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L’introuvable définition médicale des HSE

2. Les HSE : d’insaisissables définitions médicales

2.4. Thérapeutique et prophylaxie

Une dernière possibilité d’identifier une définition médicale des HSE réside dans la thérapeutique et la prophylaxie. Mais il est difficile d’imaginer comment soigner des troubles dont le tableau clinique est vague, les causes inconnues ou alléguées, et les méca-nismes pathogéniques hypothétiques. La recherche de traitements ou de facteurs de protec-tion contre les HSE est donc peu développée. Elle peut s’appuyer sur différentes méthodes, dont la hiérarchie est strictement codifiée depuis l’émergence de l’« evidence-based medicine » (au début des années 1990) :

• La méthode des essais cliniques randomisés et contrôlés constitue l’« étalon-or » de la recherche thérapeutique [TIMMERMANS & BERG, 2003]. Elle consiste à

adminis-trer le traitement étudié à un groupe de sujets, puis à comparer l’évolution de leur état de santé avec celle d’un autre groupe de sujets, recevant un traitement à l’effica-cité connue ou un traitement placebo. Les sujets sont répartis aléatoirement entre les deux groupes, de manière à minimiser le biais de sélection (c’est-à-dire les erreurs résultant de l’absence de contrôle de certains paramètres susceptibles d’in-fluer sur l’issue du traitement lors de la constitution des groupes), et n’ont pas connaissance du groupe auquel ils appartiennent (afin de neutraliser l’effet de leurs anticipations).

• Ensuite viennent les études de cohorte, qui consistent à suivre deux groupes de sujets, l’un recevant déjà un traitement et l’autre ne le recevant pas, pour observer l’évolution de leur état de santé. Elles s’appuient sur une démarche observationnelle plutôt qu’expérimentale, que l’absence de randomisation rend vulnérable au biais de sélection, mais qui est applicable à des traitements très variés.

• Les études cas-témoins fournissent un niveau de preuve intermédiaire. Elles consistent à construire un groupe de sujets présentant une caractéristique intéres-sante, puis un groupe de sujets comparables mais ne la présentant pas, pour recher-cher dans leur passé des différences susceptibles d’expliquer l’occurrence de cette caractéristique. Elles reposent donc sur une méthode observationnelle rétrospec-tive, principalement adaptée à l’identification de facteurs de risques ou de protec-tion (la caractéristique étudiée étant alors un problème de santé). Dans la recherche thérapeutique, cette méthode est surtout employée pour détecter les effets secon-daires de certains traitements.

• Les études de cas fournissent des preuves parfois qualifiées d’« anecdotiques ». Elles consistent en la description du tableau clinique d’un ou plusieurs patients, du traite-ment qui leur a été délivré, et des résultats observés. Elles s’appuient sur une méthode expérimentale n’offrant aucune possibilité de contrôle (donc ne permet-tant pas d’attribuer avec certitude les effets observés au traitement testé) ni d’ana-lyse de représentativité (donc interdisant de généraliser).

• En dernier viennent les opinions expertes, qui ne reposent sur aucune méthode particulière d’objectivation des effets thérapeutiques, mais se fondent sur l’expé-rience pratique, des données physiologiques, ou des modèles de mécanismes patho-géniques.

Des traitements thérapeutiques ou prophylactiques efficaces pour les HSE ont-ils été identifiés ?

2.4.1. Études de traitements pour la MCS

Dans leur synthèse, DAS-MUNSHI et al. [2007] rapportent n’avoir identifié aucun essai clinique, et seulement sept études de cas. La majorité concerne des traitements psychothé-rapiques, prenant la forme de thérapies comportementales et cognitives [TCC]. Celles-ci constituent une tentative d’exploitation thérapeutique du phénomène de conditionnement. Elles visent à « désensibiliser » les patients, c’est-à-dire à atténuer ou à supprimer leurs réponses négatives inconscientes à certains stimuli. Dans le cas des personnes MCS, il s’agit d’éviter qu’elles n’amplifient leurs réponses aux produits chimiques par des comportements inadaptés (hyperventilation, attaque de panique, etc.) et ne développent des conduites aux effets invalidants (évitement phobique des espaces publics, retrait de l’activité profession-nelle, etc.). Les autres études concernent des traitements médicamenteux antidépresseurs. Dans leur ensemble, elles rapportent des résultats positifs variés : disparition de la sympto-matologie, atténuation de la réactivité aux odeurs, amélioration de la qualité de vie, etc. Leur cohérence n’est cependant pas évaluée. De surcroît, ces études concernent un très faible nombre de cas, et leur niveau de preuve est faible.

