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2. Bifidobactéries et Tolérance aux Stress

2.1. Tolérance au stress acide

2.1.1. Physiologie du pH

Le pH est défini comme la valeur négative du logarithme décimal de la concentration en ions hydrogènes (protons). C’est l’unité standard mesurant le degré d’acidité ou d’alcalinité d’une solution aqueuse. On considère une solution comme acide si son pH est inférieur à 7. En conséquence, les environnements acides sont caractérisés par une concentration élevée en protons. Les acides non dissociés peuvent diffuser de façon passive à travers les membranes cytoplasmiques suivant un gradient électrochimique. En l’absence de mécanisme de protection, ils acidifient le cytoplasme, entrainant ainsi une perturbation dans le métabolisme cellulaire pouvant conduire à la mort cellulaire. C’est pourquoi l’existence de mécanismes moléculaires permettant de maintenir le cytoplasme à des valeurs de pH physiologiques est essentielle pour la survie des bactéries dans des environnements acides. La plupart des enzymes du métabolisme ayant un optimum d’activité à pH légèrement acide, une diminution brutale du pH entraine un arrêt du métabolisme bactérien. En raison de leur catabolisme, les bifidobactéries acidifient leur environnement à travers la fermentation des sucres par la production d’acétate et de lactate (Vernazza et al., 2006). Leur activité métabolique implique donc un stress acide durant la phase stationnaire, phase où le métabolisme énergétique est ralenti et où l’ATP est peu disponible pour les ATPases membranaires. De plus, les bifidobactéries incluses dans des produits fonctionnels peuvent faire face à des environnements acides lors du stockage, notamment dans le cas des produits laitiers fermentés (Jayamanne and Adams, 2006). Enfin, après avoir été ingérées, les bifidobactéries rencontrent des conditions drastiques dans l’estomac, puisque la nourriture y reste aux alentours de 90 minutes à un pH proche de 2. La sélection de souches possédant une grande tolérance à l’acidité est donc très intéressante pour l’industrie agro-alimentaire.

2.1.2. Réponse ATR des bifidobactéries

Chez les bactéries, les mécanismes inductibles, déclenchés par une exposition à un stress acide modéré et conduisant à une adaptation à des valeurs de pH plus létales, sont dénommés ATR (Acid Tolerance Response). L’ATR est caractérisé comme étant un procédé complexe impliquant des changements dans la transcription de plusieurs gènes et dans la synthèse d’un grand nombre de protéines (Tableau 4).

Tableau 4 : Gènes et protéines impliqués dans la réponse au stress acide. D’après (Sanchez et al., 2007a).

Fonction putative (nom) Activité

H+-ATPase, sous-unité alpha (AtpA, atpA) + Régulation du pH intracellulaire

H+-ATPase, sous-unité beta (AtpD, atpD) + Régulation du pH intracellulaire

Methionine synthase (MetE) + * ND

BSH (Bile Salt Hydrolase) – * Diminution l’activité BSH

Glutamine synthetase 1 (GlnA1) + Augmentation de la synthèse d’ammoniac

Protéine chaperone (DnaJ) – ND

+ : induction ; – : répression ; * : implication dans l’adaptation au stress ; ND : non determiné

Ce procédé est souche et espèce dépendante (Saarela et al., 2004). Les mécanismes associés à l’ATR peuvent être mis en œuvre simplement par l’entrée des cultures en phase stationnaire de croissance, en raison de la production fermentaire d’acides organiques. Ceci est une des raisons expliquant la meilleur résistance des cellules récoltées dans cette phase de croissance au pH acide (Samelis et al., 2003). Ainsi, la survie des bifidobactéries à des pH drastiques peut être améliorées si les cellules sont pré-exposées à des valeurs de pH sublétales, à travers l’induction de l’ATR (Maus and Ingham, 2003). De plus, les souches résistantes à l’acidité possèdent également une bonne résistance à d’autres stress (sels biliaires, NaCl) (Collado and Sanz, 2006). Inversement, l’exposition des bifidobactéries à des stress sublétaux, comme des températures modérées (40 à 47 °C), peut conférer une résistance croisée aux pH acides (Saarela et al., 2004).

La résistance des bifidobactéries aux valeurs de pH des produits laitiers fermentés ou à celles des fluides gastriques de synthèse est très variable (Sanz, 2007). De manière générale, la résistance des bifidobactéries au stress acide est faible, à l’exception de Bifidobacterium animalis (Masco et al., 2007). Cette espèce est d’ailleurs la plus utilisée dans les produits laitiers fermentés également en raison de sa bonne tolérance à l’oxygène (Vernazza et al.,

2006). C’est pourquoi, cette espèce, contrairement aux autres espèces de Bifidobacterium, est capable de maintenir sa viabilité lors du stockage des laits fermentés (Jayamanne and Adams, 2006; Jayamanne and Adams, 2009). Chez Bifidobacterium animalis, une forte induction de l’activité des ATPases membranaires a été observée, pouvant ainsi expliquer la résistance élevée au pH acide ; cette activité n’étant pas induite chez les souches moins résistantes aux environnements acides (Matsumoto et al., 2004). La résistance au pH acide de Bifidobacterium animalis peut être reliée à son excellente survie au passage du TGI de l’Homme (Alander et al., 2001).

