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1 Le rapt de Jeanne d’Arc

Dans le document Symboles et symbolismes (Page 32-34)

Dans l’inventaire de tous ces « détournements-appropriations » figure en bonne place la fête nationale de Jeanne d’Arc. La commémoration annuelle de la libération de la ville d’Orléans, c’est-à-dire de la délivrance de la ville en 1429 par Jeanne d’Arc et ses troupes, est devenue fête nationale du Patrio- tisme par la loi du 14 juillet 1920. On notera que trois distinctions sont à faire ou à rappeler. Tout d’abord la célébration de la fête nationale du Patriotisme doit se faire obligatoirement le deuxième dimanche de mai. Ensuite, la ville d’Orléans a choisi le 8 mai pour sa propre célébration. Enfin la fête de la Sainte Jeanne d’Arc est le 11 mai.

La figure historique mythifiée de Jeanne d’Arc sert comme modèle de la vertu républicaine de patriotisme. L’usage politique et présidentiel représentent deux niveaux de célébration distincts. Dans le domaine politique, la célébra- tion commémorative est locale, et a lieu tous les ans. À cette occasion, une jeune fille « méritante » de la ville est revêtue d’une armure et parcourt la ville sur un magnifique cheval blanc, incarnant ainsi la libératrice se rendant à la cathédrale. Cette Jeanne d’un jour, rosière en armure, est suivie dans sa déambulation par la foule des Orléanais et l’ensemble des élus locaux, maire en tête. La participation présidentielle est en revanche plus épisodique. Instau- rée par Vincent Auriol, la tradition républicaine d’une visite du président de la République a été suivie par tous ses successeurs à l’exception de Georges Pompidou. L’usage retient que le président de la République doit se rendre au moins une fois au cours de son septennat à Orléans. L’acte est généra- lement accompli en début de mandat. François Mitterrand ayant obtenu un double mandat s’y rendit deux fois, en 1982 et en 1989. Le président Chirac a accompli le geste le 8 mai 1996, mais ne l’a pas réitéré.

Ceci serait de peu d’intérêt si le Front National ne se posait comme le parti « légitime » d’un nationalisme qu’il ne conçoit guère que sous ses formes les plus extrêmes, et s’il ne s’était attribué le monopole de cette fête. La fête de Jeanne d’Arc est devenue au fil des ans l’occasion de la grand-messe annuelle du Front National. Elle n’a pas lieu à Orléans, mais à Paris où elle donne lieu à un cortège, de composition fort hétéroclite qui, partant de la Tour Saint- Jacques, descend la rue de Rivoli jusqu’à la place des Pyramides et s’arrête au pied de la statue équestre de la Libératrice par le sculpteur animalier Emmanuel Frémiet.

32 La circulation des symboles

Ainsi se succèdent en ordre calculé les personnages du cortège. Il reprend une partie de la composition du cortège officiel d’Orléans avec une Jeanne d’Arc en armure montée sur un cheval et suivie de ses hallebardiers. Puis, der- rière, viennent le bureau politique du Front national et les délégations régio- nales du parti en tenues folkloriques et drapeaux régionaux. Enfin, le reste du cortège se compose de tout ce qui compte en France dans les domaines de l’anti-parlementarisme, de la haine de la République et des intégrismes de tous poils : sympathisants royalistes de l’Action Française, membres du groupuscule de l’Œuvre Française, représentants de l’association Arabisme et Francité, royalistes brandissant le drapeau noir et blanc des « camelots du roi », membres de l’association nationale Pétain-Verdun, etc. Cortège dont le carac- tère involontairement ironique réside précisément dans la galerie de figures souvent caricaturales qui le composent et vont du plus « montrable » au plus abject et au plus violent comme les Skinheads. On vient défiler en famille, en délégation, en groupe, en association en scandant des slogans hostiles à la République, ou déclinant sous tous les modes la « préférence française » (« la Sécu aux Français », « les emplois aux Français », etc.), ou encore prônant le retour du roi. Parfois montent des chants : cantiques, Maréchal nous voilà, hymne national. Enfin le défilé du cortège se termine. Le chef du Front Natio- nal tient un discours place de l’Opéra sur une vaste estrade dressée devant le Palais Garnier avec, en arrière fond, une fresque peinte reprenant l’image de Jeanne d’Arc (associée à Clovis en 1996 !). La force symbolique de cette manifestation tient aussi au moment choisi pour son déroulement, le 1er mai, ce qui permet de capter une part de l’attention normalement dévolue à la fête du Travail et fournit l’occasion de déclarations sur des thèmes sociaux, déclara- tions provocantes et, de ce fait, reprises et amplifiées par les médias. En même temps, cela permet au Front National d’être le premier à fêter Jeanne d’Arc et la fête nationale du Patriotisme.

Cette situation n’a pas été sans poser des problèmes non seulement aux acteurs politiques traditionnels et démocratiques, mais aussi au président de la République lui-même. Du fait de cette situation, certaines villes, parmi les- quelles Fontenay-aux-Roses, Conflans-Sainte-Honorine ou Nanterre, refusent désormais de célébrer l’événement et ne pavoisent plus les édifices publics. Le 8 mai 1996, lors de sa participation à la célébration officielle, à Orléans, le pré- sident Chirac se trouva contraint de replacer le symbole de Jeanne d’Arc dans les cadres stricts de la République avec un discours sans détours, bien que la cible de sa dénonciation ne soit pas explicitement désignée : « Comment ne pas voir combien Jeanne est étrangère à toute idée de mépris ou de haine ? Combien ses paroles sont à l’opposé du discours d’intolérance, de rejet, de violence que l’on ose parfois tenir en son nom. [...]. La pureté de son idéal, la noblesse de son combat la placent au-dessus des ambitions et des calculs. Elle appartient à tous les Français et à toute la France1. »

Denis Fleurdorge 33

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Les couleurs nationales, un enjeu symbolique entre

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