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L’introuvable définition médicale des HSE

3. Les troubles somatoformes : une définition médicale alternative des HSE ?HSE ?

3.1. Aspects séméiologiques

3.1.1. Nature des symptômes

Les SMI, tels qu’on peut les connaître à partir des études observationnelles, res-semblent fortement aux symptômes des HSE. Les plus fréquents consistent en des cépha-lées, de la fatigue, des douleurs dorsales, articulaires, abdominales, thoraciques et des membres, des vertiges, des ballonnements, des palpitations, des sueurs froides ou des bouf-fées de chaleur, des nausées, des tremblements, ainsi que des sensations d’engourdissement ou de picotement [CREED, BARSKY, et al., 2011].

Les SSF désignent les plus saillants de ces symptômes, tels qu’ils se présentent chez les patients (ou parfois une étiologie présumée, comme la participation à la guerre du Golfe pour le SGG). Ainsi :

• Les critères diagnostiques de la FM, adoptés en 1990 par le Collège Américain de Rhumatologie et amendés en 2010, sont centrés sur la douleur chronique générali-sée. Cette dernière est définie comme affectant les côtés gauche et droit et les moi-tiés inférieure et supérieure du corps, ainsi que le squelette axial, depuis plus de trois mois. En clinique, elle est objectivée par le dénombrement des points doulou-reux à la pression, par rapport à un référentiel de 18 points. Mais les personnes FM

au moins un symptôme médicalement inexpliqué [HALLER et al., 2015].

31 La littérature scientifique consacrée aux SMI, aux SSF et aux TSF est assez abondante. Deux ouvrages de synthèse nous ont aidé à nous y orienter, auxquels nous renvoyons pour davantage de détails : CATHÉBRAS

présentent bien d’autres symptômes : des troubles du sommeil pour 70 à 90 % d’entre elles ; de la fatigue à plus de 75 % ; des troubles cognitifs (parfois qualifiés de « fibrofog ») à plus de 76 % ; ou encore des troubles de l’humeur (les états anxieux et dépressifs concernent respectivement de 20 à 60 % et de 13 à 48 % des per-sonnes FM) [BORCHERS & GERSHWIN, 2015].

• Le SFC est avant tout défini comme une fatigue anormale, à la fois cognitive et physique, persistant depuis plus de six mois, aggravée par tout effort et induisant une réduction significative de l’activité. Mais ses critères diagnostiques incluent aussi des troubles du sommeil, des douleurs variées et des troubles cognitifs. Par ailleurs, il s’accompagne fréquemment de troubles de la motricité (ataxie, faiblesse musculaire ou fasciculations) et de la digestion, d’une hypersensibilité aux odeurs, d’une susceptibilité accrue au stress, etc. [BESTED & MARSHALL, 2015].

• Les critères diagnostiques du SII sont focalisés sur les troubles digestifs. Il est caractérisé par une douleur abdominale ou un inconfort intestinal récurrents depuis plus de trois mois, diminuant après la défécation, ou dont l’apparition est associée à un changement dans la fréquence ou l’apparence des selles. En pratique il s’accom-pagne de troubles variés, qui dans la littérature sont appréhendés en termes de comorbidité plutôt que de symptomatologie : sont fréquemment diagnostiqués parmi les personnes souffrant de SII des douleurs pelviennes chroniques, des pros-tatodynies, des syndromes prémenstruels, des troubles sexuels, des céphalées… ainsi que des FM et des SFC [ENCK et al., 2016].

Quant aux TSF, ils se manifestent selon le DSM-IV-TR (2000) par des symptômes ne pouvant résulter de maladies somatiques ou psychiques reconnues, n’étant pas feints ou produits intentionnellement, et provoquant une souffrance ou une altération significatives du fonctionnement social. Sept variétés en sont distinguées.

• La plus sévère est le trouble somatisation, dont les critères diagnostiques sont très restrictifs. Il concerne les personnes ayant des antécédents de plaintes somatiques multiples avant l’âge de 30 ans, et ayant éprouvé au cours de leur existence au moins quatre types de symptômes : douloureux touchant au moins quatre localisa-tions (tête, dos, articulalocalisa-tions, etc.) ou fonclocalisa-tions (miction, menstruation, etc.), gas-tro-intestinaux (nausées, diarrhée, intolérances, etc.), sexuels (désintérêt sexuel, règles irrégulières, etc.) et pseudo-neurologiques (faiblesse musculaire, paralysie, perte de sensibilité, etc.).

