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Disputes autour des HSE

2. Recueil des matériaux

2.1. Les entretiens

2.1.1. Critères d’inclusion et d’exclusion

L’enquête porte sur les personnes souffrant de MCS ou d’EHS. Mais comment les reconnaître concrètement, et décider de les interroger ou non ? Il ressort des chapitres pré-cédents que le seul critère possible est la revendication pour soi de l’un ou l’autre de ces diagnostics. Aucun critère médical objectif n’existe qui permette d’évaluer leur sensibilité, et la simple affirmation d’une réactivité à certains produits chimiques ou appareils radio-émet-teurs ne peut suffire : le recours à une appellation partagée est nécessaire à la cristallisation des mouvements qui rendent ces attributions visibles et leur permettent de prendre un tour

épidémique. En pratique, cette revendication des diagnostics d’HSE se manifeste dans l’ap-propriation identitaire de leurs sigles : « je suis MCS », « nous les EHS », etc., que nous avons observée dès notre entrée sur le terrain. Nous l’avons donc retenue comme critère d’inclu-sion.

Nous avons réfléchi à l’opportunité d’exclure de l’enquête les personnes se revendi-quant MCS ou EHS mais n’altérant pas leurs comportements en conséquence, par exemple de manière à réduire leur exposition aux produits chimiques ou aux CEM. D’un côté, elles échappent à notre projet sociologique, puisque leurs représentations n’engendrent aucune action, demeurent pour ainsi dire stériles. De l’autre, elles peuvent favoriser des comparai-sons intéressantes : pourquoi des représentations similaires suscitent-elles l’action chez cer-taines personnes plutôt que d’autres ? Nous n’avons pas eu à trancher, n’ayant rencontré aucune personne se revendiquant hypersensible qui n’avait modifié son mode de vie à l’ave-nant. Nous avons en revanche échangé avec quelques militants contre la pollution électro-magnétique s’affirmant « un peu sensibles » aux CEM, mais ils ne se considéraient pas malades et leur ressenti était surtout de l’ordre de la gêne.

Un second critère d’exclusion à considérer est l’existence d’explications médicales orthodoxes aux troubles ressentis par les personnes s’affirmant hypersensibles. Il est sou-vent employé dans les études expérimentales des HSE, quoique leurs auteurs précisent rare-ment le nombre de participants qu’il a conduit à écarter et les explications reconnues à leurs problèmes de santé. Il permet de se focaliser sur les personnes dont les symptômes sont les plus susceptibles de résulter d’expositions aux produits chimiques et aux CEM, car dépour-vus de causes cliniquement décelables. Nous ne possédons certes pas les compétences médicales nécessaires à sa mise en œuvre. Cependant, toutes les personnes que nous avons interrogées se sont reconnues hypersensibles à l’issue de carrières de patients longues et dif-ficiles, caractérisées par des échecs répétés à élucider et à soulager leurs troubles (cf. chap. 5) : le critère de l’inexplicabilité médicale est probablement respecté en pratique. Sa pertinence est par ailleurs discutable pour une recherche dont l’objectif n’est pas d’identifier la nature de ces troubles, mais de comprendre leur attribution à l’environnement et ses effets. Dans cette perspective, rien ne justifie de restreindre a priori l’analyse à des pro-blèmes de santé particuliers.

Une dernière difficulté concerne les personnes s’affirmant à la fois MCS et EHS : à quel titre les inclure dans l’enquête et analyser leur expérience ? En pratique, chez celles que nous avons rencontrées, l’un ou l’autre de ces diagnostics dominait toujours : celui qu’elles

avaient découvert en premier, auquel elles attribuaient leurs problèmes de santé ayant le principal retentissement, selon lequel elles orientaient la majorité de leurs comportements, y compris la lutte pour la reconnaissance, et au titre duquel nous les avions recrutées. Leur expérience ne différait pas significativement de celles des personnes n’attribuant leurs troubles qu’à une seule HSE correspondant à leur diagnostic dominant. Nous avons donc décidé de ne pas les rassembler dans un groupe distinct, et les comptabiliser selon leur diag-nostic dominant.

2.1.2. Recrutement

À en juger par les effectifs des associations qui les représentent, les personnes hypersensibles sont trop nombreuses en France pour être enquêtées exhaustivement. Mais comme leur population est dépourvue de définition objective et d’existence institutionnelle, il est impossible de l’échantillonner rigoureusement. Il faut donc recourir à des méthodes empiriques.

