• Aucun résultat trouvé

2 Puis une image symbolique

Dans le document Symboles et symbolismes (Page 56-60)

C’est parce que les drogues ont des effets psycho-actifs changeants, contra- dictoriels et contextualisés que l’imagination peut se développer. La substance

1. Entendons par là celles que l’on retrouve au niveau des dictionnaires et des institutions telles que l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l’Organisme mondial de la santé (O.M.S.), la Mission interministérielle de lutte contre les drogues de les toxicomanies (MILDT).

56 La drogue : d’abord un mot puis une image symbolique

est pour le moins complexe1 car elle trouve ses racines dans un contexte culturel qui façonne des univers symboliques et mythiques2.

Tout au long de l’histoire de la colonisation, militaires et scientifiques rap- portent de leurs voyages une foule de pratiques nouvelles, et de produits associés au grand Ailleurs. Parmi ces pratiques, celle de la consommation de drogues : adjuvant créatif, voyage à la découverte de soi-même.

Lorsque Louis Aubert-Roche et Joseph Moreau de Tour découvrent le haschisch dans les années 1840 (le dawamesk, confiture verte d’Inde à base de chanvre), ils décident d’organiser des soirées vouées à sa consommation. Charles Baudelaire y résidait aussi à l’époque et participa aux soirées dont il tira ses « Paradis Artificiels ». Théophile Gautier fut un des premiers invités, suivi d’une pléiade de poètes, d’écrivains, de peintres et autres artistes. Il publia en 1846 un conte, Le Club des haschischins, qui donna son nom aux membres des soirées du 17, quai d’Anjou.

Pratiquement 800 ans plus tôt, en 1090 la secte des Haschischin (Ismaé- liens en fait), située dans une région austère proche de l’Irak voit le jour. Son objet est de combattre par tous les moyens les fervents défendeurs du Coran. On les nomme aussi les « assassins ». Avant de partir au combat ces jeunes recrues vouées à la mort, entrevoient le paradis qui les attend grâce à un site verdoyant dans lequel ils sont transportés et où ils dégustent une potion « paradisiaque » (un mélange d’opium, de jusquiame et de chanvre) qui pro-

meut l’amalgame haschisch/assassin.

Un autre exemple de présentation mythique de la drogue s’accorde à démontrer leur aspect envoûtant : le corps du toxicomane est possédé par le produit. L’individu est habité, envahi par une entité surnaturelle qui le gou- verne. Le toxique figure cette entité, le Malin, d’autant plus qu’il recèle une part de référence à l’étranger. L’Odyssée d’Ulysse nous en apprend long sur cette philosophie : une des premières épreuves d’Ulysse est celle des mangeurs de lotus.

Le dixième jour nous abordâmes la terre des lotophages, qui se nourrissent d’une fleur. Là, étant montés sur le rivage et ayant puisé de l’eau, mes com- pagnons prirent leur repas auprès des nefs rapides. Et alors, je choisis deux de mes compagnons, et je les envoyais afin d’apprendre quels étaient les hommes qui vivaient sur cette terre. Et ceux-là étant partis ils rencontrèrent les loto- phages, et les lotophages ne leur firent aucun mal, mais ils leur offrir le lotus à manger. Et dès qu’ils eurent manger le doux lotus, ils voulaient rester avec les lotophages et manger du lotus. Et, les reconduisant aux nefs, malgré leurs larmes, je les attachais sous les bancs de nefs creuses ; et j’ordonnais à mes

1. On se référera ici à la pensée d’Edgar Morin : complexe, composé d’une multitude d’élé- ments, d’interactions, d’effets directs ou indirects, de rétroactions. Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, E.S.F., 1990.

2. Cf. Hélène Houdayer, « Méthode et objet : un pacte épistémologique, Les consommations de drogue comme objet de recherche », Esprit critique, revue électronique de sociologie vol. 5, no3, été 2003.

Hélène Houdayer 57

chers compagnons de se hâter de monter dans nos nefs rapides, de peur qu’en mangeant le lotus ils oubliassent le retour1.

« La drogue » est d’abord représentation puisque ses effets changent selon les produits, les individus et le contexte. À partir de là l’imagination peut se mettre en marche sous la forme d’images symboliques.

Les symboles de la drogue vont puiser directement au niveau des significa- tions de la prise du produit : substance interdite, nocive, voire mortelle, mais aussi source de plaisir : ainsi trouve-t-on une définition en rapport avec la loi, le corps, la mort, le plaisir, hauts lieux de cristallisation de l’imagination.

Car une des toutes premières images symboliques qui s’imposent à propos de l’usage de drogue concerne aussi la maladie. La substance est envisagée comme source de dépendance, de contagion, de désœuvrement et de pra- tique de mort. Une telle approche aboutit à des conceptions sur la santé et sur la maladie qui témoignent du malaise que l’on ressent lorsqu’il s’agit des drogues. C’est ici l’image qui donne au symbole son sens. Nous faisons alors appel au « langage symbolique » et à ses différentes dimensions (Xiberras, 2002, 32). Une dimension dite cosmique qui nourrit le symbole du monde environnant : médecins et malades sont là pour témoigner de la déchirure que représentent les consommations de drogues les plus dures. Une dimension onirique faites de rêves et de souvenirs intervient pour renforcer l’image de chute présente chez l’usager, c’est la descente, le manque, la souffrance. Enfin dans sa dimension poétique le symbole de la maladie puise ses référents dans des situations paroxystiques : la douleur décrite par Freud face à la cocaïne, l’overdose dénoncée par les médias.

