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Le management de la performance, la direction par objectifs et la balanced scorecard

CHAPITRE 5 – L'ÉVALUATION COMME ÉLÉMENT DU MANAGEMENT DE LA PERFORMANCE

3. Le management de la performance, la direction par objectifs et la balanced scorecard

objectifs et la balanced scorecard

78

La direction par objectifs (MBO) est au cœur du management de la performance. Formalisée par Peter Drucker dans les années 5079, elle prônait la fixation des objectifs au plus près de ceux censés les atteindre. Elle a eu plus ou moins de succès selon le pays ; la France a été un des pays les plus réticents.

Différentes raisons ont été avancées.

- Macroéconomiques : la priorité de la France de l’époque était la création et le maintien de l’emploi, beaucoup plus que la productivité, surtout dans le secteur public, l’Etat étant de loin l’employeur principal du pays. La MBO à l’américaine visait la création de valeur pour les actionnaires, et était dans une optique de résultats à court terme. Elle était donc peu adaptée à l’économie française, dominée par les entreprises nationalisées.

- Culturelles : la distance hiérarchique (power distance) en France était trop importante pour que, à chaque niveau, la direction délègue la fixation des objectifs au niveau inférieur, en cascade, comme prévu dans le système préconisé par Drucker80.

En 1992, Kaplan et Norton affinent la MBO avec l’introduction de la Balanced Scorecard81. Leur intention était de développer un outil de mesure de performance, et surtout de pilotage, qui :

- serait directement lié à la stratégie de l’entreprise (reproche fait par Kaplan et Norton à l’égard du Management by objectives), pourrait faciliter l’élaboration de la stratégie, et être, par la suite, un vecteur pour répercuter en cascade la stratégie du haut vers le bas de l’organisation ;

- tiendrait compte, en plus des informations financières qui avaient dominé jusqu’à cette époque dans les systèmes de reporting à l’américaine, des informations qualitatives sur des aspects stratégiques – tels la capacité à satisfaire ses clients – qui avaient une valeur prédictive [la notion de balanced (équilibré)], et qui permettrait surtout à la direction de l’entreprise de prendre des actions par la suite.

Les informations financières étaient considérées comme insuffisantes, parce qu’elles ne mesuraient pas certains éléments stratégiques relevant de la valeur de l’entreprise, surtout ses capacités de performance future, telles le capital humain (et social, organisationnel et intellectuel).

78 Nous ne proposons pas de traduire Balanced Score Card, puisque aucune traduction adéquate n’a été

trouvée. (Très typiquement pour la culture américaine, « Scorecard » est en analogie avec le sport. Un aspect très prononcé du management à l’américaine est le recours à des métaphores tirées du monde sportif, principalement bien sûr le football américain et le baseball. La preuve s’il en est que la culture américaine est bien une culture « masculine », pour utiliser le terme de Hofstede, ce qui est confirmé par la part faible prise par les femmes dans la direction des entreprises américaines.)

79 The Practice of Management, Drucker, Peter F., 1954.

80 Motivation; leadership and organization: do American theories apply abroad?, Gert Hofsteede (1980) ; cité

dans International HRM : a Cross-cultural approach, Terence Jackson, SAGE publishing (2002). Nous irons plus loin dans l’exploration des aspects culturels dans la section 7 de ce chapitre.

La Balanced Scorecard est en même temps un système et un processus :

- un système, dans la mesure où elle crée un cadre de quatre axes stratégiques, où la réussite dans le premier axe (« Innovation ») mène à la réussite dans le deuxième, et ainsi de suite, jusqu’au quatrième axe, celui des résultats financiers82 ;

Chaîne de causalité de la balanced scorecard83

Processus

Innovation

Finances

Clients

Satisfaction, prospection, notori t , etc.

Efficacit op rationnelle capital organisationnel

capacit d Õapprentissage gestion du capital humain,

intellectuel, social

leviers de performance future

- un process, dans la mesure où, chaque année, la direction générale de l’entreprise doit fixer ses objectifs prioritaires, les actions à mener pour les atteindre et leur mesure. Par la suite, ces objectifs prioritaires sont répercutés en cascade vers le niveau de direction inférieure. Ce dernier élabore ses propres objectifs, alignés avec les objectifs stratégiques, qui sont à leur tour déclinés au niveau inférieur, et ainsi de suite, jusqu’au salarié qui doit, en consultation avec son N+1, fixer ses objectifs pour l’année. Pour les très grandes organisations, principalement les entreprises multinationales, ce process permet d’assurer une cohérence et un degré de coordination, ainsi qu’une certaine rapidité dans l’exécution.84 Elle suppose un degré important de délégation aux niveaux hiérarchiques plus bas, et surtout de la transparence.

