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CHAPITRE 5 – L'ÉVALUATION COMME ÉLÉMENT DU MANAGEMENT DE LA PERFORMANCE

4. Les théories de la motivation

Nous avons vu que la finalité du management de la performance est l’amélioration de la performance organisationnelle, qui doit passer par l’amélioration de la performance des équipes et, en fin de compte, à celle de la performance individuelle. Le postulat qui sous- tend tout système de management de la performance, selon lequel il faut agir sur le comportement des salariés afin qu’ils le modifient et s’alignent ainsi sur les objectifs organisationnels, est controversé en France. Mais le simple fait de communiquer des objectifs ne suffit pas à modifier des comportements.

Il y a trois conditions pour que cela se produise :

- le salarié doit avoir le niveau de compétences adéquat ;

- il doit avoir les opportunités – en termes de projets, de mise en situation, de niveau de responsabilité – qui lui sont offertes (ou qu’il obtient de façon plus proactive) ;

- il doit avoir un niveau de motivation suffisant.88

La motivation est un élément-clé du management de la performance et il en existe plusieurs modèles. Nous proposons d’exposer celui développé par Angelo DeNisi et Robert Pritchard, dans leur article, « Performance Appraisal, Performance Management

and Improving Individual Performance: A Motivational Framework » Management and Organization Review 2:2, 200689.

88 Nous distinguons ici motivation, qui donne une impulsion vers plus d’activité, et satisfaction, qui risque au

contraire de se traduire par une volonté de garder le statu quo : par exemple, se réfugier dans des tâches que l’on maîtrise avec facilité, mais qui apportent peu de valeur à l’organisation.

89 Et puis repris par Robert D.Pritchard et Deborah DiazGranados dans leur article, « Motivation and

performance management », dans Performance Management Systems : a global perspective, ed. Varma, A., Budhwar, P.S., et DeNisi, A. (2008).

Action Results Evaluation Outcomes Needs satisfaction Performance Improvement Perceived and actual capabilities Resources and authority Work strategies Level and number of outcomes (rewards ) Consistency across ratees and time Current need state: number , strength Distributive justice

An expectancy-based motivation model for individual perfromance improvement Angelo S. DeNisi & Robert D. Pritchard (2006) Comprehen - sive evaluation Agreement between evaluators Performance criteria and standards Fairness in evaluation procedure P e rfo m an ce M a n ag em e n t & P erf orm a nc e A p pr a is al M o tiv a tio n

Les auteurs décrivent une chaîne de motivation90 où chaque maillon doit être présent et suffisamment robuste pour que la motivation passe. Elle est fondée sur le postulat – selon la théorie des attentes (« Expectancy Theory » et l’école de psychologie béhavioriste) – que l’homme ajuste ses comportements jusqu’à ce qu’il arrive à satisfaire ses besoins. Selon leur modèle, dans le contexte du management de la performance, il y a trois étapes entre l’action et la satisfaction des besoins du salarié. A chaque étape, l’employeur peut intervenir sur les facteurs de succès pour renforcer la chaîne et s’assurer que le lien entre l’action et la satisfaction des besoins est maintenu.

Action Results Evaluation Outcomes Needs

satisfaction Performance Improvement M o tiv a tio n

A>R R>E E>O O>NS

Facteurs de succès entre l’action et le résultat de l’action (A>R) :

- le salarié doit percevoir sa capacité de créer un résultat, les objectifs doivent donc être réalistes ;

- le salarié doit avoir les compétences et les ressources nécessaires (y compris humaines), ainsi que le degré d’autorité (et donc d’influence) dans l’organisation pour obtenir le résultat ;

- le salarié doit avoir les stratégies de travail nécessaires (« work strategies ») : il incombe au manager d’aider le salarié à développer ses stratégies par le biais de coaching, avec des retours fréquents sur la manière dont le salarié aborde le travail.91

Exemple : le lien entre action et résultat est plus fort dans le cas d’un reporting mensuel dont le salarié peut disposer des données nécessaires sans l’intervention de supérieurs ou d’autres services, que dans le cas d’un budget annuel pour lequel le salarié doit obtenir des indicateurs du service finance, sur lequel il n’a pas de levier. Au niveau du lien entre l’action et le résultat, le salarié sera, a priori, plus motivé pour produire le reporting mensuel que le budget annuel.

