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L’introuvable définition médicale des HSE

2. Les HSE : d’insaisissables définitions médicales

2.2.2. Études expérimentales de l’étiologie des HSE

Les difficultés soulevées par l’interprétation des résultats de ces études ont incité (parmi d’autres raisons, que nous examinerons en conclusion de cette section) à recourir à une autre démarche : l’exposition expérimentale de personnes hypersensibles aux facteurs étiologiques présumés. En laboratoire, il est possible d’en contrôler précisément les para-mètres, de manière à identifier les plus déterminants dans l’apparition des troubles (par exemple, certains composés chimiques, ou des types particuliers de CEM). Ces derniers sont appréhendés à l’aide d’instruments variés : évaluations subjectives, mesures physiolo-giques, analyses biolophysiolo-giques, tests cognitifs, etc.

a. MCS

Un exemple d’étude de provocation visant à caractériser l’étiologie de la MCS est la recherche menée par STAUDENMAYER, SELNER & BUHR [1993]. Les participants ont été recru-tés entre 1985 et 1988 parmi les patients d’un institut américain spécialisé dans les allergies respiratoires, après un examen médical approfondi visant à exclure ceux dont les symp-tômes résultaient de maladies connues. Les modalités de l’exposition (substance chimique, durée, dose) étaient déterminées avec eux lors d’un entretien préalable. Le protocole expéri-mental était ainsi adapté à la sensibilité de chacun. Les tests de provocation étaient ensuite réalisés dans une cabine hermétique, composée de matériaux inertes, et alimentée en air par un dispositif de filtration éliminant la quasi-totalité des particules aériennes, des composés organiques volatils et des oxydants atmosphériques. Les substances testées (formaldéhyde, gaz naturel, produits d’entretien, etc.) étaient injectées dans le système de ventilation et leur concentration vérifiée à l’aide d’appareils de mesure. Certaines présentant une odeur carac-téristique, elles étaient administrées conjointement avec des arômes de cannelle ou de menthe, afin que les participants ne puissent déterminer olfactivement s’ils étaient soumis à une exposition réelle ou simulée. Le caractère doublement « aveuglé » des tests était ainsi préservé. Mais pour éviter que ces masques olfactifs n’induisent des réactions, qui consti-tueraient des faux positifs, ils étaient préalablement testés auprès des participants. Ceux-ci ont chacun réalisé de cinq à dix expériences, au cours desquelles (et jusqu’à 72 h après) ils devaient évaluer la sévérité de leurs réactions à l’aide d’une échelle à quatre degrés. Ils devaient aussi préciser s’ils pensaient avoir été exposés à la substance testée ou au seul masque olfactif. Simultanément, un investigateur consignait les symptômes observables

(hausse de la fréquence respiratoire, éruptions cutanées, etc.). Au total, 145 expériences ont été conduites avec 20 participants. Leur efficacité15 dans la détection des expositions réelles (57) et simulées (88) s’établit à 52,4 % – un taux comparable à celui qui résulterait de pré-dictions aléatoires. Leurs réactions physiologiques ne s’avèrent pas davantage corrélées aux expositions réelles. Les auteurs en concluent que les substances testées ne sont pas respon-sables des troubles rapportés par les participants.

Les études expérimentales de l’étiologie de la MCS ont été recensées par DAS -MUNSHI et al. [2006]. Ces auteurs ont identifié 37 études de provocation publiées avant la mi-2006, conduites auprès de 784 personnes MCS, et respectant trois critères de pertinence méthodologique : l’emploi de substances chimiques connues pour déclencher leurs réac-tions, le contrôle précis des exposiréac-tions, et la possibilité d’évaluer leur corrélation (par l’in-clusion de périodes de repos – sans exposition – ou d’expositions simulées). Leurs résultats s’avèrent dépendre de l’effectivité de l’« aveuglage » des sujets, c’est-à-dire de leur degré de méconnaissance de la nature réelle ou simulée des expositions. Lorsque les études sont ouvertes16, ou que les stimuli chimiques sont administrés à des doses supérieures au seuil de perception olfactif et sans recours à des masques olfactifs, les réponses des sujets MCS (y compris physiologiques) apparaissent corrélées aux expositions réelles. Mais lorsque les études sont conduites en aveugle, et que les stimuli chimiques n’y sont pas identifiables olfactivement, cette corrélation disparaît. Das-Munshi et al. en déduisent que les personnes MCS réagissent moins aux produits chimiques qu’à la perception qu’elles en ont, par l’inter-médiaire de leur odorat, et que leurs troubles sont de nature partiellement cognitive. Aucun résultat expérimental ne semble avoir invalidé cette conclusion par la suite.