82 Dans la pratique, il y a fort à parier que les quatre axes sont adaptés au contexte de l’entreprise.

83 Notons que différentes versions « officielles » existent, et que dans d’autres versions, l’axe « innovation » est

remplacé par « learning & growth ». Dans la pratique, les axes seront modifiés en fonction des enjeux stratégiques liés à l’activité de chaque entreprise. Par exemple, dans un cabinet d’audit, l’axe « innovation » a été remplacé par «people », étant donné que l’offre étant les services intellectuels mais dans un process normé, un quelconque avantage concurrentiel résiderait plus dans les compétences des collaborateurs que dans la capacité d’innover.

84 Dans le seul exemple rencontré lors de nos entretiens, il y a quatre niveaux de fixation d’objectifs : les

objectifs « monde », les objectifs DAS monde, les objectifs DAS région articulés par grades d’employé, et les objectifs individuels. Le process peut a priori prendre de un à deux mois seulement.

Exemple d’une balanced scorecard : les deux premiers niveaux - « corporate » et « division »

Corporate Objective Corporate Measure Target Actual Division Objective Division Measure Target Actual

F in a n c ia l Create value

ROI 60% 50% 1. Move to sole provider

for main components Unit cost reduction 10% 10%

2. Optimize IT resources Savings 300 M 150 M

C u s to m e r

Anticipate client needs

Percentage of respondents to customer survey 80% 60% 3. Anticipate customer needs Percentage of respondents to customer survey 90% 86%

Meet client service expectations

Percentage of Service Level Agreements

reached

90% 87% 4. Client visits Percentage of clients with

> 1 M spend visited 50% 58% 5. Meet client service

expectations

Percentage of Service Level

Agreements reached 95% 88% P ro c e s

s Implement Six Sigma

Percentage of divisions reaching implementation Stage 3 or higher 40% 20% 6. Reaching implementation stage 5 by P6 Advance/Delay in meeting target date P6 P8 7. Understanding of process improvement techniques

Number of « Black Belts »

on staff at end of year. 12 3

L e a rn in g & g ro w th Performance measurement Percentage of performance appraisals completed on time 90% 79% 8. Performance measurement Percentage of performance appraisals completed on time 100% 82% Knowledge sharing Number of divisions with intranet Community Home Spaces 100% 100% 9. Use of Community Home Space

Annual number of pages

visited 80,000 120,000 10. Measure employee engagement Employee survey : - Timely deployment - response rate - Timely Department Action

Plans completion P8 70% P10 P8 67% P10

Dans l’exemple ci-dessus, le « Divisional objective » numéro 1, le choix d’un fournisseur unique, figurerait dans la Scorecard du service Achats, ainsi que comme objectif dans la

Scorecard personnelle du directeur du service Achats, et dans celle des salariés qui

doivent piloter le projet. De même, le bon déploiement du baromètre d’implication des salariés (« Divisional objective » 9) figurerait sur le Personal Scorecard du DRH et sur celui de ses subordonnés qui en sont chargés.

Dans certaines entreprises américaines, la Balanced Scorecard fait partie intégrante du process management de la performance, chaque niveau de direction ayant son propre « Scorecard » et chaque salarié son « Personal Scorecard », avec ses objectifs personnels, la façon de mesurer le degré d’atteinte des objectif et la cible chiffrée. La fixation des objectifs est le résultat d’une « négociation » entre le manager et le salarié en début de période ; la période correspond en général à des périodes de reporting financier, donc une année et/ou trimestre. Le salarié est censé s’approprier ses objectifs et les suivre au cours de la période. Ils peuvent être renégociés pour tenir compte de facteurs contingents.

La Balanced Scorecard a été fort critiquée en France dans le milieu académique85, parce que :

- l’idée d’avoir des indicateurs « équilibrés » entre ceux relevant du finance/court terme/historique, et d’autres relevant d’aspects non financiers mais ayant une valeur prédictive pour la performance financière à l’avenir, est déjà présente dans les tableaux de bord à la française datant des années 3086, - la prétendue « chaîne de causalité » (voir schéma ci-dessus) est plus que

discutable et n’a jamais été démontrée ;

- elle n’est pas adaptée à la culture française, et spécifiquement à la mentalité des managers en France, très influencée par la formation des ingénieurs. Cette réticence de la part du monde académique en France est partagée par le monde de l’entreprise ; il semble que très peu d’entreprises françaises l’ont adoptée.87 Il est en fait

85 Principalement dans l’article Balanced Scorecard versus French tableau de bord : beyond dispute, a cultural

and ideological perspective, Bourgignon, Malleret et Nørreklit 2001, où les auteurs cherchent à démontrer que la Balanced Scorecard est le produit d’un style de management américain et qu’elle ne peut pas être déployée en France pour des raisons culturelles profondément enracinées. Nous y reviendrons dans la section 7 de ce chapitre.