Facteurs de succès entre le résultat de l’action et l’évaluation (R>E) :

- le salarié doit savoir à l’avance sur quelles actions il sera évalué ainsi que le poids de chaque action dans l’évaluation, et appréhender la forme et les critères d’évaluation, qui doivent être cohérents entre évaluateurs92 ;

- de même que des objectifs spécifiques, la performance globale du salarié doit être appréciée ;

- les critères et les normes doivent être clairs et communiqués à l’employé, et être alignés avec la stratégie de l’entreprise93 ;

- il doit y avoir une perception de justice procédurale (« fairness »)94, et pour cela :

 l’évaluation doit porter sur des comportements observés et non pas sur des « traits de caractère » ;

 l’évaluation doit être limitée aux seuls résultats sur lesquels le salarié avait le pouvoir ;

 le salarié doit pouvoir participer de façon active dans le système d’évaluation ;

 le salarié doit avoir droit à la parole pour exprimer son point de vue sur le résultat et sur le lien entre son action et le résultat.

Exemple : le manager a communiqué au salarié que le budget annuel avait un enjeu stratégique plus important que le reporting mensuel et aurait un poids plus important dans l’évaluation de sa performance. Bien que le lien entre l’action et le résultat de l’action soit plus fort pour le reporting mensuel que pour le budget annuel, le fait de

91 Les auteurs ne définissent pas « work strategies », mais on pourrait imaginer qu’elles incorporent la

délégation, la gestion du temps, l’ordonnancement de tâches, la priorisation, les rapports avec ses subordonnées, la gestion du conflit, l’utilisation de réseau, etc. Dans ce cas, il est difficile de distinguer entre « work strategies » et compétences.

92 Dans les systèmes d’évaluation les plus évolués, le salarié sera évalué par plusieurs évaluateurs,

représentant ses clients internes (« Multi-source feedback »).

93 Les auteurs ne font pas de lien avec la Balanced Scorecard, mais il est évident.

94 Nous allons revenir, dans la section 7 de ce chapitre, sur cette notion de « fairness » qui est un fondement de

savoir que le budget annuel pèsera plus dans son évaluation motivera le salarié à le traiter en priorité.

Facteurs de succès entre l’évaluation et les conséquences (« outcomes ») (E>O) :

- la perception par le salarié du lien fort entre les résultats de l’évaluation et les récompenses95 (monétaires et non monétaires), et qu’ils auront une conséquence sur sa situation et son avenir dans l’entreprise96 ;

- la stabilité dans le temps, ainsi que la cohérence dans l’évaluation et dans le rapport entre l’évaluation et les conséquences de l’évaluation.97

Exemple : le manager, satisfait que le salarié ait fait un excellent travail pour produire le budget dans le temps, sans faute, tout en maintenant de bonnes relations avec le service finance, a le pouvoir de fixer sa prime annuelle et suffisamment d’autorité dans l’organisation pour influencer une décision sur le transfert souhaité par le salarié au service Finance98.

Facteurs de succès entre les conséquences de l’évaluation et la satisfaction des besoins (O>NS) :

- le manager doit disposer d’une palette large et variée de conséquences, intrinsèques et extrinsèques : selon la théorie des attentes (« expectancy

theory »), les besoins de chaque individu se distinguent par :

 leur nombre,

 la force de la perception des besoins, leur importance relative,  leur urgence, les priorités à un moment donné ;

- le manager doit être en position de sélectionner les conséquences les plus adaptées à l’individu, sa personnalité et sa situation actuelle ; et être bon juge de l’impact des conséquences sur l’individu ;

- le laps de temps entre les 5 étapes ne doit pas être trop long : il ne doit pas y avoir un délai trop important entre l’action et la satisfaction des besoins99 ; - il doit y avoir une perception de justice distributive.

