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L’introuvable définition médicale des HSE

3. Les troubles somatoformes : une définition médicale alternative des HSE ?HSE ?

3.2. Aspects étiologiques

3.2.1. Des facteurs de risque partagés par les TSF et les HSE

De nombreux facteurs de risque des TSF ont été mis en évidence par des études prospectives : « demographic features (female sex, older age, fewer years of education, lower socioeconomic

status, unemployment), a reported history of sexual abuse/other childhood adversity, multiple symptoms, concurrent chronic physical illness or psychiatric disorder (depression, anxiety, dysthymia, panic), social stress, and reinforcing social factors such as illness benefits. » [CREED, BARSKY, et al., 2011, p.17]. D’autres travaux évoquent l’ethnicité (appartenance aux minorités), des facteurs génétiques, ou encore certains types de personnalité (classées dans le groupe B du DSM-IV-TR) [MAI, 2004]. Des facteurs d’entretiens ont aussi été mis en évidence, notamment cognitifs : «

per-sistent worry about having a serious illness, hypervigilance to bodily symptoms and the tendency to “catas-trophise” in relation to pain, a strong conviction of an underlying physical disease and an expectation that the illness will have marked adverse consequences » [CREED, BARSKY, et al., 2011, p.18]. Or, les per-sonnes hypersensibles semblent surexposées à certains de ces facteurs de risque et d’entre-tien.

a. Les facteurs socio-démographiques

Il n’existe pas de synthèse méthodique des caractéristiques socio-démographiques des personnes hypersensibles, mais les études observationnelles établissent clairement qu’il s’agit en majorité de femmes. Pour la MCS, elles sont 79,7 % dans l’étude de CARESS et al. [2002], 70 % dans celle d’EIS et al. [2008], 87 % dans celle de SKOVBJERG et al. [2012], etc. Pour l’EHS, elles sont 68 % dans l’étude de SCHOONEVELD & KUIPER [2008], 82 % dans celle de JOHANSSON et al. [2010], 80,9 % dans celle de HAGSTRÖM et al. [2013], 62,9 % dans celle de

VAN DONGEN et al. [2014], etc. Les données disponibles sur les autres caractéristiques sont moins concluantes. L’âge moyen des personnes MCS évolue entre la quarantaine et la cin-quantaine, et selon les études, elles proviennent soit de toutes les catégories sociales, soit plutôt des catégories supérieures [DHA, 2010]. Les personnes EHS paraissent plus âgées, avec une moyenne de 55,4 ans dans l’étude de HAGSTRÖM et al. [2013] et de 57 ans dans celle de VAN DONGEN et al. [2014]. Nous n’avons trouvé aucune information sur leur apparte-nance sociale.

b. Les facteurs psychiatriques

La prévalence des troubles psychiatriques parmi les personnes hypersensibles a été évaluée à plusieurs reprises, à l’aide de deux grandes techniques. La plus précise est

l’exa-men clinique par un psychiatre, mais elle est difficile à mettre en œuvre à grande échelle, et nécessite des supports standardisés (comme la « structured clinical interview for DSM disorders ») afin de garantir l’homogénéité des diagnostics enregistrés. La plus courante consiste donc en des questionnaires auto-administrés qui permettent d’évaluer des tendances psychopa-thologiques sans véritablement diagnostiquer des troubles psychiatriques. L’un de ces ins-truments psychométriques est la « Symptom Checklist 90 » [SCL-90], qui comprend 90 ques-tions portant sur les symptômes, les sentiments et les comportements des sujets. Les réponses permettent de calculer neuf scores reflétant leur degré de somatisation, de dépres-sion, d’anxiété, d’obsession-compuldépres-sion, d’idéation paranoïaque, etc., qui peuvent être com-parés à des valeurs de référence observées dans des populations déterminées.

