardon. Le pardon, plus qu’un acte de soumission est un acte de délivrance.

La ritualisation « vise à rompre avec la violence, c’est-à-dire à la symboliser, la civiliser, la conjurer, à la faire enter dans des formes acceptables » (p. 11) tout en restaurant l’ordre de la communauté. Le principe du rite sacrificiel détourne la vengeance sur un individu qui ne pourra pas être vengé à son tour, le bouc-émissaire, et qui met fin à la série mortelle de la contagion de la violence.

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