b. EHS

Un exemple d’étude de provocation visant à caractériser l’étiologie de l’EHS est la recherche menée par ELTITI et al. [2007]. Les participants ont été recrutés au Royaume-Uni par l’intermédiaire d’un collectif de personnes hypersensibles et de petites annonces, après exclusion des consommateurs de substances psychoactives et des victimes de traumatismes crâniens. Ils étaient rémunérés et devaient prendre part à quatre sessions expérimentales espacées d’au moins une semaine. La première était une session d’habituation comportant des tests ouverts avec trois types d’exposition (à un signal GSM, à un signal UMTS, simu-lée). Les sessions suivantes étaient consacrées chacune à l’un de ces types, choisi

aléatoire-15 C’est-à-dire la proportion de vrais positifs et de vrais négatifs dans leurs réponses.

ment, et comportaient des tests en double aveugle. Ces tests étaient conduits dans une chambre blindée contre les CEM. Les participants étaient assis à 5 m d’une antenne, dissi-mulée par un écran sur lequel étaient projetées les instructions. Cette antenne était alimen-tée par un système constitué d’un générateur de signaux vectoriels, d’un multiplexeur, d’un amplificateur, et d’un mesureur de puissance. Il était piloté par un ordinateur de manière à générer des signaux comparables à ceux d’une antenne-relais GSM ou UMTS aux heures de pointe. Les expositions duraient 15 minutes pendant la session d’habituation et 50 minutes pendant les sessions suivantes. Les participants devaient estimer s’ils étaient réellement exposés, évaluer leur bien-être à l’aide d’échelles visuelles analogiques (d’anxiété, d’incon-fort, de fatigue, etc.), et préciser les éventuels symptômes qu’ils ressentaient sur une liste détaillée (issue d’une recherche précédente). Ces évaluations étaient complétées par diffé-rentes mesures physiologiques, comme la fréquence cardiaque et la conductance cutanée. Le protocole expérimental était donc hautement standardisé. Au total, 44 participants EHS et 114 contrôles ont pris part à l’intégralité des sessions. Pendant les sessions d’habituation, les premiers ont déclaré davantage de symptômes au cours des expositions réelles qu’au cours des expositions simulées. Mais pendant les sessions suivantes, où ils n’avaient pas connaissance du type d’exposition, cette corrélation a disparu. Leur efficacité moyenne dans la détection des expositions s’établit à 59,8 % (contre 50,1 % pour les contrôles) – mais l’intervalle de confiance à 95 % englobe la valeur 50 %, ce qui interdit de conclure rigoureusement à une efficacité supérieure à celle de prédictions aléatoires. Les auteurs en déduisent que les participants EHS ne réagissent pas aux CEM testés et ne sont pas capables de détecter leur présence.

Les tentatives de caractérisation expérimentale de l’étiologie de l’EHS ont fait l’ob-jet de plusieurs recensions. La plus citée aujourd’hui consiste en l’actualisation d’une revue publiée quelques années auparavant. Cette première revue considère 31 études de provoca-tion publiées avant 2004, dont 11 concernent les écrans cathodiques, 7 la téléphonie mobile et 11 des CEM de caractéristiques variées [RUBIN et al., 2005]. La recension suivante consi-dère 15 nouvelles études publiées jusqu’en 2008, dont 11 concernent la téléphonie mobile, 4 les champs magnétiques de basse fréquence, et 1 s’intéresse aux effets de dispositifs de protection contre les CEM [RUBIN et al., 2010]. Parmi ces 46 études, incluant 1175 sujets EHS, 32 échouent à observer un quelconque effet des CEM : les réactions des sujets EHS y apparaissent parfois plus nombreuses que celles des contrôles, mais pas davantage corré-lées aux expositions réelles, et ils ne parviennent pas mieux à reconnaître ces dernières des

expositions simulées. Les 14 autres études observent des effets variés, mais souffrent de lacunes méthodologiques interdisant de les attribuer définitivement à des effets réels : fai-blesse des effectifs ne permettant pas d’atteindre une puissance statistique suffisante, multi-plicité des tests statistiques induisant un risque élevé de faux positif, défaut d’« aveuglage » ou de « randomisation » des expositions, description d’effets de sens contraires par différentes études, échec d’études de réplication ultérieures, etc. Les auteurs en déduisent que les CEM ne sont probablement pas responsables des troubles ressentis par les personnes EHS.

