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1.2.1 Objets mathématiques et représentations en environnements numériques d’apprentissage

a. Problèmes de représentation

Plusieurs courants de recherche en didactique et en « éducation mathématique » considèrent l’activité mathématique comme un travail sur des objets qui ne sont pas accessibles directement, mais par le biais de « représentations », c'est-à-dire d’entités matérielles supports de ce travail (Lagrange et al. 2011). A fin d’opérer sur ces objets, il nous faut les représenter. Les questions de représentation en « éducation mathématique » ont fait l’objet de nombreuses recherches parmi lesquelles Goldin & Kaput, 1996 ; Duval, 1999 ; Cobb, 2000 ; Yerushalmy, 2005. L’introduction de nouveaux outils met les questions de représentation au premier plan. Le développement de technologies numériques pour l’enseignement des mathématiques est considéré comme apportant une contribution particulière en élargissant la diversité des représentations et des moyens de les manipuler.

Dans le contexte de recherche en « éducation mathématique », il est important de distinguer entre représentations externes et représentations internes des objets mathématiques. Le terme représentations externes (ou représentations physiques externes) concerne des configurations observables, physiquement incarnées comme discours, mots, graphes, formules, dessins, équations, micro-mondes… Elles sont en principe accessibles à l’observation par une personne possédant des connaissances appropriées. En revanche, le terme représentations internes (ou représentations mentales internes) désigne des configurations et processus mentaux propres aux apprenants, leurs constructions de symbolisation personnelle, c'est-à-dire leurs propres significations des objets mathématiques (des représentations psychologiques des individus), ainsi que, leurs images visuelles et représentations spatiales… Evidemment, ces configurations ne sont pas directement observables. Des chercheurs induisent des configurations mentales des élèves à partir de leurs comportements externes.

L’interaction entre les représentations externes et internes est fondamentale pour des enseignements et apprentissages efficaces. Quelque soit la signification et l’interprétation que l’enseignant peut donner à une représentation externe, c’est sur le développement des représentations internes chez des élèves qu’il faut porter l’attention (Goldin & Shteingold, 2001). A travers l’interaction avec des représentations externes structurées dans l’environnement d’apprentissage, des systèmes de représentations internes se développent chez les élèves. La compréhension conceptuelle consiste en la puissance et la flexibilité des représentations internes, notamment la richesse des relations entre différents types de représentation.

Il est important de reconnaître qu’une représentation particulière peut avoir des significations différentes pour le concepteur et pour l’utilisateur. En particulier, tandis qu’un concepteur de l’outil peut avoir une idée claire de la façon dont une représentation choisie se rapporte à un objet mathématique spécifique, cela ne garantit pas qu’un utilisateur puisse voir la représentation comme étant mathématique. Par conséquent, la représentation a une nature contextualisée et sociale, et la relation entre représentations et objets dépend donc de la perspective de l’interpréteur (Morgan, Mariotti & Maffei, 2009). Ces auteurs présentent notamment ce point de vue en soulignant que la relation entre objet et représentation s’inscrit dans des conventions sociales marquées par la culture d’une communauté. Il en résulte qu’on ne peut pas se limiter à un point de vue strictement cognitif lorsqu’il s’agit des processus d’apprentissage. La relation entre objet et représentation devrait être intégrée dans un processus d’apprentissage considéré de façon globale.

La façon dont les utilisateurs d’outils technologiques considèrent les représentations offertes par ces outils comme apportant une signification mathématique est également une préoccupation commune de l’équipe de recherche Européen TELMA3 (Bottino & Kynigos, 2009). La méthodologie d’expérimentation croisée utilisée par TELMA a visé à apporter un nouvel éclairage sur la nature contextualisée et sociale des représentations. Dans la même perspective, le projet Européen ReMath4 (Lagrange et al. 2011) permet de replacer la problématique « représentations numériques » dans l’ensemble du processus d’apprentissage tant au niveau de l’institution éducative et du curriculum que dans les pratiques en classe et dans les problématiques de recherche. Il s’agit de considérer que l’accès aux objets mathématiques passe par des représentations de ces objets, de voir l’impact des outils technologiques pour l’apprentissage des mathématiques par le filtre des représentations et de rechercher comment la question des représentations est posée dans différents cadres théoriques et contextes.

b. Distances épistémologiques et sociales

Dans le cadre de l’expérimentation au sein du projet TELMA, Morgan et ses collègues (ibid.) présentent la notion de « distance » comme un moyen de caractériser les différences entre objets et moyens de manipulation fournis par de nouveaux outils technologiques, et ceux utilisés en environnements papier/crayon. Ces auteurs ont également utilisé cette notion de distance pour considérer l’interaction entre des facteurs représentationnels et contextuels à la fois au niveau global (institutionnel et culturel) et local. Ils distinguent deux types de distance : la distance épistémologique et la distance sociale.