86 Tableaux de bords développés en France dans les années 30 ou 50 selon les sources, et dans lesquels

figuraient des indicateurs non purement financiers et qui avaient une valeur prédictive. Paradoxalement, elles reflétaient une façon de penser développée dans les écoles d’ingénieurs, la direction des entreprises d’Etat étant composée d’ingénieurs. A la même époque aux Etats-Unis, les dirigeants d’entreprises avaient tendance à être financiers, d’où l’accent mis sur des indicateurs purement financiers et de nature historique plutôt que prédictive. Le Balanced Scorecard Institute reconnaît la parenté avec les tableaux de bords français sur son site web. Une méthode très proche de la Balanced Scorecard a d’ailleurs été développée en France par trois professeurs du groupe HEC : Daniel Michel, Michel Fiol et Hugues Jordan, au début des années 80. Dénommé OVAR (objectifs – variable d’actions – responsabilités), elle était construite sur une base de direction par les objectifs qui étaient également répercutés en cascade du haut en bas, mais où les actions à prendre étaient fixées par principe au niveau le plus bas, donc une direction participative des objectifs. Dans la pratique, la Balanced Scorecard laisse souvent cette marge de manœuvre aux niveaux inférieurs, mais elle ne fait pas partie intégrante du modèle.

87 Selon une étude menée par Gehrke I. en 2001, la Balanced Scorecard était connue de 98 % des entreprises

sondées en Allemagne, 93 % en Grande-Bretagne, 72 % en Italie, et seulement 41 % en France. Cette étude est citée dans Balanced Scorecard versus French tableau de bord : beyond dispute, a cultural and ideological perspective, Bourgignon, Malleret et Nørreklit 2001. Aucun élément n’est donné quant à la taille de la population sondée. Sur le site du site web du Balanced Scorcard Institute (visité le 5/04/2009), la liste des entreprises ayant adopté la Balanced Scorecard (ou, plus précisément, ayant autorisé la publication du fait qu’elles l’ont adoptée) recense 104 entreprises américaines, 6 canadiennes, 4 britanniques, 3 allemandes,

impossible de savoir si elle n’a pas été adoptée pour les raisons citées ci-dessus ou pour d’autres.

Les entreprises qui l’ont adoptée l’ont souvent assouplie pour prendre en compte le fait que la non-atteinte des objectifs peut relever de facteurs dont le collaborateur n’a pas l’entière maîtrise, et que, même en essayant d’équilibrer avec des objectifs non financiers, la focalisation sur ce que fait le collaborateur est plus grande que celle sur la manière dont il le fait, alors que ce dernier point peut être capital pour le bien-être de l’entreprise à plus long terme.

Pour situer la Balanced Scorecard dans un process de management de la performance, elle (ou son équivalent) constitue le point de départ, amorçant un process cyclique au cours duquel la performance actuelle sera comparée à la performance requise. Si un écart est constaté, des actions (« Performance Management Interventions ») seront prises pour y remédier, selon le schéma ci-dessous.

Discrepancy Performance Feedba ck Performance Management Interventions CORPORA TE GOALS Observed (R ated ) Performance Level D esired Performance Level G OALS

A model of the performance management process

Kevin R. Murphy & Angelo S. DeNisi, in Performace Management Systems : a Global Perspective; ed. A.Varma, P.S.Budwhar & A.DeNisi (2008)

Ces interventions sont, pour la plupart, destinées à modifier les comportements des collaborateurs, et le système est construit sur des hypothèses de l’école de psychologie « béhavioriste » et les théories de la motivation.

2 japonaises, 1 néerlandaise, 1 suédoise et aucune française. Parmi les entreprises que nous avons rencontrées pour ce mémoire, une seule affichait le fait qu’elle se servait da la Balanced Scorecard, mais dans une version où les 4 axes avaient été radicalement modifiés pour mieux correspondre à son activité. Néanmoins, le principe de « cascade » des objectifs avait été retenu et constituait un élément-clé de son système d’évaluation.