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Les moyens d'évaluer la compétence et son contrôle par le juge

CHAPITRE 2 – LES GARANTIES ET LES CONTRAINTES

B. Les moyens d'évaluer la compétence et son contrôle par le juge

1) Les techniques d’évaluation

Il existe une grande diversité de techniques d'évaluation.

- L'évaluation simple consiste en l'analyse critique, par le salarié lui-même, en présence de son supérieur hiérarchique, des points forts et faibles de sa situation actuelle et en l'énoncé de ses souhaits d'évolution de carrière. Cette technique présente l'avantage de ne pas être trop formaliste mais l'inconvénient d'être trop subjective, puisqu'elle repose sur la propre appréciation de l'intéressé.

- La méthode du choix forcé est fondée sur une procédure rigide. Le supérieur hiérarchique doit utiliser un formulaire comportant des questions imposées qui permettent d'apprécier la créativité, la compétence technique, l'aptitude à prendre des décisions, la motivation, les capacités d'encadrement, le sens de la communication du salarié. Ces critères humains et professionnels donnent lieu à notation. Si cette méthode facilite les comparaisons, elle reste lourde et formaliste et n'aboutit pas toujours à une notation très fiable.

- D'autres méthodes d'évaluation s'efforcent d'être plus concrètes : soit en analysant le comportement du salarié en cas d'incident critique (conflit social, accident, anomalie de production), situation qui permet d'apprécier l'efficacité du salarié et sa capacité de réaction ; soit en pratiquant des tests de simulation ou des discussions de groupe qui ont pour objet de placer les salariés devant un problème à régler et d'évaluer leurs aptitudes à surmonter une difficulté majeure.

 L'entretien d'évaluation

L'entretien d'évaluation est le pivot des techniques d'évaluation. Il consiste en une discussion libre entre le salarié et son supérieur hiérarchique. Au cours de l'entretien, le salarié et son supérieur dressent un bilan professionnel et à l'issue de l'entretien, le supérieur hiérarchique détermine seul ou sous le contrôle d'une commission particulière quelle évolution de carrière peut être envisagée pour le salarié, selon les postes disponibles immédiatement ou à plus long terme.

Une telle méthode permet aux grandes entreprises de mieux cerner les besoins de formation du personnel, d’éventuellement proposer une rémunération plus motivante en jouant notamment sur le système des primes aux résultats et de créer un vivier de salariés à haut potentiel d'évolution.

 Le bilan de compétences

Prévu par la loi sur la formation professionnelle du 31 décembre 1992, il fait partie des moyens mis à la disposition des salariés pour mieux piloter leur carrière. Il leur permet d'analyser leurs compétences professionnelles et personnelles afin de définir leur évolution de carrière et si besoin, un projet de formation (article L. 6313-10 du Code du travail). Pour le salarié évalué, ce bilan doit permettre « d'objectiver l'opinion qu'il peut avoir de son travail, de discuter de sa mission, de ses objectifs de travail, de proposer des moyens de perfectionnement ».

La loi prévoit que tout salarié peut demander à l'employeur un congé pour bilan de compétences s'il a une ancienneté de cinq ans, consécutifs ou non, dont douze mois dans l'entreprise (article L. 6322-42 à 6322-52 du Code du travail). La durée du congé ne peut excéder 24 heures par bilan. Les résultats du bilan ne doivent être adressés qu'à l'intéressé, sauf s'il autorise expressément le prestataire de service auquel il s'est adressé à les communiquer à son employeur. L'entreprise peut également être à l’initiative de cette démarche et proposer aux salariés de procéder à des bilans de compétences.

Malheureusement, cette technique provoque encore de nombreuses réticences, dans la mesure où elle est trop souvent utilisée en période de crise comme première étape d'un licenciement pour motif économique ou d'une démission négociée.

 Une méthode d'évaluation des compétences très contestée : le ranking

Le ranking est une technique d'évaluation des salariés importée des États-Unis qui suscite l'intérêt des entreprises, notamment dans les secteurs très concurrentiels. Il repose sur un dogme : « la compétitivité d'une société se juge à la motivation et à la performance individuelle des salariés ».

La technique du ranking repose sur un double mécanisme :

- d'abord sur un mécanisme classique de notation qui consiste à évaluer le travail effectué par chaque salarié et à lui attribuer une note ;

- ensuite, sur un mécanisme de classement des salariés (du verbe rank : ranger, mettre en rang). Les salariés sont classés par groupes dont le nombre varie, selon les entreprises, de trois à cinq. Chaque groupe correspond à un niveau de performance professionnelle allant de l'insuffisance à l'excellence. Les salariés situés dans les classes les plus performantes sont éligibles à une augmentation individuelle de salaire, tandis que le salarié mal classé (faible contributeur) bénéficiera d'un suivi individualisé en trois étapes appelé « Managing Low Performance ». - Dans un premier temps, il est mis en œuvre un plan d'amélioration de trois mois avec l'accord du salarié (entretien, préparation conjointe du plan, signature).