3 Technology Enhanced Learning in Mathematics.

4 Representing Mathematics with Digital Media, a Specific Targeted Research Project (IST4-26751),

La notion de distance épistémologique se rapporte à la relation entre des objets mathématiques et leurs représentations par des objets informatiques. Très schématiquement, un objet informatique se compose d’un composant externe et d’un composant interne. Le composant externe est normalement une représentation sur l’écran de l’ordinateur, immédiatement perceptible et éventuellement manipulable par un utilisateur. Le composant interne est quant à lui la configuration de code nécessaire pour que l’ordinateur puisse produire la représentation et son fonctionnement, notamment ses réponses à la manipulation de l’utilisateur. Les composants internes et externes sont liés de telle manière qu’un changement effectué dans l’un d’entre eux entraîne une modification correspondante dans l’autre. Un objet informatique peut être donc considéré comme une représentation d’un objet mathématique. Par exemple, un objet informatique comme un curseur dans un environnement de géométrie dynamique peut être considéré comme une représentation d’un objet mathématique « variable », et peut être associé à la représentation standard d’une variable avec une lettre. Ce qui est intéressant est que les différentes représentations impliquent différentes significations pour un objet mathématique. Les approches socio-culturelles mettent en avant l’influence des artefacts (et des représentations elles-mêmes) dans la médiation de la construction de connaissances et la nature des connaissances construites. Noss et Hoyles abordent la construction de connaissances dans le contexte d’usage des artefacts informatiques : « knowledge acquired through new tools is new knowledge, Microworld Mathematics is new mathematics » (Noss & Hoyles, 1996, p. 106). Par conséquent, les différents systèmes de représentation offrent différentes possibilités pour la construction de significations mathématiques. Les possibilités (« affordances ») différentes d’accès aux significations (« meanings ») sont selon Morgan et ses collègues (ibid.) constitutives de la distance épistémologique.

Les représentations des objets mathématiques offertes par les artefacts numériques influencent les constructions de signification mathématique chez des élèves lorsqu’ils utilisent ces environnements technologiques. L’effet de cette influence dépend de facteurs globaux et locaux comme le curriculum et son implémentation, la nature de pédagogie habituelle, la conception des activités mathématiques des élèves en classe… Kynigos & Psycharis (2009) ont indiqué que ces facteurs affectent non seulement la fréquence dans laquelle les systèmes scolaires et les enseignants sont susceptibles d'utiliser des outils technologiques spécifiques, mais aussi la manière dont ces outils sont susceptibles d'être utilisés en classe. Morgan, Mariotti & Maffei (ibid.) utilisent la notion « distance sociale » pour caractériser ces différences liées aux contextes.

1.2.2 TICE et l’apprentissage des fonctions : multi-représentations et possibilités pour l’action des élèves

Une des caractéristiques des nouvelles technologies numériques qui est largement prise en compte par les chercheurs en didactique des mathématiques et les concepteurs de logiciels est la facilité de fournir des -représentations multiples des objets mathématiques et de les relier dynamiquement. Cette caractéristique est beaucoup exploitée dans le cas de l’enseignement et l’apprentissage des fonctions où la possibilité de relier différentes représentations et de basculer de l’une à l’autre est reconnue comme un élément important pour la conceptualisation des fonctions. Dans les environnements numériques dédiés aux fonctions les objets informatiques sur lesquels les élèves travaillent peuvent être considérés soit comme transposition de représentations standard en environnement papier/crayon, soit directement comme représentation d’un objet mathématique (par exemple, un graphe sur calculatrice peut être vu comme l’équivalent d’une représentation graphique en papier/crayon d’une fonction f ou représenter directement l’objet mathématique « fonction f » Selon Morgan et ses collègues (ibid.), l’avantage pédagogique semble résider dans les possibilités (« affordances » ) que les nouvelles représentations informatiques peuvent offrir et les possibilités de relier dynamiquement les différentes représentations (Confrey & Smith, 1994 ; Schwarz & Dreyfus, 1995 ; Kaput & Schorr, 2008).

Une autre caractéristique importante des nouvelles technologies numériques est qu’elles offrent de nouvelles façons de former et de transformer dynamiquement des relations entre représentations. Par exemple, en environnement papier/crayon, un changement de la valeur d’un paramètre dans une équation de fonction serait associé à la construction d’un nouveau graphe. Tandis que dans les environnements logiciels, tout changement dans une formule peut transformer automatiquement le graphe correspondant, ce qui peut permettre aux élèves de comprendre les effets du paramètre sur la relation entre les formes algébrique et graphique, entre la valeur attribuée au paramètre et la forme générale du graphe. Le potentiel cognitif d’un tel fonctionnement des multi-représentations conduit à des activités cognitives cruciales pour développer une compréhension des objets mathématiques (Morgan, Mariotti & Maffei, ibid.)

Les représentations dynamiques offertes par les TICE peuvent fournir une représentation visuelle d’une continuité potentielle qui n’est pas disponible dans les objets statiques traditionnels. Dans les environnements de géométrie dynamique, nous pouvons non seulement dessiner mais encore faire l’expérience de la variabilité de nos dessins. L’effet dynamique obtenu lors de l’application de l’outil de déplacement à une figure conduit à percevoir un mouvement continu (une figure mobile) correspondant à une déformation de la figure originale. En s’appuyant sur le point de vue sémiotique, Falcade, Laborde & Mariotti (2007) exploitent la métaphore du mouvement via les représentations dynamiques en environnement de Cabri pour représenter des variations et des

dépendances. Cela rend ces environnements utiles pour soutenir des formes particulières de conceptualisation, non seulement des figures géométriques. Ceci est transposable aux fonctions.