95 La notion de « Total Rewards », difficilement traduisible en français, englobe toutes les formes de rétribution,

dont la palette va de la rémunération à la reconnaissance des dirigeants et l’estime de ses pairs, en passant par la formation, la souplesse dans les horaires du travail, etc.

96 Dans le modèle, les conséquences peuvent être positives ou négatives (par exemple, une réduction du

salaire, qui est à la seule discrétion de l’employeur dans beaucoup des Etats des Etats-Unis). Comme nous allons le voir, si l’employeur considère que le salarié a le potentiel pour améliorer sa performance, les mesures négatives devraient être couplées à des mesures de développement, telles que le tutorat.

97 Stabilité et cohérence, par exemple, dans le traitement des salariés en termes de progression

professionnelles et d’opportunités. Mais, dans la réalité, on peut imaginer que, dans une PME où les opportunités, et surtout celles de promotion, sont limitées et très variables dans le temps, il est difficile d’avoir une stabilité quant aux conséquences de l’évaluation.

98 Un des paradoxes de l’évaluation est que l’évaluateur doit être a priori assez proche de ses subordonnées

pour avoir une bonne vision du travail qu’ils ont fourni, mais doit en même temps être à un niveau suffisamment haut dans l’organisation pour pouvoir influer sur les décisions de rémunération, de promotion, mobilité interne, etc. Dans certains systèmes de management de la performance, ces décisions, et en particulier celle concernant la rémunération et les promotions, sont prises de façon collective, lors de tables rondes, avec tous les N+1 plus le N+2. Il nous semble que cette pratique n’est pas très adaptée au style de management français et nous imaginons qu’il est peu fréquent en France.

99 D’où la popularité aux Etats-Unis de « spot awards », le versement d’une prime – généralement relativement

modeste – immédiatement après une action particulièrement méritante, ainsi que de programmes de reconnaissance, tels que « Employee of the Month », qui symbolisent en quelque sorte l’écart culturel entre la France et les Etats-Unis dans le domaine des relations professionnelles et de management.

Exemple : le manager du salarié, après en avoir discuté avec ce dernier, décide qu’un transfert vers le service Finance, pour une période d’essai et avec une garantie de pouvoir récupérer son ancien poste à la fin de cette période, correspondra mieux aux besoins du salarié qu’une augmentation de la prime annuelle. Il maintient la prime à son niveau de l’année précédente mais organise une réunion avec le responsable RH et le directeur du service Finance, qui aboutit à un transfert.

Critique du modèle de motivation

- Les êtres humains sont complexes. Dans un tel système, le manager doit en quelque sorte agir en psychologue et analyser ses subordonnés, avec un risque d’erreur, ce qui est profondément suspect dans la culture française, comme nous allons le voir.

- Il suppose que l’homme est individualiste, et que le salarié a le sens de la responsabilité (« accountability») et exerce un degré d’autonomie (notions de « self-awareness/self-actualization », Maslow), ce qui est peut-être plus adapté à une culture de « self-help » à l’américaine. Dans la culture française, on aura tendance à pointer les facteurs d’environnement, les failles de l’organisation, du management, etc.

- Les conséquences (« outcomes ») ne sont pas faciles à gérer, particulièrement la rétribution intrinsèque et la rémunération.

Un exemple de ces difficultés serait l’augmentation des salaires fixes pour rémunérer la performance, mais ces augmentations sont consolidées et, du moins en France, seront quasiment impossibles à récupérer si la période de bonne performance est suivie d’une période de faible performance. Pour éviter cela, la tendance est à privilégier les primes (variables) de performance, mais pour avoir l’impact escompté, il faut offrir des primes suffisamment importantes. En période de décroissance ou de stagnation, ces primes risquent d’être considérablement réduites, tandis que la performance du salarié individuel a été maintenue voire améliorée100101.