- Si au terme de cette première étape, le superviseur considère que le salarié n'a pas progressé suffisamment, il doit mettre en place « un plan d'action correctif » d'une durée de trois mois.

- A l'issue de ce plan, « une période probatoire » de trois mois peut à nouveau être mise en œuvre avec contrôle des performances dans les quinze jours, dans l'hypothèse où les résultats seraient encore insuffisants.

Ce système d'évaluation a été fortement critiqué par les syndicats mais également par une partie de la doctrine. Il lui a été reproché :

- de provoquer des discriminations au sein de l'entreprise entre les salariés des différentes classes. Il a d'ailleurs été constaté aux États-Unis que les entreprises qui avaient recours à cette technique d'évaluation avaient tendance à positionner dans la classe la plus basse, les salariés âgés, les femmes et les minorités ;

- d'entraîner ou de faciliter des faits constitutifs de harcèlement moral lors de la phase d'évaluation, mais aussi à l'issue du classement et à l'occasion de la mise en œuvre du plan d'amélioration ;

- de porter atteinte à l'égalité de traitement en surévaluant un collaborateur moyen qui évolue dans un groupe médiocre, et en notant sévèrement un

collaborateur de même niveau qui côtoie de hauts potentiels ;

- de porter des sanctions pécuniaires prohibées aux salariés situés dans les classes inférieures en raison du blocage de leurs augmentations individuelles ; - mais surtout de permettre à l'entreprise de se pré-constituer une cause réelle

et sérieuse de licenciement.

Aucun de ces arguments n'a été retenu par la Cour d'Appel de Grenoble qui a confirmé, dans son arrêt du 13 novembre 2002, qu’un tel système était licite. En effet, « le dispositif critiqué par les syndicats demandeurs s'inscrit, non pas dans une logique disciplinaire, mais dans une optique d'adaptation permanente du personnel aux exigences de l'entreprise par de la formation », le « ranking » s'avérant être au final « un système licite des augmentations salariales ».

Ainsi, la méthode du ranking, qui peut apparaître contestable dans la mesure où elle met sous pression les salariés considérés comme les moins compétents, n'est pas frappée d'une nullité de principe. Le juge fait donc preuve de tolérance quant à la mise en œuvre de techniques d'évaluation. Cela n'exclut néanmoins pas son contrôle, lorsqu'il est saisi d'une contestation sur les résultats objectifs d’un test d'évaluation.

La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a d’ailleurs récemment rappelé que ces valeurs de ranking, comme toute méthode d’évaluation des salariés, sont des données qui doivent être communiquées à la demande des salariés concernés, dès lors que ces données ont été prises en compte dans le processus décisionnel en matière d’évolution salariale. La CNIL a rappelé le principe selon lequel tout salarié a un droit d’accès à ces éléments de gestion du personnel, qui ont conduit à prendre des décisions à son égard.

2) Le contrôle de l'évaluation des compétences par le juge

Le juge qui se verra soumettre une question relative à l'évaluation des compétences pourra exercer trois types de contrôle :

- le contrôle de l'opportunité, - le contrôle de l'énonciation, - le contrôle de la délibération.

 Le contrôle de l'opportunité

L'employeur n'a pas une totale liberté d'appréciation des compétences de ses salariés à l'issue d'une action d’évaluation.

Il doit laisser au salarié le temps nécessaire pour lui permettre de s'adapter à son nouvel emploi ou à un changement des méthodes de travail et pour mettre en pratique sa formation (CA Versailles, 26 mai 1992). Ainsi, si l'employeur souhaite invoquer l'incompétence du salarié, il doit suspendre son jugement et laisser à ce dernier le temps de faire la démonstration de ses nouvelles compétences acquises lors de la formation. De même, il a été jugé qu'un licenciement prononcé en raison de l'inefficacité du salarié à ses nouvelles fonctions n'était pas justifié dès lors que l'employeur n'avait pas choisi

une « affectation en rapport avec ses connaissances et aptitudes » (CA Paris, 25 mars 1998).

Au contraire, l'évaluation des compétences peut prendre la forme d'une véritable obligation pour l'employeur dont l'inobservation pourrait lui être opposée. L'évaluation des salariés est par exemple un préalable nécessaire à l'exécution de l'obligation de reclassement et d'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois.

 Le contrôle de l'énonciation

Abandonnant la théorie de l'employeur seul juge des aptitudes des salariés en cas de contestation des mesures prises à la suite de l’évaluation, la Cour de cassation exige de l'employeur qu'il apporte des éléments objectifs lui permettant de justifier de l'insuffisance des qualités professionnelles du salarié (Cass. soc., 15 avril 1992, Bull. Civ. V, n° 274).