Cependant les drogues conservent leurs mystères du fait de leur côté ambi- valent : à la déchirure se substitue l’évocation des paradis artificiels ; à la chute la montée vers le plaisir ; à Freud Baudelaire.

C’est ce qui donne à la drogue sa dimension mythique si l’on se réfère aux structures anthropologiques de l’imaginaire proposées par Gilbert Durand (1960) et en particulier l’inversion des régimes de l’image. Le régime diurne de l’image combat la drogue tandis que le régime nocturne tente de s’en accommoder. La drogue symbolise alors une source de vie, mais par l’excès et la passion qu’elle occasionne elle est simultanément source de mort.

Le régime nocturne de la drogue semble être du côté du consommateur par son côté intime. Ainsi en est-il de l’usage du cannabis qui s’est étendu à toutes sortes de groupes sociaux et qui font que sa production est largement sortie de ses limites traditionnelles. Les consommateurs savent désormais culti- ver leurs produits. « Ils ont appris le rôle de l’ensoleillement, de la terre, des engrais, de la taille, du moment de la récolte ainsi que des modalités de trai- tement et de conservation des sommités fleuries. Enfin, ils ont compris que la culture hydroponique et le clonage permettaient la production automatisés

58 La drogue : d’abord un mot puis une image symbolique

et continue de quantités importantes de cannabis, ce dans un local de taille réduite et sans lumière naturelle » (Sanchez, 2003, 129).

Recettes, travaux pratiques, horticulture, histoire, culture, médecine et légis- lation forment le quotidien des consommateurs de drogues.

Que la drogue soit dure ou douce, elle présente un aspect mystérieux et insondable qui laisse au consommateur une expérience intérieure.

Ainsi cet exemple poignant d’un consommateur de cocaïne : « Il y avait toujours chez moi cette espèce de lutte permanente [...] Je faisais sur moi un travail inimaginable pour essayer de contrôler mon souffle, le débit de mes paroles, de manière à vraiment pouvoir parler aux gens. (p. 25) »

Tandis que le régime diurne développe des gestes de purification et d’éléva- tion qui donne au régime un accent guerrier au profit de la lutte institutionnelle contre la drogue (médicale, pénale, économique).

Le toxicomane se trouve dans une structure d’auto-intoxication volontaire dans la mesure où malgré la connaissance de l’interdit et du danger présent dans l’usage de drogue, celui-ci choisit de consommer. Face à ce choix d’in- toxication, le droit pénal français légitime un droit de regard public, souvent en désaccord avec l’intimité du sujet dans le cadre de la lutte contre la drogue et la toxicomanie : surveillance sanitaire, augmentation des peines, prolonga- tion du délai de garde à vue, perquisitions de nuits, saisies et confiscations de biens... Le toxicomane se voit affliger le même traitement que le terro- riste. Dans l’imaginaire l’amalgame se fait rapidement. Les partis extrémistes réclament d’ailleurs la peine de mort pour les dealer.

Le toxicomane peut être comparé au terroriste selon le fonctionnement de l’impureté. « C’est cette fonction de manipulateur de l’impur qui fait du terro- riste, nécessairement et volontairement, un être marginalisé, désocialisé, voué à une expérience tragique qu’il a provoqué dont il se pense l’ordonnateur. La distance avec les sociétés, les groupes sociaux dont il provient et ceux que l’on interpelle, trouve son origine, avant d’être rattaché aux enjeux de l’his- toire, dans ce rôle, que toute société désigne comme distinct, séparé et qui échoit à ceux qui se font une spécialité d’approcher les dangers qui dépassent la condition humaine normale1».

Les peines ne sont pas la seule chose qui autorisent la comparaison du toxicomane avec la figure du terroriste, les procédés utilisés pour traquer les trafiquants et les toxicomanes sont à la hauteur de ceux des terroristes. Le nouveau Code pénal, entré en vigueur en 1994 (loi du 16 décembre 1992), reprend la plupart des dispositions de la loi de 1970, inscrites à l’origine dans le code de la Santé Publique, à l’exception de celles relatives à l’usage. De nouvelles dispositions « criminalisent » les infractions commises dans le cadre du trafic organisé. Les peines d’emprisonnement atteignent 30 ans pour la pro- duction, la fabrication, l’importation et l’exportation de stupéfiants en bande

1. Alain Pessin, « Structures politiques de la transgression », Cahiers de l’imaginaire, 1988, no2,

Hélène Houdayer 59

organisée. Le dirigeant d’une organisation de trafic encoure la réclusion crimi- nelle à perpétuité.

L’aspect mystérieux et ambivalent des drogues provient de cet aller-retour (le trajet anthropologique) entre le régime nocturne et diurne et qui permet aux univers symboliques et mythiques de la drogue de conserver toute leur efficacité. Ainsi ce consommateur explique comment il est passé d’une douce quiétude, d’un confort intérieur avec sa drogue à une sensation plus doulou- reuse qui l’a dirigé vers un relais institutionnel de traitement de la dépendance : le soutien médical.

par ailleurs il ne faut pas oublier qu’il y a une sensation de plaisir dans la drogue [...] prenez n’importe quel toxicomane qui a pris de l’héroïne blanche, il vous dira la même chose : cela a un goût [...] ça descend dans la gorge. C’est peut- être une sensation de chaleur qui vient plus vite, une sensation de bien-être qui est plus palpable.[....] J’ai fait une vraie rencontre avec un médecin1.

Dans le document Symboles et symbolismes (Page 56-60)