• La plus répandue est le trouble somatoforme indifférencié. Il s’agit d’une catégo-rie résiduelle dont les critères diagnostiques sont plus souples : la persistance d’une ou plusieurs plaintes somatiques (notamment une fatigue chronique, une perte d’appétit ou des symptômes gastro-intestinaux ou urinaires) depuis au moins six mois.

Les autres variétés, comme le trouble douloureux ou le trouble de conversion, sont plus spécifiques : nous renvoyons à CATHÉBRAS [2006] pour leur présentation.

3.1.2. Chevauchement et comorbidité

Une vaste constellation de problèmes de santé apparaît commune aux SMI, aux SSF, aux TSF et aux HSE, dont les plus récurrents sont des douleurs diffuses et une fatigue chronique. Cette proximité séméiologique se manifeste par un chevauchement et une comorbidité élevés entre ces troubles, c’est-à-dire qu’ils se manifestent par des tableaux cli-niques similaires et tendent à être diagnostiqués simultanément. Par exemple, LACOUR et al. [2005] observent que les symptômes de la MCS sont communs à 90 % avec ceux du SFC. DAS-MUNSHI et al. [2007, p.267] soulignent de même que « a large amount of evidence suggests that

MCS shares a considerable degree of overlap with a number of other conditions, as they are frequently reported in people also reporting Sick Building Syndrome, Electrical Sensitivity, Chronic Fatigue Syndrome and Gulf War Syndrome. » Enfin, dans un sondage réalisé par une association néerlandaise de

personnes EHS auprès de ses adhérents, 17,2 % ont rapporté souffrir également de MCS, 14 % de FM, 14 % de SFC, etc. [SCHOONEVELD & KUIPER, 2008].

De surcroît, la comorbidité entre ces troubles est supérieure à celle que laisse envi-sager leur prévalence dans la population générale SCHUR et al. [2007]. Certains auteurs consi-dèrent donc qu’ils recouvrent une réalité clinique identique, et que la pluralité des SSF reflète essentiellement celle des spécialités médicales : les symptômes mis en avant sont ceux relevant de la spécialité à laquelle les patients s’adressent (rhumatologie pour la FM, infectiologie pour le SFC, gastro-entérologie pour le SII, etc.) [WESSELY et al., 1999]. En par-ticulier, l’analyse factorielle des SMI de patients recrutés dans plusieurs services hospitaliers n’a fait apparaître aucun cluster de symptômes correspondant à un SSF : la majorité de la variance entre les patients est expliquée par un facteur unique composé de symptômes communs aux principaux SSF [NIMNUAN et al., 2001]. Pour ne pas compliquer inutilement notre propos, nous le focaliserons alors sur la comparaison entre les HSE et les TSF : ces

derniers semblent plus indiqués que les SSF en raison de leur généralité, et que les SMI en raison de leur sévérité32.

3.1.3. Une définition incertaine ?

Le principal argument séméiologique en faveur de la similarité des TSF et des HSE est leur égale inexplicabilité médicale, qui s’accompagne d’un chevauchement et d’une comorbidité élevés. Il repose donc sur un critère négatif, et par essence fragile. Tout d’abord, il n’est pas toujours évident de déterminer ce qui dans les connaissances médicales constitue une explication d’un symptôme donné, serait-ce seulement parce que ces connais-sances évoluent au cours du temps. La borréliose de Lyme est ainsi devenue une cause reconnue de certains cas de fatigue chronique, tandis que l’infection au virus Epstein-Barr a cessé de l’être [SHARPE & CARSON, 2001]. Lorsqu’une explication médicale d’un symptôme existe, il est aussi possible qu’elle ne soit pas identifiée, et que celui-ci soit considéré à tort comme inexplicable. DIMSDALE & DANTZER [2007] distinguent par exemple quatre facteurs susceptibles de conduire à diagnostiquer à tort un TSF : l’insuffisance des investigations menées par le clinicien, l’emploi de technologies diagnostiques obsolètes, les effets secon-daires négligés de certains traitements, et l’apparition de nouvelles maladies (comme l’infec-tion au VIH).

