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Chapitre II : Des concepts en contexte

4) Les apports de l’archéologie

Les traces archéologiques de la culture grecque archaïque sont omniprésentes dans le bassin méditerranéen et sur les pourtours de la mer noire. Ces vestiges permettent des évaluations plus précises des dates de fondations des premières colonies grecques ou des arrivées de colons grecs dans des établissements existant déjà.270 Ils permettent également de localiser les différents points de contact entre les Grecs et les autres peuples. Le cas de Vetren, analysé ci-dessus, offre une bonne illustration des processus d’échanges dans des zones périphériques du monde grec. Il atteste de la présence de ressortissants grecs dans une zone contrôlée par un roi barbare, vraisemblablement dans un but commercial, même si les fouilles n’ont révélé qu’une activité réduite.271 De même, le cas de l’ἐμπόριον de Saint-Blaise, dans le sud de la France, est révélateur d’une importante activité commerciale étrangère dans certains établissements grecs de Méditerranée occidentale, de nombreuses céramiques étrusques y ayant été trouvées.272 La présence de poteries non-grecques au sein d’ἐμπόρια est révélatrice de la croissance des États voisins, qu’il s’agisse de l’Étrurie du VIe siècle dans le cas de Saint-Blaise ou de la Phénicie dans le cas de colonies orientales, comme Al Mina.273

Par ailleurs, les fouilles archéologiques ont apporté de nombreux éclaircissements, notamment dans le cas de la colonisation grecque en Sicile, que ce soit pour isoler les liens entre les Grecs et les Sicules ou les liens entre les colons grecs issus de différentes métropoles et cohabitant au sein d’une même cité.274 Carla Antonaccio étudie la question des échanges culturels entre les Grecs et les barbares de Sicile275 en se fondant sur les

270 G. R. TSETSKHLADZE, Greek penetration of the black sea in The archaeology of greek colonization,

Oxford, 1994, pp. 111-135 et R. A. KEARSLEY, Greeks overseas in the 8th century B.C. in Ancient West

and East, vol. X, Louvain – Paris, 2011, pp. 109-134.

271 L. DOMARADSKA, Monuments épigraphiques de Pistiros in Bulletin de Correspondance hellénique,

vol. 123-1, Athènes, 1999, pp. 352-358.

272 B. B. SHEFTON, Massalia and colonization in in The archaeology of greek colonization, Oxford, 1994,

pp. 61-65.

273 Ibidem, pp. 61-65 et R. A. KEARSLEY, Op. cit., pp. 130-131. Cf. G. KESTEMONT, Les Phéniciens en

Syrie du nord in Studia Phoenicia, vol. 3, Louvain, 1985, pp. 135-153.

274 I. MALKIN, A colonial Middle Ground in The archaeology of colonialism, Los Angeles, 2002, p.156. 275 C. ANTONACCIO, Ethnicity and colonization, in Ancient perceptions of Greek ethnicity, Washington,

2001, pp. 113-157, Idem, Siculo-Geometric and the Sikels, in Greek Identity in the Western Mediterranean, Leiden-Boston, 2004, pp. 55-82 et Idem, Extending Colonization, in Ancient Colonizations: Analogy,

61 influences stylistiques réciproques au sein de la poterie en Sicile à l’époque archaïque. L’auteur traite ainsi de l’usage de céramiques grecques aux symopsia des Sicules, de même que des influences barbares sur la statuaire ou sur les pratiques funéraires des colons grecs.276 Thucydide rapporte que les Sicules ont occupé les parties les plus fertiles de la Sicile des siècles avant l’arrivée des Grecs, et qu’à son époque encore ils en habitaient le centre.277 Carla Antonaccio, estime que cet engouement des Sicules pour les poteries grecques remonterait aux premiers liens commerciaux avant la fondation des colonies grecques. Sur certains sites les échanges se seraient ensuite déroulés de manière formelle, dans des établissements prédéfinis (notamment des sanctuaires), avec les Grecs habitants sur la côte.278 Ces échanges pouvaient donc s’être produits sans nécessairement passer par l’intermédiaire de Sicules vivant au sein des colonies grecques.