Nous citons un autre exemple qui montre la difficulté d’utiliser une approche de rétribution positive pour motiver un salarié individuel tout en maintenant une certaine justice distributive. Dans un système de « Total Rewards » à l’américaine, avec des « packages » fortement individualisés, la question se pose de l’équité interne, et surtout de la perception de l’équité interne, la valeur des éléments non monétaires étant différente entre les personnes. Par exemple, l’accord de l’employeur de permettre à une mère, qui vit seule avec deux enfants en bas âge, d’arriver une demi-heure après ses collègues et partir une demi-heure avant, en rattrapant le travail chez elle le soir, peut être une solution idéale pour motiver une collaboratrice performante. Elle pourrait en revanche avoir une conséquence négative, s’il y a d’autres membres de l’équipe dans des

100 Nous allons voir que l’acceptation de prise de risque est variable selon les différentes cultures, et qu’elle est

relativement faible en France.

101 Quant à l’impact de la rémunération sur la motivation, il est intéressant de noter le résultat de recherches

effectuées aux Etats-Unis qui démontrent qu’une majorité de salariés prétendent qu’ils sont personnellement plus motivés par des récompenses intrinsèques (sens d’accomplissement et d’autosatisfaction) que par des récompenses extrinsèques, telle la rémunération. Mais, parmi cette même population, une majorité de salariés considéraient que pour leurs collègues, à l’inverse, les récompenses extrinsèques étaient plus importantes. (Tout comme un sondage de jeunes chauffeurs hommes en France, dont la vaste majorité considérait que leur conduite était nettement supérieure à la moyenne.)

circonstances identiques, mais dont les difficultés dans leur situation personnelle a eu un impact négatif sur leur performance. Il est clair qu’une telle situation ne serait pas tolérée en France, mais il est possible qu’elle soit acceptable dans le contexte des Etats- Unis, pourvu que les règles du jeu soient claires et affichées. Dans ce cas, et dans la logique du management de la performance, on pourrait espérer que la salariée qui éprouve des problèmes de performance recevrait de l’aide pour surmonter ses difficultés, par exemple sous forme de coaching. Mais si l’employeur décide de lui accorder la même flexibilité qu’à l’autre, elle perd sa valeur et certainement sa force de motivation pour la plus performante.

Mais s’il est difficile – et surtout en France – de motiver les plus performants en leur offrant des incitations monétaires ou non monétaires, sans déranger un certain équilibre interne, il est encore plus difficile de motiver les moins performants. Il faut pour cela de vrais « managers d’hommes ». Comme nous allons le voir, contestablement, c’est un rôle insuffisamment reconnu en France102.

Le modèle de motivation et l’évaluation en France

Etant donné ces difficultés, en France, le maillon entre l’évaluation et la conséquence (« outcome ») est en fait souvent très faible, voire inexistant.

Dans plusieurs entreprises, il n’y a aucune conséquence individuelle pour le salarié après l’évaluation. Il existe en France des contraintes (légales et en termes de régulation sociale) qui expliquent en partie ce phénomène, mais pour le reste, s’agit-il d’un manque de courage managérial, un manque de confiance dans la fiabilité de l’évaluation, ou, in

fine, d'une appréhension différente de la finalité de l’évaluation ?103 Ou est-ce un choix, temporaire mais délibéré, d’aller vers une culture du résultat à petits pas ? Par la suite, la rémunération sera-t-elle sanctionnée ? Le résultat est d’avoir un système d’évaluation mal compris et mal perçu, puisqu'il n’y a pas de vision stratégique du management de la performance, ni d’intégration avec d’autres process RH ou autres.