La morbidité psychiatrique des personnes MCS a fait l’objet d’une synthèse ancienne : BORNSCHEIN et al. [2001] ont identifié huit études impliquant des examens cli-niques, qui parviennent au diagnostic d’au moins un trouble mental reconnu dans 36 à 100 % des cas. Il s’agit le plus fréquemment (et sans surprise) de TSF, ainsi que de troubles de l’humeur et de troubles anxieux, et dans une moindre mesure de troubles de la person-nalité. Les études réalisées depuis ont conforté ces résultats. HAUSTEINER et al. [2003] ont par exemple travaillé au sein d’une clinique environnementale allemande, associée à un départe-ment de toxicologie et proposant de façon routinière des consultations psychiatriques. Sur les 295 consultants s’étant présentés comme chimico-hypersensibles en l’espace de trois ans, 66 % présentaient au moins un trouble mental et 16 % plus de deux troubles : 38,3 % souffraient de TSF, 20,5 % de troubles anxieux, 20 % de troubles de l’humeur, 18 % de troubles de la personnalité et 5 % de troubles psychotiques. Par ailleurs, 75 % avaient souf-fert d’un trouble mental quelconque au cours de leur existence dont 32,2 % de troubles de l’humeur et 25,5 % de troubles anxieux – tandis que les échantillons biologiques prélevés n’ont attesté d’une intoxication que dans 1,7 % des cas. Quant aux études utilisant des questionnaires auto-administrés, elles ont invariablement observé des degrés de détresse psychologique plus élevés chez les personnes MCS que chez les contrôles, liés en particulier à l’anxiété et à la dépression [DHA, 2010]. Une étude de cohorte récente atteste que celles-ci constituent bien des facteurs de risque de la MCS. Ses auteurs ont interrogé deux groupes de personnes à cinq ans d’intervalle, l’un rassemblant des personnes intolérantes aux produits chimiques, l’autre des personnes non malades. Ils ont constaté que leur ten-dance initiale à l’anxiété et à la dépression était significativement corrélé à la probabilité,

pour les premières, d’être devenues intolérantes aux produits chimiques, et pour les secondes, de rapporter un nombre accru de symptômes [SKOVBJERG et al., 2015].

Concernant les personnes EHS, leur morbidité psychiatrique ne semble jamais avoir été objectivée à l’aide d’examens cliniques, mais leurs tendances psychopathologiques ont été mesurées à l’aide de questionnaires auto-administrés dans une dizaine d’études. Leurs résultats sont synthétisés dans le pré-rapport de l’ANSES [2016] : malgré la diversité des instruments psychométriques, la pluralité des critères d’inclusion, et certaines diver-gences entre les observations, les personnes EHS s’avèrent plus fréquemment ou plus intensément anxieuses et déprimées que les contrôles, et manifestent une tendance plus marquée à la somatisation. Les personnes hypersensibles souffrent donc dans une propor-tion élevée de troubles mentaux reconnus comme des facteurs de risque des TSF.

c. Les facteurs cognitifs

Différentes tendances cognitives reconnues comme des facteurs d’entretien des TSF ont été recherchées parmi les personnes hypersensibles. Un exemple d’instrument psy-chométrique employé à cette fin est la « somato-sensory amplification scale » : elle évalue les atti-tudes envers dix sensations somatiques déplaisantes, mais pas nécessairement patholo-giques (intolérance à la douleur ou au bruit, tendance à percevoir la circulation sanguine ou la digestion, etc.).

Une étude transversale récente fait ainsi état d’une association significative entre, d’une part, les scores obtenus sur cette échelle et l’attention accordée aux manifestations somatiques dans les situations stressantes, et d’autre part, le nombre de symptômes rappor-tés par les personnes MCS [SKOVBJERG et al., 2010]. L’absence de groupe de contrôle ne per-met pas de vérifier si ces tendances cognitives sont plus marquées parmi elles que dans la population générale. Mais une étude prospective plus ancienne a observé, en comparant trois groupes de sujets, une tendance égale parmi les sujets MCS et les sujets souffrant de TSF, et inférieure parmi les contrôles sains, à éprouver des émotions négatives, à focaliser leur attention sur leurs perceptions somatiques, et à les considérer comme inquiétantes ou pathologiques. Lors du suivi à un an, cette tendance s’est révélée liée à la persistance des plaintes somatiques chez les sujets MCS et chez les sujets souffrant de TSF : elle était moins marquée chez ceux dont l’état de santé s’était amélioré [BAILER et al., 2007a]. Il appa-raît bien ainsi que la MCS et les TSF partagent des facteurs de risque et d’entretien d’ordre cognitif.