Les synthèses plus récentes n’évoquent aucune étude supplémentaire. Elles for-mulent des recommandations de prise en charge qui s’apparentent à des opinions expertes (elles ne s’appuient sur aucune évaluation explicite et semblent relever du sens commun médical). Mais ces recommandations visent davantage à préserver la relation médecin-pa-tient qu’à traiter la MCS. Par exemple, le rapport du DHA préconise de :

« Accept that the person with MCS feels ill and is affected by the illness; « Provide an empathic relationship to offer understanding and support; « Encourage self-management rather than offering or seeking a cure;

« Recognize and explain that no specific therapy has yet been proven to be of benefit; « Maintain a long-term positive approach. » [DHA, 2010, p.61]

Ce rapport présente aussi, faute de données plus satisfaisantes, les résultats d’une étude observationnelle des thérapies auxquelles recourent les personnes MCS [GIBSON et al., 2003]. Outre que leur niveau de preuve est considéré comme nul, ils incluent une extrême diversité de traitements (plus de 100), allant de régimes alimentaires variés à des pratiques de détoxification ou de relaxation – et dont le plus efficace est incontestablement, selon les participants, l’évitement des produits chimiques. Il n’y a là aucun élément permettant de formuler une définition thérapeutique ou prophylactique robuste de la MCS.

2.4.2. Études de traitements pour l’EHS

RUBIN et al. [2006] ont recensé les essais cliniques de traitements pour l’EHS : ils en ont identifié neuf publiés avant 2004. Les plus nombreux concernent des TCC. Comme dans le cas de la MCS, ces thérapies visent moins à soigner l’EHS qu’à en atténuer les retentissements sur l’existence quotidienne. Trois essais rapportent des effets positifs variés : diminution de la souffrance, de la sévérité des symptômes, de la sensibilité ou encore du handicap induit, jusqu’à six mois après la fin des thérapies. Mais ils utilisent comme contrôles des personnes ne recevant aucun traitement, ce qui ne permet d’exclure que ces évolutions résultent d’un effet placebo. Par ailleurs, un quatrième essai n’observe aucun effet des TCC. Un autre traitement a fait l’objet d’un essai clinique rapportant des effets positifs similaires : l’acupuncture. Mais ces effets apparaissent autant dans le groupe test (acupuncture profonde) que dans le groupe témoin (acupuncture superficielle). Les auteurs de l’essai ne les attribuent donc pas au traitement testé, mais à ses conséquences psychologiques : il a réduit la détresse des sujets en leur montrant que leurs symptômes pouvaient être soulagés et ne résultaient pas tous de l’exposition aux CEM. Enfin, plusieurs effets cliniques ne rapportent aucun effet significatif d’autres traitements : l’atténuation des CEM émis par les écrans cathodiques à l’aide de filtres transparents et la supplémentation alimentaire en antioxydants. Le rapport de l’AFSSET [2009] cite quatre études supplémen-taires, concernant la pratique du shiatsu et des prises en charge globales et prolongées. Elles décrivent des effets positifs, qui comme précédemment ne peuvent être distingués d’éven-tuels effets placebo. Aucun essai clinique n’a été conduit depuis, selon le pré-rapport de l’ANSES [2016]. Les synthèses que nous avons consultées ne mentionnent pas d’études de cas, et ne formulent pas de recommandations de prise en charge. Des données observation-nelles sont disponibles sur les traitements auxquels recourent les personnes EHS (dans HAGSTRÖM et al. [2013] par exemple) ; elles souffrent des mêmes limites que celles concer-nant les personnes MCS. En définitive, ces éléments sont trop lacunaires pour permettre d’en tirer une définition thérapeutique ou prophylactique de l’EHS.

Conclusion

Les HSE s’avèrent difficiles à définir en tant que maladies environnementales, dans toutes les branches du raisonnement médical : elles ne passent pas l’« épreuve du tangible » [CHATEAURAYNAUD, 2004] – du moins selon les modalités qu’elle revêt dans l’univers scienti-fique. Cette situation a conduit deux groupes d’experts mandatés par l’OMS à conclure que les appellations de MCS et d’EHS étaient inappropriées. À dix ans d’intervalle, ils ont

pro-posé de substituer à la première celle d’« intolérance environnementale idiopathique » [IEI] [ALTENKIRCH & FISHBEIN, 1996] et à la seconde celle d’« intolérance environnementale idiopathique

attribuée aux champs électromagnétiques » [IEI-EMF] [HANSSON MILD et al., 2006]. Si ces termes ne se sont guère imposés dans la littérature scientifique, ils expriment avec éloquence l’im-possibilité de définir médicalement les HSE : intolérance désigne une réponse physiolo-gique non spécifique (i.e., non immunolophysiolo-gique) à un stimulus quelconque ; idiopathique qualifie les maladies dont les causes et les mécanismes sont inconnus. Ils n’ont pas été remis en cause depuis leur invention, malgré une à deux décennies de recherches supplé-mentaires. Nul ne peut affirmer qu’ils le seront un jour.

3. Les troubles somatoformes : une définition médicale alternative des