Le critère de l’inexplicabilité médicale constitue ainsi une source d’incertitude, qu’illustre une étude internationale sur les caractéristiques des patients présentant des SMI. La proportion des participants présentant plus de quatre SMI s’élève à 5 % à Seattle, 10 % à Berlin, 20 % à Bangalore et 45 % à Santiago – tandis que celle des participants présentant plus de quatre symptômes explicables s’élève à 3 % à Bangalore, 10 % à Seattle et à San-tiago, et 20 % à Berlin. Ces différences étant trop importantes pour résulter de variations naturelles de la prévalence, les auteurs les attribuent à la variabilité des pratiques diagnos-tiques et à des possibilités inégales de réaliser des examens complémentaires [KISELY et al., 1997]. Cependant, les estimations du risque de diagnostiquer à tort un SSF sont plutôt ras-surantes, selon une méta-analyse récente : le taux moyen de révision observé s’établit à 8,8 % dans les études de vérification (proposant à des personnes ayant reçu un diagnostic

32 CREED [2016] souligne que les SMI ne sont pas toujours chroniques et invalidants, et tendent en majorité à se résorber spontanément. Ils sont davantage à concevoir comme un spectre (en termes de nombre et de sévérité des symptômes, de persistance, de détresse et d’invalidité induite, etc.) à l’extrémité duquel se trouvent les SSF, les TSF et les HSE. Le caractère hautement invalidant de ces dernières est attestée par la littérature sociologique analysée dans l’introduction, tandis que leur persistance est documentée par une poignée d’études. Par exemple, BLACK et al. [2000] ont recontacté des personnes MCS rencontrées neuf ans auparavant lors d’autre étude : 69 % ont accepté un nouvel entretien, et déclaré qu’elles étaient tou-jours chimico-sensibles.

de SSF un nouvel examen médical et un panel de tests biologiques) et à 0,5 % dans les études de cohorte (observant si de telles personnes reçoivent un autre diagnostic au cours d’une période donnée) [EIKELBOOM et al., 2016]. Les auteurs attribuent cette différence à l’emploi de critères d’inclusion plus restrictifs dans les études de cohorte (l’inexplicabilité médicale des troubles présentés par les volontaires est vérifiée plus soigneusement avant leur inclusion). Ils concluent que le risque d’erreur de diagnostic est faible une fois les investigations appropriées conduites.

Des efforts ont tout de même été entrepris pour évincer le critère de l’inexplicabi-lité médicale de la définition des TSF. La plus notable est leur disparition du DSM-V (2013) au profit d’un « trouble du symptôme somatique » dont la caractéristique essentielle n’est plus la présence persistante de SMI mais la réponse « disproportionnée » à des symptômes de toute origine (y compris des maladies somatiques) [DIMSDALE et al., 2013]. Cette nouvelle défini-tion est donc comportementale. Elle met l’accent sur l’inquiétude relative à la gravité des symptômes somatiques et le temps et l’énergie qui leur sont consacrés, qui doivent appa-raître excessifs ou déraisonnables. Mais en pratique, elle n’a de sens qu’en relation avec le critère de l’inexplicabilité médicale, qui demeure omniprésent dans le développement et permet seul de juger de la normalité des comportements [MAYOU, 2014]. Des efforts simi-laires de redéfinition ont été entrepris pour les SSF. Nous les avons aperçus pour la FM, avec l’adoption d’un référentiel de points douloureux à la pression, abandonné 20 ans plus tard tant il était peu fiable et spécifique [WOLFE & WALITT, 2013]. Pour le SFC, les cher-cheurs ont plutôt tenté d’identifier des groupes spécifiques de symptômes, mais sans grand succès pour l’instant [BRURBERG et al., 2014].

Ainsi, depuis bientôt 40 ans que les TSF ont été inventés, le critère de l’inexplicabi-lité médicale demeure essentiel dans leur définition, en dépit des nombreuses recherches qui leur ont été consacrées et des progrès considérables accomplis par la science médicale. Ceci atteste qu’ils ne constituent pas un résidu, qui s’effriterait au rythme de l’accumulation des savoirs médicaux, mais d’un phénomène qu’ils ne parviennent à effleurer, serait-ce seulement en le qualifiant positivement. L’inexplicabilité médicale apparaît comme un signe dont le signifié reste inatteignable pour la science médicale, mais rassemble les TSF et les HSE, qui sont virtuellement indistinguables au plan séméiologique. Nous analyserons plus loin les causes de cette situation. Pour l’instant, vérifions si ces troubles résistent aussi à l’objectivation étiologique.