Concernant l’EHS, LANDGREBE et al. [2008] ont administré, à l’occasion d’une étude de provocation, un questionnaire détaillé spécifiquement développé pour caractériser les cognitions des personnes hypersensibles relatives à leur état de santé. Ils ont observé qu’elles tendaient davantage que les contrôles à ruminer leurs problèmes de santé, à ne pas tolérer les symptômes somatiques, à éprouver un sentiment de vulnérabilité et à se méfier de la médecine conventionnelle. En revanche, elles ne sont pas apparues plus enclines à rechercher des causes externes (i.e., sociales ou environnementales) à leurs symptômes, ni à les interpréter de manière catastrophique. Les personnes EHS semblent donc bien présen-ter certaines des tendances cognitives associées aux TSF.

d. Les traumatismes

L’hypothèse que les traumatismes infantiles (privation émotionnelle, sévices phy-siques ou abus sexuels) constituent un facteur de risque de la MCS a été particulièrement défendue par le psychologue américain Herman Staudenmayer. Dans une étude cas-té-moins, il a par exemple observé une nette sur-représentation des victimes de tels trauma-tismes parmi les femmes hypersensibles, par rapport à des personnes des deux sexes souf-frant de troubles comparables, y compris psychiatriques, mais ne les attribuant pas à l’expo-sition à des produits chimiques [STAUDENMAYER, SELNER & SELNER, 1993]. Cependant, deux études transversales ultérieures ont rapporté des résultats ambigus. BELL et al. [1998] ont observé que les femmes hypersensibles présentaient un risque supérieur à des femmes non malades, mais équivalent à des femmes souffrant de dépression majeure, d’avoir vécu des traumatismes infantiles, suggérant que l’effet de ces derniers n’est pas spécifiques à la MCS. De même, BAILER et al. [2007b] n’ont pas retrouvé davantage d’événements traumatiques, vécus dans l’enfance ou à l’âge adulte, chez les personnes hypersensibles que parmi des per-sonnes souffrant de TSF ou des contrôles non malades (ce dernier résultat témoigne proba-blement d’un biais dans le recrutement des contrôles, car il contredit le constat bien établi que les traumatismes sont un facteur de risque des TSF). L’implication des traumatismes infantiles dans l’étiologie de la MCS est donc plausible, mais les preuves en sont faibles. Concernant l’EHS, aucune donnée n’est disponible à notre connaissance.

3.2.2. Une étiologie commune difficile à établir

La vérification de la présence d’une étiologie commune aux TSF et aux HSE se heurte d’abord à la faiblesse des données disponibles sur les secondes. Elles ont non seule-ment été moins étudiées que les premières : à titre indicatif, la base MEDLINE référence plus de 9000 travaux consacrés aux TSF, contre environ 600 sur la MCS et 80 sur l’EHS. Mais

de surcroît, les recherches sur leur étiologie se sont focalisées sur la vérification expérimen-tale de la responsabilité des facteurs environnementaux désignés par les personnes hyper-sensibles : elles consistent majoritairement en des études de provocation, qui renseigne-ment peu sur les autres facteurs de risques potentiels. Les connaissances actuelles ne per-mettent donc pas de comparer systématiquement l’étiologie des TSF à celle des HSE. Les personnes hypersensibles ne s’en avèrent pas moins présenter quelques caractéristiques reconnues comme des facteurs de risque ou d’entretien des TSF. Mais l’interprétation de ce constat soulève plusieurs difficultés.