Concernant le recrutement des personnes MCS, nous avons commencé par sollici-ter l’association SOSMCS. Nous avons rencontré ses responsables pour leur présensollici-ter notre démarche, qui ont accepté de diffuser un appel à participation auprès des adhérents. Elles nous ont ensuite transmis les coordonnées de ceux ayant répondu favorablement : au total, une trentaine de personnes sur toute la France. Nous avons d’abord rencontré celles habitant la région lyonnaise au printemps 2012, puis celles habitant la région parisienne à l’automne, lors des vacances de la Toussaint, ainsi que deux autres habitant à proximité de la route entre Lyon et Paris. En parallèle, nous avons envoyé notre appel à participation sur une liste de diffusion non associative, mais n’avons obtenu pratiquement aucune réponse. Il est possible qu’il ait touché principalement des adhérents de SOSMCS, qui aient préféré répondre par l’intermédiaire de cette association, ou qu’il ait touché d’autres personnes mais n’ait pas réussi à les convaincre, faute de recommandation : plusieurs enquêtés nous ont confié avoir consenti à participer en soutien aux responsables de SOSMCS, qu’elles déploraient de ne pouvoir assister davantage. Nos tentatives de faire jouer l’interconnais-sance à l’issue des entretiens n’ont guère fonctionné : dans leur majorité, les enquêtés ne connaissaient pas d’autres personnes MCS que ces responsables. Au total, nous sommes parvenu à interroger 18 personnes MCS entre février et novembre 2012.

Concernant le recrutement des personnes EHS, les responsables de SOSMCS nous ont recommandé à l’animateur d’une liste de diffusion non associative. Il a accepté de relayer notre appel à participation, suite à quoi plusieurs personnes habitant la région

lyon-naise nous ont contacté. Nous les avons rencontrées au printemps 2012. Quelques-unes étaient très impliquées dans la cause EHS, notamment au sein du MOVISPEM puis du CEHSRA, et étaient en relation avec les responsables de plusieurs autres groupes de vic-times. Elles nous ont recommandé à ceux de POEM 26 et UTPE, ainsi qu’à d’autres per-sonnes EHS de leur connaissance, et nous ont invité à un rassemblement où nous avons pu prendre de nouveaux contacts (en juin 2012, cf. infra). Nous avons ainsi accumulé des entretiens sur un rythme assez lent. En janvier 2013, nous avons sollicité le CEF afin d’élar-gir le recrutement à la région parisienne. Après nous avoir rencontré, ses responsables ont diffusé notre appel puis nous ont transmis une quinzaine de réponses positives. Nous avons profité des vacances de printemps pour réaliser une longue série d’entretiens à Paris et en banlieue. Nous avons complété ce travail l’été suivant à l’occasion de trois rassemble -ments. Au total, nous avons interrogé 42 personnes EHS entre mars 2012 et août 2013.

La médiation des associations de personnes hypersensibles a été décisive : elle nous a permis de recruter la quasi-totalité des enquêtés MCS, et plus de la moitié des enquêtés EHS. Comment l’expliquer ? La principale raison est que ces associations sont les seuls acteurs disposant d’une existence publique à s’intéresser précisément aux HSE (cf. chap. 2). Depuis une position d’extériorité vis-à-vis de l’univers hypersensible, elles sont le seul inter-médiaire possible avec ses membres. Leur implication dans le recrutement peut cependant susciter deux biais. Le premier est qu’elles favorisent l’inclusion des personnes correspon-dant à la représentation qu’elles défendent des HSE : par exemple, celles dont les troubles ont le plus fort retentissement, ou dont les attitudes sont les moins évocatrices de troubles mentaux. Le second est que leurs adhérents soient davantage convaincus et revendicatifs que la moyenne des personnes hypersensibles. Il est donc souhaitable de diversifier les modes de recrutement pour ne pas dépendre exclusivement de ces associations. Pour qui connaît leur existence, les listes de diffusion animées par des particuliers constituent une autre possibilité. Mais les sollicitations relayées sur celles-ci ne bénéficient pas de la caution des responsables associatifs, très légitimes aux yeux des personnes hypersensibles, et sus-ceptibles de les rassurer sur les intentions réelles de l’enquêteur (cf. infra). Elles suscitent donc peu de réponses. L’exploitation des réseaux d’interconnaissance permet de régler cette difficulté, ce qui explique qu’elle ait constitué notre second mode de recrutement pri-vilégié. Mais elle ne constitue qu’un instrument de diversification imparfait, dans la mesure où les personnes les plus connues et les plus susceptibles d’être recommandées sont aussi les plus investies dans la cause hypersensible2. Il est certes inévitable, dans toute enquête où

la participation est fondée sur le volontariat, que les personnes interrogées aient une volonté particulière de l’être. L’important est alors de la documenter, afin de pouvoir en révéler les éventuels effets : nous y reviendrons.