En dépit de la faible résistance des autres espèces de Bifidobacterium au pH acide, certaines souches sont également capables d’induire une réponse ATR. C’est le cas de Bifidobacterium longum BL1, sélectionnée en raison de sa résistance à l’exposition à un fluide gastrique de synthèse (pH 3). Cette résistance est corrélée avec le maintien de sa viabilité durant le stockage d’un lait fermenté (Takahashi et al., 2007). Bifidobacterium longum est capable de maintenir un pH cytoplasmique plus élevé que les souches non résistantes au pH acide.

Enfin, l’acquisition de la résistance aux environnements acides peut induire des changements dans les propriétés de surface des Bifidobacterium. Ainsi, des souches résistantes au pH acide présentent une meilleure capacité à adhérer à la mucine humaine, et d’autres montrent une plus grande habilité à inhiber l’adhésion de certains pathogènes, ou à prendre la place de pathogènes déjà adhérés (Collado et al., 2006). Cependant, l’adaptation au milieu acide peut entrainer de profond changement dans la susceptibilité aux antibiotiques des souches de bifidobactéries (Collado et al., 2007). En effet, la résistance aux aminoglycosides, au chloramphénicol, à l’érythromycine ou à la tétracycline augmente chez plusieurs souches de Bifidobacterium qui ont survécu à l’exposition à des stress acides drastiques (pH 2 / 60 min) (Kheadr et al., 2007).

2.1.3. Résistance au stress acide

Deux des principaux mécanismes dans la résistance au pH acide sont l’extrusion active des protons et l’alcalinisation du cytoplasme. Chez les bactéries anaérobies, l’excès de protons apparaissant dans un environnement acide est contrebalancé par l’activité de la F0F1-ATPase (Matsumoto et al., 2004). Cette enzyme catalyse l’hydrolyse de l’ATP, ce qui permet la translocation de protons à travers la membrane cytoplasmique contre un gradient électrochimique. Donc, l’action de la F0F1-ATPase maintient le pH du cytoplasme à des

valeurs physiologiques lorsque les bifidobactéries sont en conditions de pH très acides. Outre l’activité de la F0F1-ATPase, la formation d’ammoniac est également un mécanisme de tolérance au pH acide largement répandu chez les bactéries. En effet, étant un composé basique, l’ammoniac peut capter un proton, conduisant à l’ion ammonium et par conséquent tamponner le cytoplasme à pH acide (Cotter and Hill, 2003) (Figure 10).

Chaperones Protéases

Glycolyse

SOS

Hydrophobicité

Changement des acides gras, phospholipides et glycolipides Protéines de surface Polymères exocellulaires ? C tr B L 0 9 2 0 BSH AA Source énergétique ? Changement dans la susceptibilité aux antibiotiques Adhésion au mucus Glycolyse H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ H+ ATP ADP + Pi AA - +H+ H+ H+ H+ Glucides ↑ BCAA Oxoglutarate Glutamate Glutamine NH4+

Figure 10 : Réponse aux stress acide et bile chez Bifidobacterium. D’après (Sanchez et al., 2008).

L’activité de la F0F1-ATPase est directement reliée à l’ATR chez Bifidobacterium, tout comme chez d’autres anaérobies ou anaérobies facultatives. L’addition de pepsine à une culture de Bifidobacterium animalis confère un effet protecteur contre les pH acides en facilitant l’activité de la F0F1-ATPase (Matto et al., 2006). La présence de glucose dans un tampon acide ralentit également la perte de viabilité de cultures de Bifidobacterium animalis récoltées en phase stationnaire de croissance en servant de « fuel » métabolique pour la F0F1-ATPase (Sanchez et al., 2006).

De plus, la quantité d’enzymes responsables de la biosynthèse des acides aminés branchés (BCAA, « Branched-Chain Amino Acids »), comme la glutamine synthétase, est augmentée chez Bifidobacterium longum en condition acide (Sanchez et al., 2007a). Ces données

protéomiques supportent l’hypothèse que la synthèse des BCAA serait couplée à la bioconversion du glutamate en oxoglutarate ; le glutamate étant obtenu par la déamination d’une molécule de glutamine (Len et al., 2004). L’ammoniac libéré par la dernière réaction servirait de tampon en condition acide en captant un proton (van de Guchte et al., 2002). Ce fait est corroboré avec les expériences de physiologie dans lesquelles une plus grande concentration en valine (BCAA) et en ion ammonium a été mesurée chez des cellules de Bifidobacterium longum cultivées en condition acide (Sanchez et al., 2007a).