La première concerne les études transversales. Leur principe étant de comparer, à un moment donné, la prévalence de certains éléments dans la population d’intérêt (hyper-sensible) et dans une population témoin (non malade), elles permettent seulement d’obser-ver des associations postérieures à l’occurrence du phénomène étudié. Elles ne suffisent à démontrer que ces associations témoignent de relations de causalité, ni à déterminer leur sens. Cette difficulté a particulièrement affecté l’interprétation de la prévalence élevée de certains troubles mentaux parmi les personnes hypersensibles. Si la morbidité psychiatrique est un facteur de risque des TSF, elle pourrait l’être aussi des HSE. Mais elle pourrait aussi bien en être une conséquence, c’est-à-dire, résulter du fait de souffrir d’une maladie chro-nique non reconnue et très invalidante. DAVIDOFF et al. [2000] ont ainsi demandé à des per-sonnes MCS d’indiquer sur un questionnaire psychométrique les changements qu’elles associaient à l’apparition de leur hypersensibilité. Ils ont ensuite invité des professionnels de santé à préciser sur un questionnaire identique les évolutions psychopathologiques qu’ils s’attendaient à observer chez des personnes mentalement saines développant une MCS ou un trouble similaire. Les réponses sont apparues très similaires d’un groupe à l’autre, avec une élévation des scores d’hypocondrie, d’hystérie, de dépression et de schizophrénie. Une autre possibilité est que les troubles mentaux observés parmi les personnes hypersensibles proviennent des mêmes causes que leur hypersensibilité, c’est-à-dire qu’ils constituent des facteurs de confusion plutôt que de risque. DAVIDOFF & FOGARTY [1994] soulignent par exemple que les agents neurotoxiques soupçonnés d’intervenir dans la MCS (comme les solvants et les pesticides) exercent des effets connus sur les humeurs et les émotions.

Ainsi, en matière de causalité, les études transversales permettent seulement de for-muler des hypothèses : des études longitudinales sont nécessaires pour les démontrer. Leur principe est de caractériser une population non affectée par le phénomène étudié, puis d’observer après une période déterminée chez quels individus il est survenu, de manière à

rechercher des associations avec leurs propriétés initiales. L’antériorité de ces propriétés par rapport au phénomène étudié garantit qu’il n’en est pas la cause (et, selon la durée de la période d’observation, réduit le risque qu’elles constituent des facteurs de confusion). Mais très peu d’études longitudinales des HSE ont été réalisés. Concernant la MCS, nous avons présenté les études de SKOVBJERG et al. [2015] sur les facteurs psychiatriques et de BAILER et

al. [2007a] sur les facteurs cognitifs, qui sont plutôt concluantes. Concernant l’EHS et les

autres facteurs considérés, nous n’en avons identifié aucune.

L’interprétation de ces études est par ailleurs compliquée par la nécessité de distin-guer les facteurs de déclenchement, de promotion et d’entretien (c’est-à-dire ceux qui pro-voquent directement l’apparition des HSE, ceux qui simplement la favorisent, et ceux qui contribuent ensuite à sa persistance). Par exemple, les troubles mentaux pourraient être des facteurs de vulnérabilité aux HSE, comme ils le sont pour de nombreuses maladies soma-tiques, sans que leur prévalence élevée parmi les personnes hypersensibles ne renseigne par-ticulièrement sur l’origine de leurs symptômes. De même, leurs tendances cognitives pour-raient aggraver leurs problèmes de santé sans en être à l’origine. Dernière difficulté, la spé-cificité de ces différents facteurs semble parfois faible. Les facteurs socio-démographiques, en particulier, sont liés à des troubles très variés et n’ont vraisemblablement aucun pouvoir prédictif de la survenue des HSE, tandis que des troubles mentaux ou des anomalies cogni-tives ne sont pas décelables chez toutes les personnes hypersensibles, comme il apparaît dans les études présentées plus haut.

En définitive, en raison du caractère lacunaire des données disponibles et des diffi-cultés que soulève leur interprétation, l’étiologie non environnementale des HSE demeure largement méconnue. Au-delà du constat de quelques ressemblances, il paraît difficile d’en établir la similarité avec celle des TSF.