Plus récemment, une recension a été consacrée aux études de provocation docu-mentant les effets potentiels des expositions à l’aide de mesures physiologiques objectives, plutôt que d’évaluations subjectives [RUBIN et al., 2011]. Elle considère 29 études publiées avant la mi-2010, incluant 720 sujets EHS, et concernant des CEM de caractéristiques variées. Cinq d’entre elles rapportent des variations physiologiques, affectant la fréquence cardiaque et la pression artérielle, le réflexe pupillaire, l’attention visuelle, la mémoire spa-tiale, ainsi que l’électro-encéphalogramme et la position de sommeil. Elles souffrent égale-ment des lacunes méthodologiques évoquées ci-dessus, en particulier de l’échec des études de réplication, ainsi que d’une absence de corrélation entre ces variations et les évaluations subjectives des sujets. Les 24 autres études n’ont rapporté aucun effet des expositions réelles sur de nombreuses variables physiologiques (température et conductance cutanées, fréquence respiratoire, variabilité de la fréquence cardiaque, fonctions cognitives, hémo-gramme, etc.). Les auteurs concluent que les CEM ne déclenchent vraisemblablement pas de réponses physiologiques de la part des personnes EHS, et ne sont pas la cause principale de leurs problèmes de santé.

2.2.3. Analyse et conclusion

Les études observationnelles et expérimentales de l’étiologie des HSE parviennent à des résultats manifestement contradictoires. Les premières inventorient des facteurs envi-ronnementaux variés dont les personnes hypersensibles déclarent qu’ils provoquent leurs troubles, tandis que les secondes échouent à reproduire ce phénomène en laboratoire : les personnes MCS et EHS cessent de réagir aux produits chimiques et aux CEM lorsqu’elles n’ont plus connaissance de la nature réelle ou simulée des expositions17. Cette contradiction a pour origine un arbitrage entre réalisme et précision dans la caractérisation des exposi-tions. Nous entendons par réalisme l’adéquation entre les expositions réelles auxquelles

17 Elles réagissent en fait aléatoirement à ces deux types d’expositions, c’est-à-dire au contexte expérimental, et ce, que leurs réactions soient appréhendées subjectivement (par le ressenti de symptômes et la prédic-tion des exposiprédic-tions réelles) ou objectivement (par des mesures physiologiques).

sont soumises les personnes hypersensibles dans leur vie quotidienne, et les expositions effectivement considérées par une étude donnée (selon sa méthode). Par précision, nous désignons la connaissance de ces expositions effectives. Toute recherche vise à maximiser ces deux qualités, afin d’atteindre à une connaissance exacte des expositions réelles. Lorsque cela n’est pas possible, il faut choisir entre ces deux objectifs : c’est le dilemme auquel sont confrontées les études de l’étiologie des HSE.

Les études observationnelles offrent un réalisme élevé et une précision faible. La caractérisation des expositions y est confiée aux personnes hypersensibles, ce qui permet de considérer simultanément l’ensemble des éléments auxquels elles s’observent réagir, dans tous les environnements qu’elles fréquentent (notamment domestiques et professionnels), en tenant compte des variations temporelles, etc. Le réalisme autorisé par cette méthode peut cependant être atténué par d’éventuels biais d’attention de ces personnes, qui se foca-lisent sur certaines expositions et en négligent d’autres, ainsi que par les choix opérés par les chercheurs entre les expositions rapportables (s’ils recourent à des questionnaires fer-més) et rapportées (lors de la rédaction des publications). Par ailleurs, elle ne permet pas de caractériser finement les expositions ainsi observées. Des listes de produits chimiques dres-sées par les personnes MCS, il est impossible d’inférer la composition exacte des substances auxquelles elles sont exposées (les « produits d’entretien » par exemple recèlent des composés chimiques extrêmement variés) – tandis que l’inventaire des appareils émettant des CEM dans leur environnement ne renseigne pas sur le niveau des doses reçues par les personnes EHS (qui dépend fortement de l’éloignement de ces appareils).

Les études expérimentales, au contraire, offrent une précision élevée et un réalisme faible. La caractérisation des expositions y est assurée par les investigateurs dans le contexte maîtrisé du laboratoire, qui leur permet d’en déterminer précisément les propriétés chi-miques ou physiques, de les isoler du « bruit » chimique ou électromagnétique de l’environ-nement quotidien, d’en contrôler l’intensité et la durée, etc. La précision autorisée par cette méthode est toutefois relative aux possibilités techniques existantes (par exemple, à la fiabi-lité du dispositif d’injection des produits chimiques utilisé par STAUDENMAYER, SELNER & BUHR [1993] ou du générateur de signaux vectoriels employé par ELTITI et al. [2007]). Par ailleurs, elle implique de modéliser les expositions réelles, donc de les simplifier et de les standardiser, ce qui atténue le réalisme des expositions effectives. Il est alors possible que l’incapacité des études de provocation à susciter chez les personnes hypersensibles des réactions corrélées avec les expositions provienne de choix de modélisation inadéquats –

par exemple si elles portent sur des composés chimiques ou des types de champs auxquels elles ne sont pas sensibles, ou ne les administrent pas dans des conditions appropriées (expositions trop courtes ou à des doses trop faibles, en l’absence d’éléments catalyseurs, etc.).

