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Chapitre III : le XVIIe siècle

3) Thomas Hobbes

Là où More percevait les lois naturelles comme garantes de la subsistance de chaque individu, Thomas Hobbes, qui appréhendait la nature humaine de manière plus pessimiste, les limitait au seul besoin d’autoprotection présent chez chaque personne et à la nécessité de se tenir éloigné des risques.

A Law of nature (lex naturalis) is a precept or general rule, found out by reason, by which a man is forbidden to do that which is destructive of his life, or taketh away the means of preserving the same; and to omit that, by which he thinketh it may be best preserved.618 Chez Hobbes, les lois de la Nature impliquaient la préservation de l’individu et le maintien de la paix dans la mesure où personne ne peut nuire à autrui sans avoir à craindre d’éventuelles conséquences. Ainsi, en Grande-Bretagne, la place d’une colonie au sein d’un commonwealth a été décrite par Thomas Hobbes dans le Léviathan.

615 Ibidem, pp. 381-382. 616 Ibidem, note 2.

617 A. PAGDEN, Op. cit., p. 52.

618 Th. HOBBES, The moral and political works of Thomas Hobbes of Malmesbury, Londres, 1750, p. 151.

154 The procreation, or Children of a Commonwealth, are those we call Plantations, or Colonies, which are numbers of men sent out from the commonwealth, under a conductor or gouvernor, to inhabit a foreign country, either formely void of inhabitants, or made void then, by war. And when a colony is settled, they are either a commonwealth of themselves, discharged of their subjection to their sovereign thaht sent them (as hath been done by many commonwealths of antient time) in which case the commonwealth from which they went was called metropolis, or mother, and requires no more of them, than fathers require of the children whom they emancipate, and make free from their domestic government, which is, honour and friendship; or else they remain united to their metropolis, as were the colonies of the people of Rome; and then they are no commonwealths themselves, but provinces, and parts of the commonwealth that sent them.619

Si Hobbes percevait les lois de la nature comme une série de préceptes imposés par la raison, sa perception de l’état de nature demeurait négative, puisqu’il le définissait comme l’état de la guerre du « tous contre tous », où le fort domine le faible.620 Hobbes, qui au début de sa carrière avait travaillé pour la Virginia Company, une compagnie privée responsable de la colonisation et du peuplement de la Virginie, fut témoin des premières entreprises britanniques de colonisation. Noel Malcolm attribua l’intérêt de Hobbes pour Thucydide (dont il publia une traduction en 1628) à ces premières années de formation.621 De fait, Hobbes développa une vision du colonialisme comme vecteur d’expansion culturelle, théorie influencée par les sources anciennes,622 et comme une façon d’étendre la culture et la langue anglaise dans un contexte jusque-là dominé par les Espagnols. Il percevait aussi le Nouveau monde comme un état d’anarchie permanente, car proche de l’état de nature, ce qui légitimait pour Hobbes la colonisation des Amériques. Par cette prise de position, Hobbes déniait aux autochtones le statut d’hommes civilisés, car

619 Th. HOBBES, The moral and political works of Thomas Hobbes of Malmesbury, Londres, 1750, p. 208. 620 Ibidem, pp. 149-150. Cf. St. J. FINN, Thomas Hobbes and the politics of natural philosophy, Londres –

New York, 2006, pp. 51-52.

621 N. MALCOM, Hobbes, Sandy, and the Virginia Company in Aspects of Hobbes, Oxford, 2002, p. 72.

Cf. P. ZAGORIN, Hobbes and the law of nature, Princeton, 2009, p. 88.

