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CHAPITRE 2 – LES GARANTIES ET LES CONTRAINTES

A. La légalité de l'évaluation

L'évaluation des salariés est longtemps restée un sujet indifférent en droit du travail et la jurisprudence considérait que l'employeur était seul juge des aptitudes de ses salariés (Cass. Soc., 13 mars 1963, Bull. Civ. IV n° 245). Cependant, de nombreuses dispositions légales ont récemment consacré la validité de l'évaluation et sont venues encadrer les prérogatives de l'employeur en la matière.

1) Une reconnaissance légale

La loi du 31 décembre 1992, directement inspirée du rapport de Gérard Lyon-Caen sur « les libertés publiques et l'emploi », qui comportait une réflexion sur les risques d'atteinte aux libertés encourus par les salariés en cours de contrat, a introduit les articles L. 121-6 à L. 121-8 dans le Code du travail (aujourd’hui codifiés aux articles L. 1221-6 à L. 1221-9 et L. 1222-2 à L. 1222-4 du Code du travail) qui visent à réglementer les procédures d'embauche et les méthodes d'évaluation des salariés en poste et par conséquent, à les légitimer sous réserve de conditions particulières à respecter.

Le candidat à un emploi et le salarié évalué sont tenus de répondre de bonne foi aux questions qui leur sont posées, tandis que l'employeur doit informer à l'avance le candidat « des méthodes et techniques d'aide au recrutement », et le salarié en poste « des méthodes et techniques d'évaluation professionnelle mises en œuvre à son égard ».

Les dispositions de la loi du 19 janvier 2000 ont ensuite légalisé la jurisprudence Expovit qui disposait que « l'employeur tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail a le devoir d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois » (Cass. Soc., 25 février 1992, Bull. n° 122). L'article L. 6321-1 du Code du travail dispose donc que « l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ». Par cette disposition, le droit d'évaluation devient un devoir et l'employeur a l'obligation d'évaluer régulièrement les compétences de ses salariés.

Enfin, grâce aux lois du 31 décembre 1992 et 17 janvier 2002, l'évaluation devient un droit pour les salariés qui peuvent la réclamer, notamment au travers de la création de deux nouveaux outils :

- le bilan de compétences : l'article L. 6313-10 du Code du travail dispose que « Les actions permettant de réaliser un bilan de compétences ont pour objet de permettre à des travailleurs d'analyser leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivations, afin de définir un projet professionnel et le cas échéant, un projet de formation » ;

- la validation des acquis de l'expérience : l'article L. 6313-11 du Code du travail prévoit que « Les actions permettant aux travailleurs de faire valider les acquis de leur expérience ont pour objet l'acquisition d'un diplôme, d'un titre à finalité professionnelle ou d'un certificat de qualification figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l'emploi d'une branche professionnelle et enregistrés dans le répertoire national des certifications professionnelles, mentionné à l'article L. 335-6 du code de l'éducation. »

2) Une reconnaissance jurisprudentielle

La jurisprudence a confirmé les orientations de la loi et fait de l'évaluation à la fois un droit et une obligation pour l'employeur.

Ainsi, la Cour de Cassation avait, dans un arrêt neocel du 20 novembre 1991 (n°88.43- 120), énoncé que « l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail ».

Par la suite, la jurisprudence a précisé le socle sur lequel reposait cette faculté d’évaluation par l’employeur de ses salariés, à savoir son pouvoir de direction. Elle a ainsi énoncé, dans un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 10 juillet 2002 (n° 00 42.368), que « l’employeur tient de son pouvoir de direction, né du contrat de travail, le droit d’évaluer le travail de ses salariés ».

En effet, le pouvoir de direction de l’employeur se manifeste notamment au travers des décisions d’affectation, de promotion ou encore de licenciement qu’il peut prendre à l’égard des salariés.

Or, l’évaluation du travail des salariés permet à l’employeur de faciliter et de justifier cette prise de décision.

Différents auteurs, tels que Jean Pelissier, Alain Supiot et Antoine Jameau, se sont prononcés dans ce cadre sur le pouvoir de direction de l’employeur né du contrat de travail. Ils ont ainsi souligné que « le rapport de travail ou d’emploi est une relation d’inégalité juridique que, dans un régime d’égalité civile, seul un contrat librement conclu peut créer.

L’ordre juridique habilite l’employeur à prendre des décisions visant ou affectant le salarié qui doit les subir ou s’y soumettre, sauf à les contester en justice pour des motifs de légalité. »

Ainsi, d’après ces auteurs, les prérogatives qui permettent à l’employeur d’agir matériellement ou juridiquement ont été contractuellement acceptées par le salarié lors de la conclusion du contrat qui place ce dernier sous la subordination juridique du premier.

L’arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 10 juillet 2002 va plus loin que la justification du droit d’évaluer le travail des salariés. Il fait en effet du refus du salarié de se soumettre à un test d’évaluation un acte d’indiscipline.

Ainsi, dans cette affaire, une professeur de l’AFPA avait été licenciée pour avoir refusé de se soumettre à plusieurs reprises à une expertise qui avait pour objectif de déterminer son aptitude à enseigner et ses éventuelles possibilités de reconversion.

Les Juges de la Cour d’Appel avaient considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où le principe de l’évaluation n’était prévu ni par la convention collective, ni par le règlement intérieur, ni encore par le contrat de travail, et que le refus de la salariée de s’y soumettre ne pouvait en conséquence constituer une faute.

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a affirmé au contraire et dans des termes très généraux, sur le fondement des articles 1134 du Code Civil et L.121-1 (aujourd’hui L.1221-1 et suivants) du Code du Travail, que le pouvoir de direction né du contrat de travail donne le droit à l’employeur d’évaluer le travail de ses salariés.

Un salarié ne peut donc refuser à l’employeur une évaluation de ses compétences, sauf à risquer de se voir reprocher une faute qui pourrait constituer une cause réelle et sérieuse de son licenciement. Il faut, à ce titre, préciser que certains textes portaient déjà une forte incitation à participer aux évaluations.

Ainsi, dans une instruction du 26 février 1999 relative au système d’appréciation du personnel de la Poste, il était indiqué : « en cas de refus par l’agent, la notice individuelle de notation est établie par le supérieur hiérarchique immédiat. Cependant, ce refus correspond à un manquement et doit être mentionné sur le document d’appréciation. » Si l’évaluation est ainsi une obligation pour le salarié, certaines conditions de validité doivent tout de même être respectées par l’employeur.