Cette impossibilité d’étudier l’étiologie des HSE de manière à la fois précise et réa-liste résulte en définitive des limites techniques affectant la caractérisation des expositions aux produits chimiques et aux CEM : à l’heure actuelle, la précision est seulement attei-gnable en laboratoire, au détriment du réalisme. Concernant l’EHS, l’invention d’instru-ments de mesure portables des CEM apportera peut-être une solution à ce problème, comme dans l’étude pionnière du bien-être des riverains d’antennes-relais de téléphonie mobile par THOMAS et al. [2008] ; elle permettra idéalement de réaliser des études de cohorte, qui sont considérées comme fournissant le meilleur niveau de preuve en étiologie. Concer-nant la MCS, nous n’avons pas connaissance de tels développements.

La caractérisation de l’étiologie des HSE commande alors de choisir quels résultats privilégier, entre ceux des études observationnelles et ceux des études expérimentales. L’opinion prévalant dans la littérature scientifique est que la valeur des premières est nette-ment inférieure à celle des secondes, car le manque de précision est plus dommageable que le manque de réalisme. En conséquence, l’existence d’un lien étiologique entre les troubles ressentis par les personnes hypersensibles et les facteurs environnementaux auxquels elles les attribuent est considérée comme non démontrée. Il n’est donc pas possible de définir étiologiquement les HSE, du moins dans le cadre de la science actuelle. Les travaux récents s’orientent vers la recherche de facteurs non environnementaux, notamment génétiques et psychologiques pour les études de population (cf. infra), et cognitifs pour les études de pro-vocation (WINTERS et al. [2003] ont par exemple observé que la fourniture d’informations alarmistes amplifie les réactions des personnes MCS aux expositions simulées, avant que WITTHÖFT & RUBIN [2013] ne reproduisent ce résultat avec des personnes EHS).

2.3. Pathogénie

Existe-t-il des mécanismes pathogéniques dont l’implication dans les HSE soit suf-fisamment plausible pour les définir médicalement ? Leur détermination est sérieusement compliquée par les constats précédents. Sur le plan séméiologique, il faut identifier ou inventer des mécanismes capables d’expliquer une grande diversité de symptômes, qui en eux-mêmes ne sont significatifs d’aucune lésion organique ou altération physiologique

par-ticulière. Sur le plan étiologique, il faut reconnaître un rôle causal à des facteurs environne-mentaux présumés dont la contribution s’avère impossible à mettre en évidence expérimen-talement – ou intégrer d’autres facteurs, au risque de dissoudre la spécificité des HSE. Ainsi, l’incertitude règne à la fois sur les causes et les conséquences des mécanismes patho-géniques à rechercher. À cela s’ajoute une difficulté méthodologique : comment démontrer l’implication d’un tel mécanisme dans l’apparition d’un trouble donné ? Observer le fonc-tionnement de l’organisme humain est plus complexe que de caractériser son état ou son milieu, et s’avère souvent impossible pour des raisons techniques ou éthiques. Une solution est de reproduire expérimentalement le mécanisme supposé, en développant des modèles à différentes échelles et sur différents supports : in vitro aux échelles infra-cellulaire, cellulaire ou tissulaire, in vivo à l’échelle des systèmes physiologiques et des organismes, ou « in silico » par la simulation numérique. Une autre est d’en reconnaître les signes dans des caractéris-tiques biologiques mesurables, puis d’estimer la prévalence de ces « biomarqueurs » à l’aide d’enquêtes épidémiologiques sur des populations humaines ou animales. En conséquence, c’est vraisemblablement sur le plan pathogénique que l’incertitude est la plus difficile à réduire et les maladies à définir. Il est impossible d’y travailler de manière purement induc-tive, en recensant les symptômes qui apparaissent dans une population donnée ou en recherchant à l’aveugle des facteurs de risque : il faut disposer d’hypothèses sur les méca-nismes pathogéniques susceptibles d’intervenir, pour les modéliser ou en identifier de potentiels biomarqueurs. Nous avons donc organisé cette section autour des hypothèses avancées pour expliquer le fonctionnement des HSE, plutôt que des méthodes d’investiga-tion utilisées pour évaluer leur responsabilité. Nous avons aussi réduit le nombre d’exemples.