622 Th. HOBBES, Op. cit., p. 385. D. JOHNSTON, The Rhetoric of Leviathan. Thomas Hobbes and the

politics of cultural transformation, Princeton, 1986, p. 197. Cf. Ch. WARREN, Hobbes’s Thucydides and

155 incapables d’élaborer un État viable et structuré.623 En outre, la comparaison des relations entre métropoles et colonies aux relations familiales selon une approche inspirée des lois de la nature fut récurrente dans le courant du XVIIIe siècle. Elle fut notamment perceptible lors de la Révolution américaine, durant laquelle les auteurs cherchèrent à définir les droits naturels des colons.624 Au contraire de la plupart de ses successeurs, Hobbes était royaliste et voyait dans l’État, qu’il soit monarchique ou non, la seule garantie possible des libertés individuelles.625 En matière de liberté, Hobbes affirmait l’égalité de la monarchie par rapport aux régimes républicains, partant du principe qu’un citoyen était libre de faire ce qui n’est pas interdit par le souverain, et que la peur inspirée par ce dernier maintenait la cohésion au sein du corps social. L’auteur opposait cette théorie à celle de la liberté par la participation citoyenne chère aux républicains.626 Pour Hobbes, une monarchie peut permettre davantage de libertés qu’un régime républicain, où la loi est davantage susceptible de modification du fait de la participation citoyenne, ce qui peut aboutir à une anarchie.

Liberty, or freedom, signifieth (properly) the absence of opposition; (by opposition, I mean external impediments of motion;) and may be applied no less to irrational and inanimate creatures, than to rational. For whatsoever so tied or environed, as it cannot move, but within a certain space. Which space is determined by the opposition of some external body, we say it hath no liberty to go further…627

Fear and Liberty are consistent; as when a man throweth his goods into the sea for fear the ship should sink, he doth it nevertheless very willingly, and may refuse to do it if he will: it is therefore the action of one that was free. So a man sometimes pays his debt, only for fear, only for fear of imprisonment, which becaue nobody hindered him from detaining,

623 R. L. NICHOLS, Realizing the social contract in Contemporary political theory, n. 4, Avenell, 2005, p.

46 et P. MOLONEY, Hobbes, savagery, and international anarchy in American political science review, vol. 105, n.1, Cambridge – New York, 2011, pp. 202-203.

624 Cf. par ex. J. OTIS, The Right of the British colonies asserted and proved, Londres 1764, pp. 38-40. 625Idem, p. 213. Cf. Q. SKINNER, Hobbes et la conception républicaine de la liberté, Paris, 2009, pp. 203-

207.

626 Ph. PETTIT, Républicanisme : une théorie de la liberté et du gouvernement, Paris, 2004, pp. 59-60. Cf.

A. P. MARTINICH, Hobbes’s reply to republicanism in Rivista di Storia della filosofia, vol. 59/1, Milan, 2004, pp. 227-239, Ch. MIQUEU, En-deçà de la sujétion : Hobbes et le problème de la citoyenneté in

Hobbes : nouvelles lectures, Bordeaux, 2008, pp. 115 et Idem, Les complexités de l’héritage républicain in Qu’est-ce qu’un héritage, Bucarest, 2009, pp. 78-79.

156 was the action of a man at liberty. And generally all actions which men do in commonwealths, for fear of the law, are actions which the doers had liberty to omit.628 Et de conclure :

Again, if we take liberty for an exemption from laws, it is no less absurd for men to demand as they do, that liberty, by which all other men may be masters of their lives. And yet as absurd as it is, this is it they demand; not knowing that the laws are of no power to protect them, without a sword jn the hands of man, or men, to cause those laws to be put in execution. The liberty to buy and sell, and otherwise contract with one another; to chuse their own abode, their own diet, their own trade of life, and institute their children as they themselves think fit; and the like.629

Le rejet du républicanisme par Hobbes renvoie à sa méfiance de la nature humaine. Hobbes se méfiait aussi des régimes préconisés par des auteurs comme Aristote ou Cicéron, qu’il percevait davantage comme une récupération des systèmes politiques en vigueur à leur époque que comme une théorie novatrice où les lois de la nature auraient une influence prépondérante. L’inimité de Hobbes vis-à-vis des deux auteurs s’explique par les convictions républicaines de ces derniers, pour qui la monarchie relevait d’une forme de tyrannie.