Par ailleurs, s'il lui est reproché une inégalité de traitement, l'employeur doit prouver par des critères objectifs de compétence professionnelle que la disparité de situation constatée est justifiée (Cass. soc., 4 juillet 2000, Bull. Civ. V, n° 264).

Les éléments objectifs se définissent comme des éléments matériellement vérifiables, susceptibles de débat contradictoire. Dès lors, la notation, simple formalisation d'une évaluation, ne peut être considérée comme suffisamment objective. L'employeur doit être en mesure d'expliciter les critères de notation afin de faire ressortir le lien existant entre ces critères et son appréciation finale (CA Nancy, 3 octobre 2001, Ferdinand c/SA Verdial).

 Le contrôle de la délibération

L'employeur, à l'issue de l'exercice d'évaluation de ses salariés, va délibérer pour tirer toutes les conséquences de l'évaluation. Le contrôle opéré par le juge sur la délibération de l'employeur peut emprunter deux voies différentes.

- L'exigence de cohérence : le contrôle judiciaire va porter sur les allégations

d'incompétences formulées par l'employeur.

Le juge va vérifier la cohérence entre le discours tenu et les faits et s'assurer qu'il n'y a pas de contradiction. Ainsi, un employeur ne peut par exemple pas invoquer des fautes commises par un salarié pour justifier son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Le juge va également s'assurer qu'il n'existe pas d'incohérence entre le jugement de l'employeur et son attitude antérieure. L'absence d'observation sur les prestations du salarié ou son ancienneté tend à démontrer la satisfaction de l'employeur à l'égard des compétences du salarié.

Si l'employeur souhaite licencier ce salarié, sa passivité antérieure pourra lui être opposée.

De la même façon, l'employeur pourra plus difficilement alléguer l'incompétence du salarié s'il a déjà manifesté sa satisfaction à l'égard de celui-ci. Ainsi, les allégations d'incompétence ne sont pas fondées dès lors que le salarié a bénéficié de nombreuses promotions, d'un rapport élogieux à l'issue d'un entretien d'évaluation ou d'une augmentation de salaire quelques

mois avant son licenciement. La compétence antérieure apparaît comme un indice de la compétence actuelle.

Par conséquent, l'exigence de cohérence oblige l’employeur à dépasser l'appréciation ponctuellement défavorable d'un salarié. Selon la Cour de cassation, des résultats insuffisants obtenus à des tests de connaissances ne sauraient « justifier à eux seuls une insuffisance professionnelle d'un salarié dont il était reconnu qu'il avait exercé son activité de manière satisfaisante depuis cinq ans » (Cass. soc., 18 juillet 2000). Les évaluations telles que les tests de compétence n'entrent donc dans le système de preuve qu'à titre de complément, dans le cadre d'un faisceau d'indices. La compétence se révèle tout au long de la relation de travail et non à l'occasion d'une évaluation ponctuelle.

- Le contrôle d'imputabilité : le juge va apprécier le raisonnement

d'inférence, c'est-à-dire le raisonnement par lequel l'employeur déduit l’incompétence du salarié à partir de son évaluation. Il va ainsi vérifier que l'insuffisance alléguée procède bien de l'attitude du salarié.

L'employeur doit apporter un jugement précis, tenant compte des qualités professionnelles de chacun et dégagé de toute influence extérieure. L'incompétence du salarié sera alors rapportée à son environnement professionnel. Cette obligation est confirmée par l'article L. 6321-1 du Code du travail qui énonce que l'employeur a une obligation d'adaptation de ses salariés à l'évolution de leurs emplois. L'employeur doit mettre à la disposition de ses salariés des moyens en temps, en matériel, mais aussi en compétences, pour exécuter la prestation de travail (Cass. soc., 16 mai 2001). L'inobservation des objectifs ne doit pas résulter d'une cause extérieure au salarié telle que l'état du marché. Pour s'assurer de l'objectivité du jugement de l'employeur au regard de la prestation de travail du salarié, les juges vont utiliser une norme de comparaison. Les résultats du salarié seront comparés avec ceux d'autres salariés occupant les mêmes fonctions ou avec les résultats que ses prédécesseurs ou le salarié en question auront obtenus les années précédentes.

Synthèse

L'employeur n'est plus seul maître à bord pour apprécier le niveau de compétence de ses salariés depuis que le législateur et le juge se sont penchés sur l'évaluation des compétences pour en contrôler la forme et la finalité.

Les techniques d’évaluation tendent à se développer et à se complexifier, alimentées par les cabinets de conseil en Ressources Humaines et influencées par des techniques d’inspiration américaine.

Néanmoins, leur utilisation reste fortement encadrée et objectivée en France, notamment en raison d’un strict contrôle des juges en la matière.