La colonisation grecque eut donc d’importantes répercussions sur les États barbares de Méditerranée, qui profitèrent de ces implantations pour étendre leurs propres réseaux commerciaux. De même, les populations grecques des colonies bénéficièrent des apports culturels et économiques des nations voisines. La variété de céramiques d’origines différentes découvertes dans divers établissements grecs279 (comme Al Mina, au point que Kearsley l’assimile à un ἐμπόριον pour le VIIIe siècle)280 laisse supposer un processus d’acculturation des populations grecques et l’utilisation des comptoirs commerciaux grecs comme points de vente par des commerçants étrangers pour écouler leurs propres produits. Pour certaines régions, comme la péninsule ibérique, les traces archéologiques sont souvent les seuls indices dont nous disposions pour retracer les échanges commerciaux entre les colonies et les indigènes. Elles sont les témoins de l’expansion culturelle grecque, mais aussi des procédures d’acculturation qui poussèrent les barbares à modifier leurs

276 C. ANTONACCIO, Ethnicity and colonization, in Ancient perceptions of Greek ethnicity, Washington,

2001, pp. 131-135. Cf. G. SHEPHERD, Burial and religion in the Sicilian colonies in Acta Hyperborea, vol. 6, Chicago, 1995, p. 67.

277 THUCYDIDE VI, 2.

278 C. ANTONACCIO, Op. Cit., pp. 131-135.

279 J. BOARDMAN, The excavated History of Al Mina in Ancient West and East, vol. X, Louvain – Paris,

2011, p. 151.

280 R. A. KEARSLEY, Op. cit., pp. 130-131, cf. M. E. AUBET, The Phoenicians and the West. Politics,

62 comportements à large échelle à partir de points de contacts restreints avec les Grecs.281 Sans attester de l’évolution des populations grecques ou de leurs réseaux commerciaux, elles illustrent le parcours d’une culture que l’on importe et qui s’imisce de façon graduelle à une région concernée par l’intermédiaire des autochtones eux-mêmes. Le mouvement est souvent initié par les franches aisées des sociétés locales, qui achètent ces biens comme des prouduits de luxe.282 Par ailleurs, les premières poteries grecques furent diffusées en Espagne près de deux siècles avant la foundation des premiers ἐμπόρια dans le nord-est de la péninsule ibérique.283 Dans le sud du pays, elles furent la plupart du temps l’œuvre d’ateliers implantés dans les régions contrôlées par les Phéniciens, ce qui atteste d’une présence ou au moins d’une influence grecque dans la région.284 Selon Pierre Rouillard, cette évolution culturelle intervient en marge de la colonisation de l’époque, qui avait conduit les Grecs à fonder les premiers établissements en Méditerranée occidentale, notamment à Marseille. Certains auteurs comparèrent cette transition à celle qui avait eu lieu en Amérique du nord lors de la colonisation française, où les populations amérindiennes et françaises subirent des influences réciproques en des lieux où aucune culture ne pouvait l’emporter sur l’autre. Dans ces régions, une nouvelle culture se développa, fondée sur la nécessité de ces échanges culturels et commerciaux.285

281 P. ROUILLARD, Les Grecs et la Péninsule ibérique du VIIIe au IVe siècle avant Jésus-Christ, Paris,

1991, pp. 320-334.

282 Ch. GOSDEN, Archaeology and colonialism. Cultural contact from 5000 BC to the present, Cambridge,

2004, pp. 60-72.

283 P. ROUILLARD, R. PLANA-MALLART et P. MORET, Les Ibères à la rencontre des Grecs in

Bibliothèque d’archéologie méditerranéenne et africaine, Aix-en-Provence, 2015, pp. 199-218.

284 Peut-être suite à une tentative ratée de colonisation aux VIII-VIIe siècles. P. ROUILLARD, Les

céramiques grecques dans le Sud-est de la péninsule Ibérique in Ier Congreso Internacional de

Arqueología Ibérica Bastetana, Serie Varia, vol. 9, Madrid, 2008, p. 73-92.

285 Voir R. WHITE, The Middle Ground: Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region, 1650-

1815, Cambridge, 1991. Voir aussi I. MALKIN, A colonial Middle Ground in The archaeology of colonialism, Los Angeles, 2002, p.156.

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