And because the Athenians were taught (to keep them from the desire of changing their government) that they were freemen, and all that lived under monarchy were slaves; therefore Aristotle puts it down in his Politics (lib. 2. Cap. 2) In Democracy Liberty is to be supposed: for it is to be supposed: for it is commonly held, that no Man is free in any government. And as Aristotle, so Cicero, and other writers, have grounded their civil doctrine on the opinion of the Romans, who were taught to hate monarchy…630

S’il est admis que Hobbes percevait l’État comme un remède à l’état de nature et à la guerre du tous contre tous, sa perception des relations entre États a fait l’objet de débats. Certains auteurs, dont Hedley Bull, ont soutenu l’idée que Hobbes n’avait appliqué son commonwealth et les lois de la Nature qu’au seul niveau des États, limitant les relations

628 Ibidem, p. 189. 629 Ibidem, pp. 189-190 630 Ibidem, p. 191.

157 internationales à une hostilité permanente. Bull pointe ainsi l’influence de la Guerre du

Péloponnèse de Thucydide et de l’importance de la guerre comme facteur d’intimidation

entre cités grecques dans l’œuvre hobbesienne.631 À l’inverse, d’autres travaux plus récents ont attiré l’attention sur plusieurs formes de régulations des rapports entre États, présentes dans l’œuvre de Hobbes. Celui-ci assimilait les lois des nations, régissant les rapports des souverains entre eux, aux lois de la Nature.632 Outre le fait qu’il créait un parallèle entre individus et États, il mettait leurs préoccupations (en l’espèce la sécurité) sur un pied d’égalité. Partant de ce principe, certains historiens affirmèrent que la plupart des préoccupations individuelles présentes chez Hobbes se retrouvaient également à l’échelle des États. Ainsi, les intérêts matérialistes et la coopération nécessaire entre individus souhaitant accroître leurs possessions pouvait servir à élaborer une série de valeurs et d’intérêts communs entre États.633 De fait, les relations internationales hobbesiennes devaient faire l’objet de régulations, puisque l’auteur insistait sur l’obligation des souverains de ne pas entreprendre de guerres en vain, sous peine de ruiner leur commonwealth et nuire au bien-être de leurs sujets.

The last thing contained in that supreme Law salus populi, is their defense, and consisted partly in the obedience and unity of the subjects, of which hath been already spoken, and in which consisted the means of levying soldiers, and of having money, arms, ships, an fortified places in readiness for defence: and partly, in the avoiding of unnecessary wars. For such commonwealths, or such monarchs as affect war for itself, that is to say, out of ambition or of vain-glory, or that make account to revenge every little injury, or disgrace done by their neighbours, if they ruin not themselves, their fortune must be better than they have reason to expect.634

Si Hobbes traite du rôle de la dissuasion dans la protection des peuples, il insiste sur le devoir de tout souverain d’éviter de recourir aux armes. Hobbes puisait dans les précédents antiques des arguments soutenant ses pensées royalistes. Il fustigeait notamment l’attitude

631 H. BULL, Hobbes and the international anarchy in Social research, vol. 48, New York, 1981, pp. 718-

721.

632 Th. HOBBES, Op. cit., p. 254.

633 N. MALCOLM, Op. cit., pp. 452-453. Cf. aussi M. C. WILLIAMS, The Hobbesian theory of

international relations in Classical Theory in International Relations, Cambridge – New York, 2006, pp. 268-269.

158 d’Athènes, dont il critiquait les institutions démocratiques où l’électeur était sans cesse manipulé, ce qui aboutissait à des prises de décisions désastreuses pour le commonwealth.635 Même s’il était conscient du peu d’ascendant que la plupart des métropoles grecques avaient sur leurs colonies, il avait perçu chez Thucydide les conséquences des interactions entre deux politiques expansionnistes et celles de la lutte pour la possession d’une colonie.636 Conscient du danger d’une guerre coloniale à large échelle, le philosophe avait défini ses lois naturelles comme un moyen d’empêcher la propagation d’un conflit nuisible à toutes les parties.

Enfin, Hobbes affirmait la supériorité du commonwealth romain du fait de sa capacité à unifier les peuples soumis à une loi unique et à les intégrer à la cité de Rome, voire à ses institutions.637 La cité de Rome étendait son commonwealth avec une efficacité que n’était pas arrivée à atteindre l’Angleterre, notamment dans ses rapports avec l’Écosse.